Discours de Macron : décoloniser les idées en débusquant la manip des mots
Une contribution d’Ali Akika – La voie sûre, les moyens efficaces pour faire reculer l’aliénation idéologique, c’est de faire un séjour dans la gueule du loup de l‘oppresseur, expression de Kateb Yacine. Ce grand écrivain est aussi l’auteur de la langue française, butin de guerre. Des opportunistes toujours aux aguets ont détourné ces deux expressions à leur profit. Ils n’ont jamais vécu dans la gueule du loup pour sentir les crocs de cet animal sauvage. Et ils ont poussé le culot de retourner, restituer sous forme d’éloge, le butin de guerre conquis par la lutte et les souffrances. Comment ne pas être furieux contre ces petits soldats de «la littérature» qui détournent la belle langue d’Arthur Rimbaud, de Vallès, d’Eluard et de tant d’autres grandes plumes pour jouir d’une petite rente que le colonialisme honteux leur distribue. Il faut se poser la question pourquoi les Kateb, Dib, Boudjedra, Sénac n’ont jamais été inscrits au tableau de prestigieux prix littéraires. Cela dit, ces grands écrivains n’ont jamais souffert de cet oubli ou anomalie car ils savent, eux, ce qu’est la littérature de l’estomac.
Comme l’appareil idéologique de l’Occident ne produit plus grand-chose pour échapper à l’ennui, il invente des historiettes qu’il veut faire passer pour de la grande aventure de jadis. Parce qu’il a dominé le monde depuis quelque quatre siècles, il se croit autorisé d’effacer quelque 10 000 années vécues par d’autres parties du monde qui l’ont aidé à cultiver la terre pour enfin arrêter son harassante errance à la recherche de gibier pour sa pitance. Lui ont fait découvrir l’écriture pour communiquer, lui ont donné les secrets du papier pour écrire ses états d’âme, ceux de la boussole pour se repérer et enfin de la poudre pour s’adonner à son jeu préféré, comme en Amérique, massacrer des populations pour prendre leurs places.
Comme il ne peut évidemment pas effacer cette longue Histoire de 10 000 ans, il a cru pouvoir user d’un subterfuge pour arriver à son objectif, annoncer la fin de l’Histoire par la bouche d’un sociologue, Fukuyama, qui voulait sortir de l’anonymat et goûter au plaisir de la célébrité. Ce monsieur fit coïncider sa fin de l’Histoire avec le triomphe du capitalisme et son moteur idéologique, la démocratie libérale. Après lui, on eut un autre acteur qui, du haut de son magistère de président de la République française, déclara sans rougir que l’Afrique n’est pas encore entrée dans l’Histoire. Il n’a pas dû visiter le Musée des arts anciens à Paris où les trésors de ce continent ont inspiré les arts de la sculpture et de la peinture. Et le grand Picasso a peint Guernica, une fresque contre le fascisme qui allait montrer son visage hideux en inventant l’industrie de la déstructuration massive des hommes.
Après ces élucubrations de «polémistes et spécialistes», voilà que l’approche de l’élection présidentielle en France donne des ailes à ceux qui vont s’adonner aux joutes préférées d’électeurs nostalgiques d’un passé dénudé de ses horreurs. Et qui mieux que l’Algérie pour fouetter la fibre nostalgique de ceux qui ne reviennent toujours pas de la perte d’une telle perle que l’on crut amarrer à jamais à l’Hexagone. Oui, disent-ils, amarrer puisque ce pays n’existait pas comme nation. Comme si l’Egypte, la Grèce, Rome, la Chine qui étaient des mosaïques de peuples sans aucune frontière et dirigés par des «dieux» vivants n’ont pas laissé des héritages sur lesquels s’est construite la puissance de cet Occident arrogant. Bref, toutes les élucubrations entendues ici et là, nourries de balivernes et de petits mensonges de l’Occident, ont un dessein et désir secrets, rester number one du monde.
Après la domination directe, cet Occident veut, espère perpétuer sa domination par le langage. Arrêtons-nous donc sur cette notion de nation avec laquelle on croit impressionner le monde. Ce concept est né avec le capitalisme. Jusque-là, le pouvoir reposait sur des hommes/divinités (pharaon) et autres rois de droit divin (christianisme). Surgissent ensuite en Europe les révolutions avec l’émergence des classes bourgeoises et populaires qui imposèrent un nouvel ordre politique. Ainsi naquit la France en tant que nation à la suite de la bataille de Valmy (1792) menée par les armées révolutionnaires qui stoppèrent les monarchistes austro-prussiens venus sauver le roi de France Louis XVI de la guillotine. Un siècle plus tard (1871), la bourgeoisie bonapartiste déserta le champ de bataille et c’est le peuple de Paris (Commune de Paris) qui défendit et la nation et la République, toujours contre les Prussiens.
