Le duo franco-américain fait gagner du temps au petit monarque à l’ONU
Une contribution d’Ali Akika – Il ne faut pas être naïf et donc ne point s’étonner du spectacle qu’on offre à l’ONU en se soumettant aux points de vue des puissants, lesquels «achètent» les voix de leurs vassaux. Dans le cas de la résolution 2206 du Conseil de sécurité du 30 octobre 2021, sur la prolongation du mandat de la Minurso au Sahara Occidental, il est évident que les Etats-Unis et la France ont voulu sauver le roi du Maroc malmené par ses nombreux échecs sur la scène internationale. Ils ont profité de leur pouvoir du veto pour rédiger une résolution truffée d’ambigüités pour perpétuer le statu quo au Sahara Occidental. La nature de leurs relations avec le Maroc et leurs propres déboires et contraintes sur la scène internationale expliquent leur petit jeu aux Nations unies.
Dans leurs relations avec le Maroc, les Etats-Unis doivent résoudre une équation à plusieurs inconnues. L’héritage de Trump, les puissants lobbys agissant au sein du Congrès américain. Il faut y ajouter le couple infernal Israël/Maroc à qui il faut plaire pour ne pas faire éclater le socle instable de l’architecture des accords dits Abraham. Ce jeu d’équilibriste des Etats-Unis avec le Maroc et Israël doit tenir compte un peu de la position et le poids de l’Algérie dans la région qui a des relations plus qu’amicales avec la Russie et la Chine depuis la Guerre de libération. C’est pourquoi les Etats-Unis, par la voix de leur secrétaire d’Etat, Blinkin, reconnaissent le droit à l’autodétermination des Sahraouis. Le refus du Congrès américain de financer un consulat à Dakhla et les manœuvres de l’armée marocaine est la preuve qui tienne compte des réalités internationales dans une conjoncture où il faut concentrer leur force sur la Chine.
Quant à la France, puissance en perte d’influence en Afrique, elle appuie et s’appuie sur le Maroc. Un pays monarchique, où la statue de Lyautey trône encore à l’ambassade de France à Rabat, un pays dont l’économie est dominée par le capital français, a droit au soutien total de la France (1). Les relations avec l’Algérie sont moins «idylliques» et la politique semble déplaire (c’est un euphémisme) à la France depuis 1962. Outre les contentieux non épurés depuis l’indépendance, la France semble vouloir prendre sa revanche sur l’Algérie que se refuse de l’aider de sortir du bourbier du Sahel (2).
Cela dit, les Etats-Unis et la France font gagner du temps au petit roi mais, sur le fond, le problème demeure et la situation risque de s’aggraver. Car, à bien lire entre les lignes de la résolution, celle-ci, à la fin des fins, est aussi bien technique que politique. Ce qui explique sans doute l’abstention de la Tunisie et de la Russie et les remarques sur les ambigüités politiques contenues dans la résolution et vivement dénoncées par certains membres (Vietnam et Chine) du Conseil de sécurité. Tous ces pays avaient sans doute en tête, pour des raisons de tactique diplomatique, de ne pas créer un vide en refusant la prolongation de la Minurso.
En vérité, cette résolution avec ses ambiguïtés va aggraver la situation sur le terrain militaire et dans l’arène politico-diplomatique. Depuis novembre 2020, la guerre a repris sur le terrain (3) et le Polisario a d’ores et déjà déclaré qu’il n’y aura plus de cessez-le-feu. Référence à 1991 quand le roi Hassan II accepta un référendum d’autodétermination qu’il rangea dans un tiroir, après avoir récupéré ses milliers de prisonniers détenus par le Polisario. Dorénavant, les combattants sahraouis, aux paroles creuses de la monarchie, promettent de répondre par les armes du feu et de l’acier. Quant au champ politico-diplomatique, l’Algérie a d’ores et déjà déclaré qu’elle n’assistera plus aux tables rondes des discussions. Celles-ci ont été mendiées par la monarchie pour impliquer l’Algérie et la faire passer pour le véritable «agresseur» du Maroc installé dans ses frontières qui n’existent que dans les chimères de son imagination (une tactique infantile qui vient de prouver son inanité). Le Maroc va ainsi se retrouver face au Polisario et on verra alors qui va rire de ce lamentable et potentiel échec de l’architecture onusienne.
Dans les réactions de la presse marocaine, on décèle quelque inquiétude à l’annonce du futur siège vide du représentant algérien. «Nos» spécialistes de l’intox avaient cru tenir le bon bout avec la prolongation du mandat de la Minurso et la présence réaffirmée des fameuses tables rondes de discussion. Le Maroc crut alors qu’il allait continuer son cirque dans un pays occupé en bénéficiant de la protection et de la complicité des troupes de l’ONU tout en continuant à palabrer dans le vide au siège de l’organisation onusienne. Pour toute réponse, le Polisario annonce l’intensification de la lutte et l’Algérie rejette la résolution 2206.
Cette résolution a au moins un mérite, celui d’avoir révélé le positionnement des donneurs de leçons et leurs politiques des deux poids deux mesures quant aux droits de l’Homme dans le monde. S’agissant du Sahara occupé dont le peuple est harcelé et terrorisé, les parangons de la démocratie ont refusé d’inscrire les droits de l’Homme dans la résolution 2206. Le temps va révéler une autre vérité, celui de l’inanité de cette résolution comme tant d’autres émanant de l’ONU. La guerre va sans doute s’intensifier et l’opinion internationale comprendra alors où va l’ONU, sur le chemin de la SDN 1920/1946 (Société des nations) morte de sa belle mort après la boucherie de la Seconde Guerre mondiale. Les pleureuses a postériori se lamenteront alors en oubliant leurs frasques d’antan dans leurs attitudes à l’encontre de la Palestine et du Sahara Occidental.
Un dernier mot, dans la jungle des relations internationales, seul compte le rapport de force et l’intelligence pour contrer l’intox et la manipulation de l’opinion. Seule compte la vérité des choses et des événements pour servir les causes justes. Les déclarations du Polisario reflètent l’expérience de ce mouvement face à un occupant qui ne recule devant aucun mensonge.
A. A.
1- Ce soutien ne date pas d’aujourd’hui, on se rappelle les jaguars envoyés par Giscard, qui ont bombardé le Polisario pour sauver le roi harcelé et malmené par les combattants sahraouis.
2- Quant à l’Algérie, la méfiance, pour ne pas dire autre chose, je l’ai senti dans la bouche de l’ambassadeur français à Luanda. Il me fit «la confidence» suivante, l’Algérie est notre rivale en Afrique, j’ai compris qu’elle lui posait des problèmes. Je tournais alors un film sur la Namibie occupée par l’Afrique du Sud. Les ambassades de France et d’Algérie, chacune de son côté, avaient invité l’équipe de tournage. Ce fut une occasion de m’informer sur la nature du travail des ambassades et derrière les bonnes relations et les politesses diplomatiques se cachaient de rudes rivalités.
3- A l’occupation de le zone de Guergarate par le Maroc, le Polisario annonce la fin du cessez-le feu et harcèle depuis novembre 2020 les troupes marocaines tapies derrière le mur du sable.
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