Ce que révèle une étude psychologique et groupale de Nadia Kacha sur le Hirak
Par Farida O. – La psychologue Nadia Kacha a réalisé une étude «psychologique et groupale» sur le Hirak, qu’elle qualifie d’«épisode social très fort». Publiée dans la revue suisse Tribune Psychanalytique, l’auteure note que le mouvement de contestation populaire du 22 février 2019, «par sa structure horizontale, sans leader et par ses rassemblements réguliers, s’est offert, malgré lui, comme une immense enveloppe de maternage». «Les lieux de regroupements choisis, les horaires, le rythme, la durée dans le temps ont déterminé un cadre approprié pour fonctionner comme un groupe thérapeutique», estime-t-elle.
Pour cette thérapeute, «ce groupe a permis de retrouver un contenant protecteur et un contenu rassemblé». «Cette fonction contenante avec la mise en place d’une enveloppe délimitant un dedans et un dehors, rejouant le nous et eux, a aménagé un lieu de pensée, une aire de symbolisation. Le groupe a rétabli ainsi la circulation fantasmatique. Les mécanismes du groupe ont facilité pour chacun la reconnaissance de son propre vécu au travers de ceux exprimés par les autres. Chacun a perçu alors les sentiments que les autres ont ressenti : peur, honte, impuissance, culpabilité», explique-t-elle.
«Les revendications ont rencontré un écho chez tous les membres. De cette façon, le groupe a éprouvé une émotion commune qui l’a lié. Une émotion qui a figuré l’appartenance à un même corps», précise encore la formatrice au Centre d’information et de recherche en psychologie et psychanalyse appliquées (CIRPPA). «On était tous identifié au groupe, on était tous pareils, il n’y avait pas de différence. Il y avait exigence d’égalité de chacun de ses membres. Toute différence était abolie, pas de différence de sexes, ni de générations. Il y avait évitement de tout ce qui pouvait faire perdre l’unité», ajoute-t-elle.
Nadia Kacha souligne, par ailleurs, que «ce sentiment très fort, appelé illusion groupale, provient de la substitution du moi idéal de chacun, au moi idéal commun» où «l’identité de chacun est remplacée par une identité de groupe». Cet état fait que cette «illusion groupale a une fonction unificatrice et elle est une pulsion libidinale très forte. Elle permet de se vivre comme un groupe fort, puissant. C’est un moment fondamental dans les groupes, car le groupe investi, comme objet libidinal devient un lieu de restauration narcissique». «Etre tous ensemble, penser la même chose, ressentir les mêmes émotions, se vivre comme un bon groupe au détriment de ceux qui sont à l’extérieur du groupe et vécus comme des persécuteurs est un sentiment de toute-puissance très fort et réparateur. Les sujets vont pouvoir se reconstruire en s’étayant les uns sur les autres», relève la psychologue, selon laquelle «cette matrice dynamique va permettre une restauration psychique des enveloppes effractées par les différents traumatismes».
«Le Hirak a pu utiliser différentes enveloppes pour éprouver des sensations communes. On les retrouve toutes, l’enveloppe visuelle puisque le Hirak est une foule colorée arborant les couleurs du drapeau sous toutes ses formes, écharpes, chapeaux, casquettes, robes, T-shirts. L’enveloppe sonore avec les cris, les chants, les slogans, les claquements de mains, l’enveloppe tactile avec le contact des personnes qui se touchent pour se conforter, ou pour marquer son attention, l’enveloppe sensorielle avec la chair de poule qui se manifeste à l’écoute d’un chant patriotique, l’enveloppe de parole avec les slogans répétés à l’envi», développe l’auteure de Groupe et victimes de traumatisme.
«L’investissement de ces enveloppes a permis de se servir de toutes les potentialités du groupe pour refaire le chemin de la reconstruction de l’identité. La force d’être ensemble procure de la joie, c’est une ébullition d’énergie, d’idées. Les plus âgés, aux racines profondes se nourrissent de l’énergie des jeunes», note Nadia Kacha, avant de s’interroger : «Peut-on alors comparer le groupe Hirak aux groupes de personnes traumatisées ?» «Il apparaît que le Hirak a pu vivre une illusion groupale fondatrice et structurante», répond-elle, en concluant que le Hirak peut être perçu comme ayant «permis de renouer les liens détruits et de réinscrire les Algériens dans leur histoire».
F. O.
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