Et voilà que, de nos jours, ce sont les Zemmour et les Sarko qui veulent défendre la France contre qui ? Contre les étrangers. On a le courage que l’on peut et qui, plus est, avec l’appui des petits soldats qui s’en prennent aussi aux «dé-coloniaux» (1). Les petits soldats de la littérature de l’estomac cités plus haut dénoncent ces dé-coloniaux qui veulent récupérer et leur histoire et les trésors culturels, imaginés et fabriqués en Afrique. Ces rentiers de la littérature encore colonisée oublient ou ne savent pas que l’Histoire est à la fois la conquête, le témoin, la sentinelle des territoires libérés de l’ignorance. Au nom de quoi, il est des mots trempés dans l’acier pour cette indigne «littérature se permette de les remplacer par d’autres vocables. Je pense notamment à résilience, devenu une tarte à la crème, préféré à résistance (2). Le changement de vocabulaire sous l’impulsion d’une certaine idéologie cherche à désarmer l’homme face à la réalité et à son histoire. En clair, ce genre d’opération vise à extraire l’âme et la colonne vertébrale des mots qui ont une histoire pour les transformer en volutes de fumées qui s’évaporent aussitôt.
Ainsi, au nom d’une singulière mais néanmoins bizarre conception de l’histoire, l’Occident a construit son imaginaire de mots, de notions qui lui sied. Pourquoi pas ! Le hic, c’est qu’il veut l’imposer aux autres. Il a réussi son opération tant que les dominés étaient maintenus dans la solitude et la misère. Et quand ces dominés, qui n’ont jamais courbé l’échine, ont remis en cause leur situation, on leur a envoyé les chars pour rétablir l’ordre «naturel». Echec sur échec, voilà que cet Occident veut user de la formidable machine du mensonge et manipulation comme dernière et ultime arme avant le déclin.
Cette guerre menée avec des mots dévitalisés est un baromètre de l’état de santé politique d’une société qui ne trouve pas de réponse à ses inquiétudes.
Est-il besoin de dire que ce type de guerre est mené pour faire oublier une période coloniale trop lourde et trop sale pour être stockée dans une mémoire ? Voici un exemple type de ce refoulé qui ne trouve pas asile dans la mémoire et encore moins dans l’histoire. C’est celui d’un commentaire d’un journaliste de RTL qui a produit dans son papier du 7 octobre 2021 à 7h38 un modèle achevé de la désinformation. Invité à expliquer la tension entre la France et l’Algérie, il répond tout de go qu’il y a aussi tension avec l’Espagne. Que vient faire ici l’Espagne alors que le ministre espagnol des Affaire étrangères était reçu ce jour-là en grande pompe en Algérie ? Ensuite, le journaleux passe au Maroc où, dit-il, l’Algérie venait d’annoncer la fermeture du gazoduc. Sur la tension avec la France provoquée par la restriction des visas et, surtout, les déclarations du président Macron, pas un mot.
Que penser d’un journaliste qui ne répond pas à la question et préfère parler d’autres pays qui n’ont aucun lien dans la tension France/Algérie ? J’y vois une sorte de schizophrénie chez ce journaliste dont la lecture des événements est guidée par le refoulé de sa haine de l’Algérie. La conduite de ce journaliste est l’exacte traduction de la manipulation sur la guerre d’Algérie que l’on veut réduire à une simple mémoire à commémorer chaque année et non de l’Histoire avec un grand H. Après nous avoir vendu la mémoire blessée avec effet de larmes assuré, en attendant le moment propice pour nous jeter plus facilement à la figure «en 62, l’Algérie n’était pas une nation». Et dire que certains naïfs chez nous ont repris à leur compte l’expression de mémoire commune, histoire commune et patati et patata.
A. A.
1- Les dé-coloniaux sont un mouvement de résistance culturel et idéologique, né aux Etats-Unis, qui combat l’écriture de l’histoire coloniale. Les autochtones amérindiens et les Noirs américains, ces descendants des esclaves, veulent remettre le torrent de l’histoire dans son lit pour mettre en lumière les vérités de la conquête du «nouveau monde».
2- Résilience, mémoire blessée, histoire commune sont autant de «nouveautés» qui forment le socle d’une nouvelle «philosophie». Celle-ci demande aux victimes de ne pas se complaire dans leur statut de victime. Elle recommande de surmonter leur traumatisme pour pouvoir démarrer une nouvelle vie. Ça sent la manipulation. Cette philosophie vise à faire taire les victimes qui, évidemment, ne luttent pas pour leur «pomme» mais pour que leur peuple ou communauté soient réhabilités dans leur dignité… Palestine, Rwanda, Arméniens, Amérindiens, Noirs américains, etc.
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