La mémoire et la mission civilisatrice
Une contribution de Saâd Hamidi – Des deux rentes, quelle est celle qui est cruellement ignoble de celle qui est noble ? Celle hypocritement élevée au rang de la «mission civilisatrice» ou celle qui porte sur la mémoire que vous appelez, pour la circonstance, rente mémorielle. Celle qui est drapée dans les limbes du crime contre l’humanité, de l’arrogance et de la barbarie ou celle appelant au souvenir et au respect des martyrs pour que les blessures encore béantes ne sombrent pas dans l’oubli. A vous de choisir entre ce que les colons ont apporté comme inhumanité à l’Algérie et une mémoire lucide et apaisée qui rejette votre œuvre civilisatrice afin que jamais un humain ne fasse subir à un autre humain l’affront de le «civiliser» contre son gré tout en le décimant.
«L’Algérie a fait de moi un homme», disait Mandela, c’est ma seconde patrie. L’Algérie est le phare de la liberté. L’Algérie est le flambeau de l’espoir. L’Algérie est le symbole de la résistance. L’Algérie est une flamme éternelle. Vous n’étiez pas encore né quand Amilcar Cabral disait que les musulmans vont à La Mecque, les chrétiens vont au Vatican, les révolutionnaires, quant à eux, font leur pèlerinage à Alger. Mais vous ignorez tout ça ! Déjà, l’Emir Abdelkader, dans ses louanges des us et coutumes et contrées algériennes, disait à votre général fanfaron, arrogant et ignare : si tu savais mais tu l’ignores, combien l’ignorance engendre de maux ! Adolescent, vous avez pratiqué le théâtre, plus spécialement dans la pièce de théâtre La Comédie du langage, sous l’œil langoureux et intéressé de votre femme, mais vous incarnez mal les différents personnages que vous vouliez habiter.
Je vous le dis, La Comédie du langage ne passe pas lorsqu’il s’agit de transgresser l’histoire d’un peuple millénaire. L’ambition vous tourne la tête et vous mélangez le réel et le virtuel. Ceux qui vous connaissent disent qu’il y a chez vous un «hyper-conformisme mâtiné d’un peu de transgression et d’une certaine bienveillance à l’égard de la culture de masse». L’habit présidentiel ne vous sied pas, le personnage du début du mandat présidentiel s’est déjugé en fin de parcours, par calcul électoral mesquin, en sortant toute la haine qui l’habite avec une bonne dose d’hypocrisie, la plus française des vices, soit dit en passant. Vous êtes un pur produit de la finance qui vampirise tout sur son passage.
Cabral, encore lui, a compris que le capitalisme effronté, dont vous êtes admiratif, tend à déshumaniser le sujet colonisé. Il y a d’autres dimensions liées à la liberté, la dignité et à la terre qui fait que c’est cette appartenance sacrée, profonde et charnelle a poussé l’Algérien, et aussi tout colonisé, à résister et à défendre son humanité. Vous ignorez tout ça, mais nous avons un projet pour vous : civiliser votre âme avilie par la perversion de la société du spectacle.
Voulez-vous nous voir rejoindre votre rhétorique et présenter la barbarie immonde comme une œuvre de Lumière ? Dès qu’on parle du colonialisme, vous sous entendez : ces indigènes qui ne sont pas reconnaissants des bienfaits de notre savoir, culture, développement et instruction. Les colons, dont vous incarnez le modèle type voulaient, comme vous aujourd’hui, élever l’âme des indigènes. Tel était le projet exaltant de la «mission civilisatrice» cher aux coloniaux ! Il ne vous échappe pas, Monsieur Macron, que la «mission civilisatrice» repose sur trois piliers : la mission religieuse, la santé et l’éducation. Le peuple algérien n’a que de mauvaises nouvelles à vous apprendre. Primo, il est resté profondément attaché à la religion musulmane. Secundo, nous nous portons bien sans vous et ce, malgré les enfûmades et autres sévices. Tertio, le taux d’alphabétisation est incommensurablement élevé que pendant la colonisation. Le projet colonial a échoué sur toute la ligne ! Comme vos prédécesseurs colons, vos propos sont inouïs de violence.
Ecoutons Frantz Fanon qui parle du colonialisme, dans son livre L’an V de la révolution algérienne, comme principalement une fonction du maintien de la violence. Cette dernière a une triple dimension. Elle est violence dans le comportement quotidien du colonisateur à l’égard du colonisé, violence à l’égard du passé du colonisé «qui est vidé de toute substance», et violence vis-à-vis de l’avenir, «car le régime colonial se donne comme devant être éternel». Mais la violence coloniale est en réalité un réseau, «point de rencontre de violences multiples, diverses, réitérées, cumulatives», vécues aussi bien sur le plan de l’esprit que sur celui «des muscles, du sang».*
Le sang des martyrs, l’attachement viscéral à la terre, les archétypes, les mythes et symboles qui fondent la société algérienne en tant que nation n’obéissent pas au marchandage électoral et consumériste.
Monsieur Macron, le peuple algérien vous a déjà révoqué. Vous n’êtes pas apte à un deuxième mandat. Le cas échéant, ledit mandat sera trop long pour vous. Le peuple algérien a une mémoire.
S. H.
(*) De la scène coloniale chez Frantz Fanon, Achille Mbembe. Dans Rue-Descartes 2007/4 (no 58), pages 37 à 55.
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