Contribution de Slim Bensali – Maire et notable ou la base de l’ère démocratique
Une contribution de Slim Bensali(*) – La haine et la hargne avaient frappé, en profondeur et dans les entrailles, jusqu’à bouleverser grands et petits. L’irréparable, l’incurable, le funeste et l’inconcevable lynchage s’était produit, laminant l’imaginaire de toute la société. Horrible et abominable, odieux et abject ce qui s’était passé, avait-on dit. Terrible et périlleux, détestable et haïssable, ce qu’on avait vu et entendu, avait-on dit aussi. Et pour apaiser et tranquilliser, s’excuser et se démarquer, et même écarter le déshonneur et éloigner la salissure, à qui avait-on fait appel, s’il vous plaît ? Aux notables de la contrée.
Des gamins, majeurs et un peu plus âgés, s’étaient rassemblés en bandes organisées pour s’expliquer, et à coups de pierre et de sabre, s’étaient battus. De certains balcons, on les avait filmés et sur les réseaux sociaux on les avait dénoncés et leurs méfaits y avaient été étalés. Et pour les raisonner, les réconcilier et les inciter à s’arrêter, à qui avait-on fait appel, s’il vous plaît ? Aux notables des quartiers.
Un jour, un jeune homme, sans se soucier et sans se gêner, s’était aventuré à ramener dans son logis sa petite amie avec qui sa liaison n’avait été déclarée ni par des youyous ni avec des papiers. Il s’était fait prescrire l’indignation, la colère et l’irritation de ses voisins de la bâtisse et du palier. Mais à travers qui pensez-vous, s’il vous plaît ? Les notables de l’immeuble désignés.
Le notable, cet homme prétendument imprégné de discernement, choisi pour sa supposée sagesse, sa lucidité et sa clairvoyance, et qui n’a pas de bureau et ni siège dans aucune institution, est toujours appelé par nécessité dans certaines affaires qui, parfois, et dans notre imaginaire, dépassent le cadre de l’autorité et du système qui nous régit. Son influence et son rôle à répondre aux ardeurs de ceux qui le sollicitent sont aux antipodes de ceux de Monsieur le maire, cet élu, pourtant choisi et sélectionné par les habitants de sa localité.
Dans ces pays ayant adopté la démocratie comme art de vie, le maire est celui qui répond aux demandes de sa communauté et régente les besoins et les nécessités de ses administrés. Il est celui qui s’enquiert et s’inquiète pour le bon déroulement de la vie dans sa localité. A la fois gestionnaire et régulateur, assistant et facilitateur, il sait aussi être l’arbitre et le confident et assure la paix, la quiétude et la tranquillité. Se battre pour le développement de sa commune fait partie de ses prérogatives juridiquement bien définies. Contrairement au notable, qui n’est comptable devant personne pour ses actes et ses gestes, le maire doit, dans sa mission, rendre compte aux électeurs et contribuables qui sont, bien sûr, ses administrés.
Dans ces pays démocratiquement gouvernés, entre le maire et le notable, le choix ne s’y impose pas car la notion de notable n’existe pas et il n’y a que le maire pour chapeauter l’institution localement reconnue. Dans ces pays gouvernés plutôt par des règles ancrées dans leur passé et héritées de leurs aïeux très éloignés, c’est au notable de faire valoir ses responsabilités et les placer au-dessus de tout pouvoir établi.
Drôle de comportement dans notre pays où, d’un côté, tant d’efforts sont déployés pour élire et installer le maire dans ses responsabilités et, de l’autre côté, l’ignorer et l’écarter dans ces affaires sociétales, à nos yeux et dans notre imaginaire, compliquées et alambiquées. L’existence du maire n’est reconnue que sur papier et dans les sphères de la hiérarchie alors que nos émotions, nos cœurs et nos âmes systématiquement pointent vers notre éclairé et averti notable.
