La rente de pétrole enterrée par une économie créatrice de richesse ? A voir !
Une contribution d’Ali Akika – Avant de tenter de cerner les réformes structurelles annoncées par le Premier ministre, il n’est pas inutile de regarder dans le rétroviseur les politiques économiques depuis l’indépendance. La récupération des matières premières du sous-sol (pétrole et gaz) a permis sous la présidence de Boumediene de lancer le fameux programme de l’industrie industrialisante. Le pays optait ainsi pour la réalisation d’une industrie lourde grâce aux revenus du pétrole/gaz. Pour de multiples raisons difficiles à étayer ici, cette politique fut stoppée à la mort de Boumediene. Chadli, son successeur, inaugura une nouvelle politique dite infitah (ouverture). Une notion quelque peu «honteuse» pour ne pas la nommer libéralisme. Les unités industrielles héritées de la période Boumediene furent divisées en petites unités sous prétexte de gestion plus facile à maîtriser. Plus tard, ces petites unités furent cédées à une classe en formation de petits capitalistes (1).
Le pays passa ainsi d’un capitalisme d’Etat sous Boumediene à un «capitalisme» géré non pas par des capitaines d’industrie (enfants d’une accumulation du capital, phase classique de l’économie moderne), mais par de petits caporaux d’une économie de bazar. Avec Bouteflika, cette politique enfonça le pays dans un libéralisme débridé où l’économie de l’import devenait le stade suprême de «l’économie moderne». Chacune de ces étapes fut confrontée à des obstacles politiques intérieurs et des contraintes extérieures. L’effondrement de l’URSS et l’émergence de la mondialisation ne sont pas étrangers à l’installation d’une politique libérale confiée à des gestionnaires et des politiques qui révélèrent leurs limites à saisir les bouleversements sur la scène internationale, comme la perestroïka de Gorbatchev et la prise du pouvoir par le capitalisme financier, enfant chéri de la mondialisation….
Nous voici aujourd’hui devant des réformes annoncées par le gouvernement, dans un monde où de féroces guerres économiques et géopolitiques vont peser sur leur application sur le terrain. Ces réformes ont l’ambition de réaliser le passage d’une économie de la rente à celle de la création de richesses en se basant sur de nouvelles structures. Pour se faire une idée de l’ambition affichée, il est utile de savoir ce qui se cache derrière pareilles notions et concepts connus parce que théorisés dès l’apparition de l’économie capitaliste…
Jusqu’ici, les notions de rente, création de richesses, réforme de structures étaient étouffées chez nous par «l’économie» informelle et le commerce «hallal», fleurons de l’époque «bénie» de l’économie de bazar. Avec les réformes annoncées, on nous promet d’entendre une autre musique disant adieu à la rente et que vive la création de richesses. Ce n’est certes pas une révolution mais au moins une satisfaction pour l’esprit de voir le concept de travail reconnu comme source de la richesse.
C’est pourquoi il ne faut pas rater le coche et espérer que chacune des notions citées soient saisies dans leurs noyaux durs et non se satisfaire de la peau qui recouvre un fruit. Une fois le noyau dur cerné, il ne faut pas oublier les liens qui unissent les facteurs de production qui sont les clés, le sésame pour que l’éventuel fruit cueilli soit consommable et vendable et sur le marché intérieur et à l’international. Il ne faut surtout pas écouter le FMI, ce vendeur de rêves, qui veut imposer ses propres réformes pour que les seigneurs de l’économie dominante continuent à déverser leurs gadgets sur les marchés dépendants et toucher des intérêts, payés rubis sur l’ongle, de la dette imposée aux pays qui croient à leurs balivernes. Et enfin que le temps devienne à part entière un facteur de production. Car des logements, dont la construction est programmée pour un certain délai, voient ce délai multiplier par deux, trois, quatre fois.
Pareil rapport au temps mène non seulement au désastre économique mais aussi social. Car les familles qui, entretemps, continuent de vivre entassées les unes sur les autres, engendrent des coûts sociaux payés en maladie, frustration, divorce, mendicité des femmes et enfants…. Si on ajoure, un scandale parmi d’autres, par exemple, celui des autoroutes construites au rythme d’une tortue et à coup de milliards qui s’évaporent au détriment de la solidité des routes, des ponts et autres viaducs, on devine où va la rente. Egrenons les concepts que l’on trouve dans le corps des réformes annoncées.
La rente. Pour les théoriciens, aussi bien les classiques comme Ricardo et Smith que pour Karl Marx, la rente n’est pas à proprement parler une richesse. Cette notion est accolée à l’économie agricole où la fertilité de la terre (un «don» de la nature) donne une production d’une plus grande qu’une terre moins «favorisée» par ladite nature. En Algérie, la rente est accolée au pétrole/gaz mais pour extraire cette matière première du sous-sol, il faut d’emblée utiliser du gros et puissant matériel et du travail. Ce n’est donc pas tout à fait une rente dans le sens donné par les pères de l’économie politique (2). Si ce concept s’est imposé dans le discours en Algérie, c’est parce que cette «richesse» serait naturelle. Or, ladite richesse du pétrole est créée par le travail de l’homme. C’est l’utilisation, la distribution et la consommation de cette richesse qui pose un problème. En vérité, cette «nature» devenue richesse, grâce à un travail, n’a pas servi à l’accumulation du capital, concept fondamental dans le décollage d’une économie.
