Eric Zemmour : plus Gaulois que moi tu meurs !
Une contribution d’Ali Akika – Il m’est pénible d’écrire cet article en me penchant sur les élucubrations d’un sinistre individu qui puise ses connaissances dans la période coloniale de son pays et fasciste de l’Europe. Pénible aussi de pratiquer un jeu pour démonter «une pensée» qui fait appel à un raisonnement paresseux pour masquer une impuissante intellectuelle à comprendre les mouvements de l’histoire. Et ce raisonnement est parsemé de comparaisons entre époque et situation, en ne retenant qu’un seul effet qui conforte une opinion qui n’est qu’une image construite, triturée de faits autrement plus complexes. Pour être juste, disons que l’appel au secours de comparaisons est répandu ici et là. Et notre société, hélas, ne fait pas exception à ce genre de méthode de raisonnement. Cela dit, passons à ce Zemmour qui se prend pour un Zorro, sauveur de la civilisation de son pays…
Question civilisation, Il vaut mieux écouter les poètes que les pseudo-historiens. Pour Paul Valéry, grand poète, les civilisations sont mortelles. L’hurluberlu qui se prend donc pour Zorro, le nombril gonflé par la rancune. Comme il n’a plus rien à quoi s’accrocher, pas même à une «délicieuse» nostalgie, alors il claironne qu’il veut sauver la France car il n’est pas trop tard, selon lui. «Notre» historien de week-end n’a pas dû lire Ibn Khaldoun (1) qui donne des indications sur le déclin des sociétés. Ces sociétés, gagnées peu à peu par la torpeur, commencent à avoir des problèmes dès que des gouverneurs passent plus de temps à baigner dans le luxe que procure le pouvoir que les casse-têtes de la gestion de la cité. On peut ainsi résumer la situation décrite par Ibn Khaldoun par une formule devenue populaire, le poisson pourrit par la tête.
Le Zorro de pacotille, au lieu de tourner la tête vers le système et ceux qui détiennent le pouvoir dans son pays, s’attaque à ceux qui ne peuvent pas se défendre. Dans son imaginaire pétri de contradictions et de la peur de perdre de misérables privilèges, il assigne à une société, au monde, à une civilisation un rôle et un statut figé pour l’éternité. Il ignore ou feint d’ignorer que la vie ressemble au fleuve du philosophe Héraclite qui dit : on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Cette phrase veut dire simplement que les eaux qui coulent dans le lit d’un fleuve ne sont jamais les mêmes. C’est pourquoi, du haut de son nid de corbeau (2), Z est tombé dans le piège d’un vieux renard. Ce renard, avant de perdre la mémoire, a transmis à Z son langage couvert de mites. De là où il se trouve, le vieux renard ne sait pas que son monde a été enseveli sous les ruines d’un Reich, un certain 8/9 mai 1945. Depuis cette date, le monde est entré dans une zone de turbulence et de tempête qui a entraîné des migrations de populations. La cause de ces bouleversements ?
Ici, c’est la misère ; là, c’est la guerre ; un peu plus loin, ce sont de nouvelles économies avides de main-d’œuvre nombreuse et pas chère. Et Z, une fois que son monde a bénéficié du travail de cette main-d’œuvre, veut s’en débarrasser et la renvoyer à son douar d’origine, selon l’expression policière et coloniale, quand l’Algérie avait mis un pied dans l’indépendance. Pour toutes ces raisons historiques qui passent au-dessus de la tête de la meute, Z est devenu le nouveau Messie qui va sauver la France. En plus de son aura auprès de la meute des loups, il est devenu la coqueluche d’une certaine caste médiatique, celle-là même qui avait applaudi à la déchéance de la nationalité (3) de son père né quelque part en Algérie.
Et ce n’est pas terminé car le Z semble avoir oublié qu’il a récupéré la nationalité de son père grâce à ces étranges étrangers qui ont participé à casser les reins à Monte Cassino aux soldats du petit caporal à la moustache ridicule. Non seulement pas de reconnaissance pour leur sacrifice et leur bravoure, Z ose les accuser d’avoir transmis à leurs descendants un noir et lugubre dessein. Celui de réaliser le grand remplacement de la population française indigène. Z n’ignore pas que le vrai et unique remplacement de l’histoire d’une population a été opéré à l’époque de sa civilisation triomphante et sous la gouvernance d’un système qui prétend être l’acteur de la fin de l’histoire. Rappelons brièvement et calmement que le continent où a eu lieu le remplacement des autochtones, et de quelle manière, a pour nom les Amériques. Voilà pour le Zorro habillé du costume usurpé d’historien…
Quant à son âme de philosophe, elle a tendance à errer dans les sables mouvants de la cruauté. Ainsi, «notre philosophe» déclare avec la plus sereine conviction : «Je suis philosophiquement pour la peine de mort.» Voilà la vision du monde de cet homme sans sagesse. Il oublie que toutes les philosophies métaphysiques ou matérialistes, hier comme aujourd’hui, ont pour fonction de débarrasser l’homme de son instinct primaire comme les animaux de la jungle où il leur faut tuer pour vivre. Voilà donc l’homme qui ambitionne de diriger demain la France qui, d’après son mentor Sarkozy, est mère de toutes les civilisations ; une France selon Z, aujourd’hui menacée par des barbares venus d’ailleurs.