Pour quelles raisons, cette ambigüité existe et persiste dans notre société ? Faut-il, peut-être, chercher ses causes dans ce fossé excavé qui s’était constitué, et depuis une éternité, entre la base et le sommet, ainsi qu’entre la communauté et ceux qui ont chapeauté sa destinée ? Ou simplement l’endosser à notre façon de penser, archaïque, vieille et dépassée et qui continue à nous fait dire que la grande responsabilité est une affaire de nos personnes âgées, aux cheveux blancs ou argentés, et non pas celle des autorités ?
La démocratie est cet art de vie qui se cultive et qui se nourrit. C’est aussi cet ensemble d’institutions et d’assemblées, dont les membres doivent être, par nous-mêmes, sincèrement élus et honnêtement choisis, sur la base de leurs compétences avérées. Un ensemble qui commence à la base et va jusqu’au sommet, du maire du village au grand chef de la contrée, en passant par certains commis à l’intérieur de la pyramide établie.
Chez nous, dans notre pays, bien que les institutions aient toujours existé, depuis toujours installées et mises sur pied, le commun des mortels ne les a jamais consciemment reconnues. Ce n’est, pour lui, qu’un Phantom qu’on peut, paradoxalement, voir, palper et toucher mais sans jamais le percevoir. Depuis des décennies, incultes et illettrés, de même que ceux instruits et érudits, discourent et bavardent de cette notion de démocratie, dans les rues de nos villes, nos villages et nos quartiers. On en parle sur YouTube et sur des plateaux TV, mais sans être sûr, pour dire la vérité, si on est honnêtement prêt à la vivre et l’exercer.
Chez nous, dans notre pays, il est encore question de la dechra et du douar, de tajmaât et des arouchs, du cheikh de la zaouïa et de l’imam, ainsi que d’hommes du quartier, aux moustaches et aux barbes bien fournies. Le maire, bien que choisi et élu, certainement pas de la manière espérée et attendue, diront certains, et ayant à sa portée l’institution de la sureté, ne peut à aucun moment intervenir, dès qu’il s’agit d’affaires concernant la dignité ou l’honneur de la communauté.
Dechra et douar ont juridiquement depuis longtemps été remplacés par la daïra et la commune mais, jusqu’à présent, et dès qu’il s’agit d’affaires embrouillées et compliquées, touchant à l’honneur ou la dignité, et pouvant constituer une tache d’huile sur le dos de la communauté, on continue, comme si de rien n’était, et sans rien changer dans nos mentalités, pris dans l’étau du réflexe d’antan, à faire appel à notre tonton, le respectable et respecté notable.
Bientôt, nous serons appelés à choisir et élire notre maire, comme ce fut le cas depuis l’indépendance de cette valeureuse et juvénile contrée. Un geste simple et facile à exercer mais, en réalité, d’une lourde responsabilité.
Allons-nous, cette fois-ci, choisir notre maire sur la base de ses compétences à bien gérer les affaires de la communauté et ses capacités à mieux s’impliquer dans l’édification du bien-être de ses administrés, ou continuons-nous, comme par le passé, à promouvoir des spécimens de l’idiotie et de la niaiserie dont certains étaient, parfois, parfaitement illettrés ? Allons-nous, cette fois-ci, saisir cette opportunité pour nous éloigner du clanisme et de l’affairisme et octroyer au maire les pleines potentialités de la gérance des préoccupations de la communauté ? Sommes-nous prêts à embrasser cette nouvelle ère de démocratie en se limitant au strict respect de ses institutions structurées tout en disant adieu à notre notable, longtemps honoré ?
Cette jeunesse qui a tant émerveillé doit encore se réveiller et se mettre au diapason de la démocratie pour construire cette nouvelle Algérie dans laquelle la compétence et l’érudition reprendront le dessus sur la balourdise et la niaiserie. Et, comme vous le savez, ça commence à la base, dans la commune et le village, avec le judicieux choix de notre respectable et valeureux maire.
S. B.
(*) Ecrivain
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