L’économie parallèle : un stimulant économique ou un nid de corruption ?
Une contribution d’Ali Akika – Il est plus juste de parler d’économie parallèle que d’économie informelle. La forme a plus à voir avec l’esthétique et au canon de la beauté. Ici, nous avons affaire à l’économie, donc à la richesse. Celle-ci renvoie aux facteurs qui concourent à sa production et aux règles juridiques pour sa distribution et sa circulation. Mal nommer un fait ouvre la porte à la confusion. Ainsi, cette économie parallèle est qualifiée d’informelle, souterraine et même mafieuse. Or, ce sont les différences entre ces trois types d’économie qui expliquent la différence de traitement politique, juridique et pénal par l’Etat.
C’est pourquoi les Etats frappent d’une main de fer quand des activités souterraines, clandestines mettent en danger l’économie générale et la santé des gens. On connaît l’histoire de la prohibition des alcools aux Etats-Unis (1920-33) et des activités de la mafia italienne. Il est donc utile de savoir quand une activité économique dite parallèle pose problème. C’est pourquoi il est indispensable de cerner la nature économique et juridique de ladite activité et, éventuellement, les liens qu’elle entretient avec l’économie générale et légale du pays et même avec l’étranger. Ces liens ont-ils des retombées positives qui facilitent le fonctionnement de ces deux économies, donc favorisant la production de richesses ? Ou bien les liens en question portent-ils préjudice à l’économie du pays ? Sans tenir compte pour l’instant de la loi ou de la morale, on constate selon l’histoire de système économique.
Primo, l’économie parallèle ou informelle «prospère» quand l’économie officielle n’est pas efficiente (manque de rationalité et débauche d’énergie pour un faible résultat).
Secundo, si ladite économie comble des manques, il est politiquement plus «rentable» de l’organiser, de la gérer de manière à faire vivre une catégorie de la population. Les richesses qu’elle produit intégrées dans les circuits commerciaux et bancaires sont évidemment un supplément de richesse pour l’économie.
L’intelligence du politique incite donc à créer un tel cadre. Les bénéfices pour la société est double. Offre de marchandise ou de service disponible pour la population et collecte des impôts dans les caisses de l’Etat. Les bénéfices sont la création d’emplois déclarés (moins de chômeurs) et la circulation de la monnaie évite une inflation «sauvage».
Les constats rapportés ci-dessus, on les tire de l’exemple d’un pays comme l’Italie. Un pays qui a connu pendant longtemps une économie dite informelle qui cohabitait avec une puissante économie symbolisée par l’industrie automobile de Fiat. Au sud du pays, une grande partie de la population vivait de l’économie informelle dans des métiers de l’artisanat et de l’agriculture, tolérés car productrices de richesse. L’Etat exemptait d’impôt les artisans et paysans ou fermait les yeux sur le non-paiement d’impôt. Aussi ce pays a-t-il toléré et même aidé à l’organisation de l’économie parallèle car elle était productive et pouvait remplir un rôle politique en évitant l’extension de la pauvreté et du chômage. Elle évitait de multiplier le risque de faire tomber des populations dans les mains de la mafia. Une organisation dont la puissance tentaculaire lui donnait la possibilité d’avoir du poids à l’intérieur même de l’appareil d’Etat.
On retrouve l’exemple italien ailleurs, et qui ne souffre d’organisations criminelles. En effet, dans certains pays, des unités de production en faillite sont achetées ou même occupées par les ouvriers, qui s’organisent en coopératives car elles produisent des marchandises qui ont une utilité sociale et ont une valeur marchande. Elles bénéficient des aides indirectes de l’Etat qui ferme les yeux sur les impôts ou, du moins, applique un taux d’imposition moins lourd, etc. Ce genre d’économie, on le retrouve dans des pays socialistes qui permettaient des activités dans l’agriculture pour soulager les difficultés d’approvisionnement des marchés.
Qu’en est-il de l’Algérie ? L’économie dite informelle (biî wachri) fait partie du décor de l’économie. Laissons de côté les définitions sociologiques et juridiques de cette économie et allons à l’essentiel !
Avec l’urbanisation, la démographie et la «modernité», des métiers et des services ont apparu et en même temps d’autres plus «traditionnels» ont disparu alors qu’ils ont encore leur utilité. Ce sont des métiers soit abandonnés par l’économie moderne parce non «rentables» ou tout simplement il n’y a pas de transmission du savoir, ou mal payés et pénibles par-dessus le marché (agriculture, entre autres). L’exemple de la main-d’œuvre féminine hors marché du travail pour des motifs traditionnels et autres (mariage, manque de crèche, etc.) mais aussi des hommes «voués au chômage naturel» en l’absence d’emplois dans une économie désarticulée incapable d’absorber les jeunes arrivant sur le marché du travail.