Cette accumulation dite du capital permet l’investissement dans l’agriculture, industrie, école/université, formation technique d’une main-d’œuvre, santé, route, barrage, etc. Faute d’investissements rationnels et bien menés, la rente dite de pétrole a servi à financer l’importation pour combler les handicaps d’une économie incapable de produire et de répondre aux besoins du pays. Donc, la rente «pétrolière» pensée et gérée autrement aurait dû servir à l’investissement, lequel va produire d’autres richesses, lesquelles, à leur tour, produisent des richesses, etc. C’est le moyen et le secret pour se détacher peu à peu des contraintes de l’extérieur, d’arracher cette satanée rente à cette catégorie sociale de patrons parasitaires qui bricolent en achetant des kits à assembler, en se faisant passer pour des industriels.
Inutile de s’attarder sur la définition de la richesse et de son existence car tout un chacun connaît la seule richesse exportée chez nous, c’est-à-dire le pétrole/gaz et on connaît son détournement et ses bénéficiaires «élus» par on ne sait «qui».
En revanche, ce qui doit retenir l’attention, ce sont les structures que l’on doit envisager de mettre en place pour stimuler le courage, le goût, le plaisir et l’incitation à investir dans les secteurs économiques, sociaux et culturels qui feront du pays et de la société une machine bien huilée qui ne se laisse pas surprendre par des aléas de la rude et implacable compétition internationale…
Les réformes des structures. Il est évident que cette notion renferme à la fois du politique et de la technique qui doivent découler d’une vision du monde. Celle-ci se nourrit de l’histoire, de la culture, de l’ouverture sur le monde et ne doit pas souffrir du charlatanisme, de l’archaïsme des zombies qui lisent le monde avec des lunettes embuées par l’ignorance. Par politique, on entend les catégories sociales sur lesquelles on s’appuie, les secteurs à développer, la nature et la qualité des besoins à satisfaire et l’écoute des citoyens pour asseoir le rapport Etat/société régie par la seule légitimité qui vaille, celle de la souveraineté du peuple. Enfin, il est un domaine abandonné au silence, c’est la gestion et la répartition de la population sur le territoire. Jadis, ces deux notions entraient dans la politique de défense d’un pays (3). De nos jours, le territoire et son occupation par des populations conscientes relèvent de la nécessité de protéger la nature et qui apporte un plus au développement économique.
En résumé, pour ne pas connaître les déboires des différentes «réformes» antérieures depuis l’indépendance, il faut passer par le politique qui pense la complexité des choses et s’en donne les moyens. L’économie et le développement ne sont pas la chasse gardée des technocrates. Ces derniers doivent confronter leurs idées et propositions à celles qui existent dans la société. Ces confrontations d’idées et d’opinions participent à l’enrichissement de la réflexion théorique. Un exemple parmi tant d’autres saute aux yeux du citoyen lambda. Le pays n’a pas d’un réseau bancaire mais plutôt une somme d’agences qui ne prennent aucune décision sans téléphoner au préalable à la maison-mère à Alger (4).
A. A.
1- Il serait intéressant de comparer les expériences dans le monde quant à l’émergence d’une classe capitaliste pour comprendre le «secret» de leur réussite ou de leur échec. L’exemple de la Chine est un cas d’école. Un pays communiste où s’est formé une classe de grands capitalistes à l’intérieur d’un Etat communiste, qui a réussi à hisser son économie qui rivalise avec les Etats-Unis. Et le plus remarquable, c’est que dans le domaine de la science, les planètes Lune et Mars, l’intelligence artificielle l’ont hissé au top niveau de la technologie.
2- La rente du pétrole chez nous est constituée par la qualité du pétrole algérien et de sa proximité des marchés des grands pays industrialisés (Europe). C’est donc une petite rente appelée rente différentielle, mesurée par la différence entre la valeur du travail nécessitée par son extraction et le prix sur le marché. Le marasme de l’économie est donc dû plutôt à d’autres paramètres qui vont d’une certaine vision du monde, de l’incompétence, en passant par le détournement des richesses par le biais de la corruption. Corruption d’une catégorie sociale de gens qui sont devenus des «capitalistes» nés dans le giron du pouvoir ou de leur proximité avec l’appareil de l’Etat. Les résidents «huppés» d’El Harrach en sont les symboles.
3- On connaît l’héritage de l’histoire de l’organisation des territoires à travers la fameuse muraille de Chine, les forteresses de Vauban en France installées aux frontières et des voies de pénétration d’un éventuel ennemi. En temps de guerre, l’occupation du sol par les populations locales approvisionnent l’armée de défense et piège l’agresseur, Stalingrad en est un noble symbole.
4- J’ai voulu échanger mes devises mais le «banquier» a refusé de faire cette simple opération de change. Pourquoi ? Ma carte d’identité était périmée depuis quelques mois. Autre aventure burlesque. Pour un retrait sur mon livret d’épargne, il faut aller à l’agence locale le matin et revenir l’après-midi prendre possession de son argent, en fonction de la réponse d’Alger. Bonjour le tourisme !
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