Un avocat français conseille à Macron de peser ses mots en parlant de l’Algérie
Par Mohamed K. – «C’est une crise qui provient beaucoup de l’insatisfaction de la partie française qui estime avoir beaucoup donné et peu reçu. Les formes de cette insatisfaction sont, cependant, particulièrement rudes et il y a eu des déclarations du président de la République qui, c’est vrai, telles qu’elles sont et quand on connaît l’extraordinaire susceptibilité qui existe dans les relations entre les deux pays, ne pouvaient pas passer», a affirmé l’avocat français Jean-Pierre Mignard.
Décrit comme un «familier de l’Algérie», maître Mignard, qui a accompagné Emmanuel Macron en Algérie en 2017, alors qu’il n’était encore que candidat à la présidentielle française, se dit être en «désaccord» avec ce dernier quand il évoque une rente mémorielle et nie l’existence de la nation algérienne avant la colonisation française, «parce que, historiquement, la nation est un concept occidental très français et un concept très récent», a-t-il dit, en expliquant que «des peuples peuvent exister, avoir une culture, une civilisation, une société, des formes de vie juridiques entre eux et ne pas être une nation constituée». «Donc, je pense que c’est faux, c’est une vieille notion coloniale qui consiste à dire qu’avant nous il n’y avait rien ; or, ce n’est pas vrai, avant l’arrivée de la France, il n’y avait pas rien, la preuve en est qu’on s’est quand même servi du trésor algérien, etc.», a-t-il rappelé.
Pour cet ami proche de François Hollande, «c’est la phrase de trop» car «il faut faire extrêmement attention avec ça». «Là, je pense, en effet, qu’il y a dérapage», a-t-il insisté, en se disant persuadé que c’est la déclaration de Macron sur Tebboune et le système qui n’a pas été appréciée à Alger. «Quand on qualifie le régime algérien sous une forme très péjorative, on a le droit d’opposer ce qu’on veut», a-t-il soutenu. «L’histoire de l’Algérie a de tout temps été une histoire où le pouvoir civil et le pouvoir militaire étaient très imbriqués. Sur ce point, ce n’est pas une nouveauté. Les Algériens le disent eux-mêmes. La question est : faut-il le dire comme ça ? Le dire comme ça, c’est évidemment ne pas pouvoir connaître que cela va entraîner derrière une réaction, une grande colère», a-t-il poursuivi.
«Ce qui me semble déterminant, a encore dit l’auteur de L’Empire des données : essai sur la société, les algorithmes et la loi, c’est qu’on ne peut pas, historiquement, dire qu’avant la colonisation, il n’existait rien, parce que cela sous-entend que la colonisation était un facteur de civilisation, un facteur de constitution d’une nation qui, sans la colonisation, n’existerait pas.» «Je comprends très bien que ça ne peut pas passer chez les Algériens», a-t-il assuré, en estimant que le conflit algéro-marocain «est un problème pour la France qui est terrifiée à l’idée de devoir choisir». «Ça, c’est une certitude. En même temps, être neutre, c’est toujours se voir reprocher une neutralité trop bienveillante vis-à-vis de l’une ou de l’autre des parties», a-t-il renchéri. «Ce qui est certain, c’est que ce qui vient de se passer entre la France et l’Algérie fait presque partie physiquement du Maroc, peut-être provisoirement l’interlocuteur avec lequel les relations sont normales, en tout cas, meilleures et cela ne va rien arranger», a-t-il expliqué.
Interrogé sur les raisons internes qui auraient pu pousser le candidat à sa propre succession à tenir les propos qui ont provoqué l’ire des autorités en Algérie, Jean-Pierre Mignard a répondu que «c’est vrai que pour l’extrême-droite, la question de la Guerre d’Algérie est toujours là, la question d’une espèce d’humiliation qui aurait été tirée de ce que l’indépendance algérienne aurait été faite à notre détriment, oui, tout ça existe, on sent bien qu’il y a un électorat qui peut toujours être concerné par cette question». «C’est sans doute, d’ailleurs, la raison pour laquelle on hésite au transfert des cendres de Gisèle Halimi au Panthéon, la plaie n’est pas refermée», a-t-il fait remarquer, en concluant que «cette question [la Guerre d’Algérie, ndlr] peut être aujourd’hui mise dans le débat électoral aux fins de calmer, de neutraliser une opinion revancharde en France».
M. K.
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