L’agriculture en Algérie ou comment nourrir 45 millions d’habitants en temps de crise
Djamel Belaïd nous propose un ouvrage(*) de partage de connaissances sur l’agriculture algérienne contemporaine à travers une double approche : la rigueur des chiffres et l’éclairage des acteurs. Il s’agit d’une analyse d’autant plus utile à la compréhension et à l’aide à la décision qu’elle fait appel au concept de système alimentaire.
Un narratif édifiant
Le constat statistique, confirmé par le narratif d’une trentaine de responsables politiques, de chefs d’entreprise et de chercheurs est édifiant : l’Algérie parvient aujourd’hui à nourrir ses 43 millions d’habitants au prix élevé d’une forte dépendance externe (70% des calories alimentaires consommées sont importées) et de problèmes à la fois quantitatifs (inégalités entre citoyens) et qualitatifs (maladies chroniques d’origine alimentaire). On peut donc bien parler d’une situation d’insécurité alimentaire, d’où le constat de Nicolas Baverez, repris par Djamel Belaïd «l’Algérie en sursis». En effet, la chute du prix du pétrole dans la décennie 2010 rend de plus en plus difficile le paiement d’une lourde facture alimentaire sur les marchés internationaux (plus de 8 milliards de dollars américains en 2019), et les multiples réformes pour améliorer les performances du système alimentaire en Algérie peinent à produire des effets.
Ce diagnostic lucide est bien argumenté par l’auteur qui mobilise de solides travaux d’universitaires algériens : démographie galopante et population concentrée sur le littoral, handicap des conditions géo et agro-climatiques, séquelles de la colonisation puis de la période de collectivisation des terres (grands domaines autogérés) sur le statut du foncier, déficit de la chaine des savoirs (R&D, formation scientifique et professionnelle), incomplétude de l’organisation des filières, défaillances de marché et des politiques publiques.
Des portraits emblématiques et un message d’optimisme
Sagement, Djamel Belaïd ne cède pas aux sirènes des théories de l’effondrement et des collapsologues. A travers ses portraits emblématiques qui charpentent les neuf parties de son ouvrage, il transmet un message d’optimisme. Ainsi, pour prendre quelques exemples, Abdellatif Benhamadi et Mohamed Atouat, agriculteurs dans le Constantinois, qui, grâce à la technique du semis direct, obtiennent sur leurs terres des rendements supérieurs de 40% à ceux de l’agriculture «conventionnelle». Par la mise en valeur des vastes steppes algériennes, ce procédé permettrait de tripler la production nationale de céréales, sous réserve d’un environnement institutionnel favorable. Ali Zerrad implante près de Batna, en pays chaoui, des oliviers andalous dont la production d’huile par arbre est trois fois supérieure à celle des variétés traditionnelles. Rachid Ibersiene invente en Kabylie un fromage, le «Vacherin de Tamassit». Dans l’industrie agroalimentaire, on remarque les initiateurs de la privatisation d’un secteur totalement administré par l’Etat jusqu’à la fin des années 1980 : Issad Rebrab crée la société Cevital qui développe une filière sucrière à Annaba ; Abdelkader Tayeb Ezzraimi fonde la Semoulerie industrielle de la Mitidja (SIM) à l’Ouest et Amor Benamor démarre le groupe éponyme de production de couscous et de pâtes à l’Est ; Rachid Hammamouche, promoteur des Grands Crus de l’Ouest (GCO) lance des vins primés dans les concours internationaux ; l’entreprise d’Abdelhak Boublenza, implantée à Tlemcen, devient en quelques années deuxième exportateur mondial de poudre de caroube.
Faire évoluer le système alimentaire
Ces pionniers et des centaines d’autres sont l’avenir d’un système alimentaire qui devra profondément évoluer dans les années à venir pour relever le redoutable défi d’assurer une sécurité alimentaire durable et équitable pour tous ses citoyens dans un contexte de crise polysémique à caractère social (dont le mouvement Hirak est le révélateur), sanitaire (maladies chroniques d’origine alimentaire, choc de la pandémie Covid-19 et des zoonoses), économique (déficit budgétaire et envolée de la dette) et environnemental (dégradation des ressources en terres et en eau, changement climatique).
L’ouvrage de Djamel Belaïd constitue dans cette perspective un jalon éclairant qui mérite d’être consulté par un large public et mobilisé par les décideurs opérant dans le système alimentaire en Algérie et dans les pays méditerranéens.
C. P.
* Extraits de la postface rédigée par le professeur Jean-Louis Rastoin de l’Académie d’agriculture de France. L’Agriculture en Algérie ou comment nourrir 45 millions d’habitants en temps de crise, éditions L’Harmattan, Paris, 256 pages.
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