A l’évidence, l’expérience de micro-entreprises (Ansej) ne pouvait répondre à une armée de jeunes chômeurs occupant des «emplois» qui disparaissaient pour de multiples raisons, comme un feu de paille. Parmi ces raisons, ces emplois ont été mal étudiés pour les besoins de la société et qui, plus est, sans réel intégration dans l’économie «officielle», ont coûté cher au Trésor public. De plus, les fonds alloués à ces jeunes entrepreneurs ont parfois été détournés au profit d’autres «ambitions», pour ne pas dire plus. Cette expérience mal pensée et mal conçue ne pouvait être qu’un échec dans son application. Et ce genre d’échec ne pouvait que provoquer l’émergence d’une catégorie particulière de «l’économie informelle», celle d’une armée de jeunes qui squattent les rues et les plages pour collecter une «dime» qui va dans leurs poches. Résultat des courses, faute d’offrir des emplois, on achetait la paix sociale en fermant les yeux sur une détestable pratique de la rançon payée par des citoyens. Cette pratique arrangeait le pouvoir mais sûrement pas les citoyens.
Si l’on veut être provocateur, en Algérie, la véritable économie informelle ou plutôt souterraine et «invisible» est constituée par le trafic lié à la surfacturation par des entreprises avec registre de commerce et ayant pignon sur rue. Elle est devenue un danger pour l’économie du pays quand elle se «professionnalise» dans l’importation tous azimuts et devient la colonne vertébrale de l’économie. Une faune de petits malins exploite ce filon du commerce extérieur qui n’exigeait pas des diplômes de l’ENA, ni de posséder de gros capitaux…
Nos importateurs avaient exploité une situation découlant d’une prise de décision politique. Celle de la libéralisation du commerce qui impliquait des importateurs privés. Le pays entra alors dans le cycle de l’importation à tire-larigot qui accentua les difficultés d’une économie déjà désarticulée. Favoriser l’importation de marchandises directement consommables, sans passer par un cycle de production et de transformation minimum des matières premières, correspond à une vision politique «originale» et particulière qui a engendré les dégâts que nous connaissons. Parallèlement, cette vision a produit des lois du pays parsemées de trous dans la raquette qui étaient une sorte d’incitation non dite à les contourner. Pour les plus chanceux qui avaient un «ami» bien placé, ils étaient assurés de gagner le jackpot.
Pour ces nouveaux «capitaines» d’entreprises, l’existence légale à l’étranger de société-écran était une aubaine qui allait faciliter le contournement des règles des douanes. Le travail de ces sociétés-écran consiste à trafiquer «légalement», en «manipulant» les règles qui régissent le commerce extérieur du pays où elles ont leur siège. Signalons par ailleurs que des Etats prévoient même des subventions à l’exportation pour doper leurs balances commerciale et de paiement.
Armé de ces informations, notre importateur se fait délivrer un registre de commerce, sa société passe commande à une société étrangère qui livre la marchandise avec des factures nickel de chez nickel, légal comme un extrait de naissance. L’importateur dépose ses factures à sa banque, laquelle fait le nécessaire avec la Banque centrale pour régler le fournisseur étranger.
Derrière cette architecture de l’importation sans «faute», relevant de l’économie légale, se cache une économie souterraine symbolisée par la surfacturation, qui est une plaie pour toute économie dans le monde. Quand une économie repose sur une monnaie forte et convertible sur le marché, l’administration des impôts, éventuellement, se fait avoir mais il n’y a pas péril en la demeure. Mais quand ce trafic touche des pays dits en voie de développement, ça crée une plaie béante dans les ressources du pays. Non seulement le fisc y laisse des plumes mais le Trésor public voit s’envoler des ressources en devises qui trouvent refuge dans quelques paradis fiscaux (1). Ou bien tout bonnement ces devises sont investies dans des achats d’hôtels ou d’appartements pour les enfants de «nos» importateurs promis à de brillantes études à l’étranger.
Pour comprendre les mécanismes de la surfacturation, il suffit d’aller sur le site du ministère français des Finances où les fins limiers de ce ministère mettent à jour les trouvailles des génies du trafic dans le commerce, aussi bien interne qu’externe. Des trafiquants de tous poils s’offrent ainsi les services de sociétés-écran qui exploitent les possibilités de la législation des pays (2). Dans ce genre de commerce, on fabrique des factures en jouant sur les quantités et les prix des marchandises, sur les différentes TVA existantes propres au commerce extérieur, etc.