Dois-je encore insister sur son ignorance et lui rappeler que tous les empires, les plus grands comme les plus modestes ont décliné puis sont morts de leur volcan intérieur, et non de quelque sombre aventurier venu d’ailleurs ? Une autre déclaration de Z a joué le rôle de eurêka auprès d’imbéciles à la recherche d’une ligne politique qui sauverait la France, cette fille aînée de l’Eglise. Cet eurêka n’est autre que l’alliance des classes moyennes et de la bourgeoisie. Pour «notre» brillant tacticien, ladite alliance est la seule voie susceptible de sortir la France du tunnel pour retrouver les lumières d’antan. Et les imbéciles qui se pâment devant lui et lui font les yeux de Chimène ne savent pas que c’est exactement ce qu’ont fait les nazis pour prendre le pouvoir. Liquider la classe ouvrière en l’accusant d’être à l’origine de l’incendie du Reichstag en 1933.
Ce gros mensonge digne de Goebbels, bras droit de Hitler, effraya les classes moyennes et c’est ainsi que Hitler réussit à séduire et à attirer la dynastie de Krupp, la fine fleur de la bourgeoisie allemande. Arrêtons la litanie des haines et accusations de Z, petit soldat de la 25e heure. Les étrangers ne confondent pas le peuple français et les chemises noires d’hier et d’aujourd’hui. Les immigrés ciblés par Z ne sont pour rien dans les malheurs de sa France. (4). Ces étrangers dont certains ont combattu aux côtés de Louise Michèle, ces étrangers de l’Affiche Rouge immortalisés par le grand poète Argon, ont conquis leur place dans ce pays à une époque où des seigneurs de «souche» collaboraient avec les nazis ou bien fuyaient leur pays en emportant leurs grosses fortunes…
Un mot maintenant sur le plat fade qui nourrit la «pensée» de Z. Un peu de Descartes réduit à un simplisme grossier, une pincée de «marxisme» dogmatique qui ressemble, comme dirait Sartre, à une leçon de philosophie de classe terminale. Les trous dans la raquette de Z sont tellement nombreux, aussi bien dans sa pensée que dans ses déclarations, qu’il se fâche quand son interlocuteur lui rappelle ses écrits semés de petits mensonges et de retournements de veste. Il perd même ses moyens quand le débatteur est agrégé de philosophie et lui rappelle que ses opinions c’est de la bouillie pour chat.
Et le summum de sa détresse intellectuelle, c’est quand il déclara qu’il ne se soumettra jamais à la réalité. Une petite souris qui se cacherait sous la table des débatteurs aurait envie de lui venir en aide : ô malheureux ne dis pas ça, dis plutôt que tu veux faire comme l’Homme avec un grand H, c’est-à-dire agir et transformer la réalité pour que la jungle devienne une cité d’hommes et de femmes vivant sur un pied d’égalité. Hélas, pour Z, la petite souris n’était pas sous la table. Il s’enfonça alors dans le déni de la réalité. Pourvu qu’un de ses amis lui rappelle que les étrangers ont les pieds sur terre et ne sont nullement étrangers à eux-mêmes. D’une certaine manière, ces étrangers le plaignent de le voir s’agiter dans la société du paraître, des m’as-tu vu, une société courant en permanence vers on ne sait quoi, l’oubliera demain comme tant d’autres avant lui, le livrant à la solitude et peut-être même aux regards torves de passants qui le torpilleraient de la haine qu’il a aidé à se répandre.
A. A.
1- Ibn Khaldoun comme tant de penseurs étrangers ne labourent pas le paysage culturel français. Ces penseurs sont connus uniquement des cercles universitaires. Voilà pourquoi l’imaginaire de Zemmour est aux antipodes du poète Jacques Prévert : Etranges étrangers/Vous êtes de la ville/vous êtes de sa vie/même si mal en vivez, même si vous en mourez.
2- Allusion à la Fable de Jean de La Fontaine. Zemmour aurait dû citer Napoléon Bonaparte qu’il admire : «Du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent» ! ça change du corbeau perché sur les plateaux de télé.
3- Allusion au gouvernement de Pétain qui a déchu les juifs algériens de leur nationalité française acquise par le décret Crémieux le 24 octobre 1870.
4- La perte du statut de la France, jadis grande puissance économique et militaire, n’a aucun rapport avec la présence des immigrés. Pareille lecture est d’une médiocrité abyssale au regard des effets de la mondialisation, de l’émergence de grandes puissances économiques et de la perte des colonies qui ont échappé indirectement au commerce international de la France.
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