Exclusif – Olivier Le Cour Grandmaison : «Le geste de Macron est une esquive»
La déclaration pusillanime d’Emmanuel Macron sur les crimes contre l’humanité commis par la France coloniale «confirme une fois encore ce tour de passe-passe politique qui n’a que trop duré», estime l’historien Olivier Le Cour Grandmaison. Interview.
Algeriepatriotique : La déclaration de Macron sur les massacres du 17 Octobre a été accueillie avec circonspection en Algérie. Quelle analyse en faites-vous ?
Olivier Le Cour Grandmaison : Je me suis déjà exprimé à plusieurs reprises sur ce qui n’est d’ailleurs pas une déclaration mais un communiqué de l’Elysée. C’est tout à fait différent et il est clair qu’il s’agit d’un choix politique murement réfléchi. De même, cela va de soi, les termes employés dans ce communiqué et l’analyse qui est proposée de ce qu’il s’est passé dans la soirée du 17 octobre 1961 lorsque la Fédération de France du FLN appelle à des rassemblements pacifiques contre le couvre-feu raciste imposé par les autorités françaises depuis le 5 octobre de la même année. Si l’emploi du mot crime est nouveau, ce dernier demeure sans qualification précise. Pis encore, il est tout entier imputé à la personnalité du préfet de police, Maurice Papon.
Qui s’intéresse à la période, au fonctionnement des institutions de la Ve République en des circonstances exceptionnelles, elles l’étaient alors, et aux rapports entre le gouvernement de l’époque et le préfet précité, ne peut souscrire à cette mauvaise fable. Même Emmanuel Macron ne peut croire à ce nouveau mensonge, lui qui impose, comme beaucoup de ses prédécesseurs, une pratique très verticale du pouvoir. Les crimes commis en octobre 1961, et plus particulièrement le 17 octobre, sont, a minima, des crimes d’Etat puisque c’est bien l’Etat français qui est à la fois responsable et coupable. De façon plus précise, et comme la regrettée maître Nicole Dreyfus, j’estime qu’il s’agit d’un crime contre l’humanité conformément à la définition qu’en donne le Code pénal français en son article 212-1.
En effet, celles et ceux qui ont été massacrés, des civils, l’ont été pour des raisons politiques, éthnoraciales et religieuses, en vertu d’un plan concerté décidé par les autorités policières, M. Papon, et soutenu par le gouvernement de l’époque. De là, ces exécutions sommaires, ces noyades, ces tortures. Double crime contre l’humanité, si l’on peut dire, puisque la pratique de la disparition forcée, abondamment utilisée en Algérie, pendant la Guerre de libération, et en France métropolitaine par les forces de l’ordre, est aussi un crime contre l’humanité. Nous devons cette dernière qualification au combat acharné du magistrat, aujourd’hui disparu, Louis Joinet.
Rappelons, enfin, que le communiqué de l’Elysée a été jugé très en-deçà de ce qui est attendu depuis soixante ans par toutes celles et tous ceux, ils sont fort nombreux en France, qui exigent reconnaissance du crime d’Etat, l’ouverture de toutes les archives relatives à ce crime et la mise en place d’un lieu de mémoire. Le communiqué est également muet sur ces deux derniers points. Le geste du chef de l’Etat français ? Encore une fois, une esquive parée des atours de l’audace pour n’avoir pas à se prononcer sur le fond pour des raisons évidemment électoralistes qui expliquent ce mépris de l’histoire et des nombreux travaux consacrés aux massacres du 17 Octobre 1961.
La France qui demande pardon aux harkis, annonçant une loi de reconnaissance et de réparation, mais refuse de reconnaître les crimes contre l’humanité perpétrés en Algérie a été vécu comme la provocation de trop par les Algériens. Qu’en avez-vous pensé ?
La comparaison du communiqué élyséen consacré aux massacres du 17 Octobre 1961 avec ce qui a été décidé pour les harkis permet de prendre la juste mesure de la pusillanimité du premier. D’un côté, en effet, une déclaration, une loi et des réparations justement accordées à celles et ceux qui ont été soumis aux actes que l’on sait en Algérie et aux conditions terribles dans lesquelles ils ont longtemps vécu en France métropolitaine, de l’autre la dérobade et le travestissement de l’histoire. Deux poids, deux mesures, donc, et une fois encore, ce sont les héritiers de l’immigration coloniale et postcoloniale, qu’ils soient français ou algériens, qui font les frais de cette injustice, laquelle reconduit des discriminations mémorielles et commémorielles scandaleuses et inacceptables.
Le très consensuel «devoir de mémoire», pour vous reprendre, consiste en quoi si la France officielle persévère dans la dénégation et s’enferme dans les conflits de mémoire justement ?
Pour la majorité présidentielle, et dans certains cas aussi pour de nombreux responsables et maires socialistes, notamment, le «devoir de mémoire» est l’acte consensuel qui permet d’esquiver une prise de position claire, précise et circonstanciée sur la nature des crimes commis pendant la guerre d’Algérie et le 17 Octobre 1961, et d’esquiver également aussi la désignation des responsabilités institutionnelles, celle de l’Etat français. De ce point de vue, le «geste» d’Emmanuel Macron confirme une fois encore ce tour de passe-passe politique qui n’a que trop duré. Si l’on compare l’attitude des autorités françaises avec celles d’autres Etats, qui furent, eux aussi, des puissances coloniales, on mesure mieux ce qu’a de sinistrement exceptionnelle une telle attitude.
Rappelons, en effet, que la Grande-Bretagne a reconnu certains de ses crimes coloniaux commis au Kenya après la Seconde Guerre mondiale, de même l’Allemagne pour le crime de génocide perpétré en 1904 dans sa colonie d’Afrique, aujourd’hui la Namibie. Il faut citer également les Etats-Unis, le Canada, la Nouvelle-Zélande et l’Australie relativement aux crimes commis à l’encontre des populations autochtones. Les autorités françaises sont donc très en retard comparativement aux décisions qui ont été prises dans les différents Etats précités. Preuve, s’il en était encore besoin, de la pusillanimité des chefs d’Etat français, qu’ils soient de droite ou de gauche.
Propos recueillis par Mohamed El-Ghazi
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