Pour sortir de ce cercle vicieux et entrer dans le cercle vertueux de la création de richesse, on ne doit pas s’appuyer sur quelque miracle. Il faut simplement percer les secrets de l’économie dans laquelle on a choisi de fonctionner, une économie imposée par la satanée mondialisation. Aux deux bouts de la chaîne de production des richesses, il y a une administration et les acteurs économiques. Une administration (politique) compétente qui crée une atmosphère stimulante et en même temps capable de détecter les trafiquants, sans pour autant punir tout le monde par des décisions qui desservent la vie économique. Quant aux acteurs économiques, on leur demande d’être de vrais capitaines d’entreprise. Et cette qualité s’acquiert par la compétence acquise par l’expérience et un minimum de connaissance du secteur d’activité. Mais aussi, et peut-être surtout, être habité par la conscience de participer à la construction d’une économie qui aide à bâtir un projet politique de sa société. En un mot, les bénéfices acquis par les entreprises servent à consolider l’architecture du pays et non à exporter les devises ailleurs pour être utilisées par la finance mondialisée.
Ainsi, les problèmes de l’économie parallèle ou informelle, de la facturation et des subventions des produits de première nécessité font l’actualité économique dans le pays. Posés et analysés, ces problèmes, en tenant compte des interférences de l’économique et du politique, peuvent trouver des solutions sans punir les classes populaires condamnées au chômage et à la débrouille de l’informel. L’exemple de l’Italie et d’autres pays prouve qu’il est possible, avec l’aide de l’Etat, soutenu par des organismes compétents, de sortir du chômage des femmes et des homme qui peuvent jouir de leur dignité par le travail, sans porter préjudice à l’économie, bien au contraire.
En revanche, l’informel, qui se cache derrière la surfacturation, est très dommageable pour l’économie ; il est donc à combattre sans mettre en péril des secteurs économiques. S’enrichir sans créer de richesse et qui, plus est, préférer exporter les devises récoltées, c’est participer à la fragilité d’une économie qui devient une proie facile pour des économies solides. Ceci est prouvé par l’invasion des produits agroalimentaires européens qui ont tué les cultures vivrières en Afrique. Avec ce simple exemple, point besoin de remonter à la conquête coloniale pour comprendre le processus du sous-développement de ce continent.
Pour conclure, on a plus intérêt à organiser et soutenir l’économie informelle (3) pour les raisons citées plus haut. Quant à l’économie dominante, si elle oublie de fonctionner sans se coltiner les contraintes du pays et les résoudre, elle fera du surplace. Ces contraintes sont connues, les rapports sociaux archaïques hérités du féodalisme et de l’ignorance et la voracité de l’appât du gain rapide sont une caractéristique des économies qui prospèrent dans le giron des multinationales qui font la loi sur le marché international.
De nos jours, l’économie n’est pas une recette, genre ratatouille, où l’on mélange quelques légumes qui ont, chacun, leur goût particulier. Les mokh (cerveaux) dans une économie sont ceux qui savent marier l’ensemble des facteurs pour produire de la richesse. L’intelligence consiste à éliminer un facteur quand celui-ci devient un grain de sable qui fait gripper la machine.
En économie capitaliste dite moderne, on connaît ces facteurs connus et admis depuis l’imprimatur des économistes Ricardo et Smith avec la «bénédiction» de Karl Marx. Et c’est là que surgit le deuxième élément du couple marié en question, à savoir le politique. Celui-ci détient le pouvoir de décider, d’organiser la société. Le politique joue un rôle décisif, notamment dans les économies dans le monde moderne, contrairement à ce que pensent les benêts de la vie politique. On le voit avec les milliards d’investissements de Biden pour moderniser les infrastructures de son pays, efforts que l’on trouve aussi en Chine avec ses routes de la soie. Deux politiques d’Etat contradictoires sur le plan idéologique mais qui renseignent sur les buts d’un pouvoir qui n’oublie jamais son essence et qui l’a fait roi.
A. A.
1- Les paradis fiscaux font souvent la une de la presse. Mais, apparemment, leur existence ne semble pas être en danger. C’est une preuve supplémentaire de la puissance des intérêts qui s’imposent aux Etats en Occident. «Nos» capitalistes semblent avoir pris goût à ce jeu vu les difficultés à trouver les traces de leur «trésor» bien gardé dans les paradis fiscaux.
2- Le commerce/trafic passant par des sociétés-écran de plusieurs pays dans le commerce des armes est naturel et même légal. On multiplie les circuits pour des raisons de sécurité nationale mais aussi pour échapper à des embargos que la sainte Amérique applique à de «mauvais élèves».
3- Pour soutenir ce type d’économie, il faut confier ce travail à un organisme compétent dont l’objectif est d’aller à la collecte des informations de la manœuvre au chômage, les métiers à créer ou à faire renaître abandonnés par l’économie légale, etc. Ce travail ne peut être fait par des bureaucrates mais par des sociologues, psychologues et, évidemment, des économistes. Vu le nombre d’étudiants diplômés et au chômage, il vaut mieux qu’ils soient occupés à un travail valorisant et bénéfique pour eux comme pour la société.
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