Israël crie au loup contre l’Iran mais se comporte en fauve avec ses voisins
Une contribution d’Ali Akika – Les négociations indirectes ont repris à Vienne entre les Américains et les Iraniens. Difficile de dire avec certitude le résultat de ces rencontres indirectes. En effet, l’énormité des problèmes à régler et le nombre de pièges à éviter ont nécessité des intermédiaires pour éviter un face-face entre deux puissances qui jouent gros dans ces négociations. Le texte qui suit revient sur ces difficultés et dit des choses sur la vision politique et philosophique des acteurs qui se font la guerre à distance et avec une certaine prudence.
Israël, ô paradoxe, offre son aide au Maroc mais cherche désespérément de l’aide pour attaquer l’Iran. Arrêtons-nous sur ses pressions politico-diplomatiques, sa guerre clandestine et sa grossière propagande contre l’Iran. Tout a échoué lamentablement et Israël s’interroge. Son personnel politique et militaire n’est pas d’accord sur la stratégie à suivre. Car, avec l’Iran, finies les escapades de guerre, la fleur au fusil. Finis les triomphes dans des territoires préalablement transformés en ruine par des bombardements incessants. Finie la stratégie d’attaque sans risque et retour assuré au bercail. Finie donc la stratégie d’attaque préventive et de guerre totale en se cachant derrière une interprétation culottée du droit international. Cette interprétation abusive, Israël s’en est servi pour attaquer en juin 1967 l’Egypte, la Jordanie et la Syrie. Les benêts à l’époque ont avalé les couleuvres, sauf un président qui, plus est, général de son état.
Renseigné par ses services secrets et en stratège militaire, il avait vu venir l’intention d’un Israël armé et motivé par son rêve chimérique du grand Israël pour agrandir le territoire volé aux Palestiniens en 1948. Ce général revenu au pouvoir avait élaboré la politique arabe de la France pour renouer avec le monde arabe une fois la Guerre d’Algérie terminée. Cet homme, c’est De Gaulle qui n’hésita pas à mettre sous embargo militaire Israël. On a de la peine à mesurer aujourd’hui l’hystérie qui se déclencha contre ce chef d’Etat dont le pays a pourtant aidé Israël à fabriquer sa bombe atomique…
Aujourd’hui, on a l’impression qu’Israël veut mettre en pratique un scénario similaire avec les Etats-Unis. User de toutes les pressions sur les Américains en se présentant une victime face à un risque existentiel pour les empêcher de signer un nouvel accord à Vienne avec les Iraniens. Israël ne se pose évidemment pas la lourde faute commise par son ami Trump qui déchira l’accord de 2015. Il fait semblant de ne pas savoir que celui qui rompt un accord paie une note salée pour sa désinvolture. Et le plus beau, c’est qu’Israël pousse les signataires de l’accord de 2015 d’inclure dans l’éventuel et futur accord que l’on interdise à l’Iran de fabriquer des missiles pour sa défense, qu’elle n’ait pas le droit à fabriquer une bombe atomique (1) et doit renoncer à être une puissance régionale. Bref, il veut un Iran castré pour qu’Israël continue à faire le gendarme dans la région et que ses nouveaux vassaux du Golfe se laissent siphonner le pétrole de leur peuple. On se demande ce qui se passe dans les cerveaux de cet Etat pour étaler devant le monde de telles exigences avec une telle arrogance. Il est vrai qu’Israël a habitué le monde à piétiner le droit international et s’est fabriqué un droit qui lui permet de faire ce qu’il veut et oser des choses extravagantes sous le regard complice d’une communauté internationale impuissante.
Mais, aujourd’hui, le glissement des rapports de force à l’échelle internationale pousse les Etats à revoir leur copie car ils ont leurs propres intérêts à défendre. Ils ont donc leurs propres problèmes et font comprendre à Israël que ses angoisses ne sont pas plus légitimes que ceux des autres. C’est pourquoi les Américains se sont rendus à Vienne, laissant Israël à ses palabres et à ses chimères. Ils ont décidé de corriger la faute grave de Trump qui a dévalorisé la parole de l’Amérique aux yeux du monde. Du reste, les Iraniens ont d’ores et déjà dit que, quel que soit l’accord conclu à Vienne, il doit contenir noir sur blanc que ledit accord ne sera jamais remis en cause par les Etats-Unis. Normal, ils ont des raisons de ne plus croire le pouvoir américain, c’est le prix à payer pour la faute commise par un Trump voulant faire plaisir à Israël.
Que va faire Israël avec la reprise des négociations le 29 novembre 2021 ?
Le ministre israélien des Affaires étrangères est parti faire la tournée des Ducs à Londres et à Paris, pays membres des accords de 2015 et intermédiaires à Vienne. Il serait étonnant qu’il obtienne quoi que ce soit car tous les pays du Conseil de sécurité, parrains des accords de 2015, connaissent le dossier par cœur et ont déjà une idée précise de la posture qu’ils prendront dans les longues et harassantes négociations qui viennent de débuter. Le ministre israélien fait-il cette tournée pour montrer la préférence de son Etat à un règlement diplomatique pour masquer ses préparatifs à une éventuelle guerre contre l’Iran ? Car Israël dit ouvertement que l’option militaire est sur la table. Simple bluff du joueur du poker ou bien opération de suicide calculée ? En me basant sur les déclarations de son personnel politique et militaire et les manœuvres nombreux et variés de l’armée israélienne, deux options seraient envisagées. Leur préférence va à une intervention conjointe américano-israélienne. La seconde option consiste à attaquer et détruire au maximum l’infrastructure souterraine du nucléaire iranien pour retarder de quelques dizaines d’années la fabrication d’une bombe atomique.
L’opération américano-israélienne. Les Israéliens ont rêvé d’une opération conjointe avec les Américains. Ils ont tenté à maintes reprises de les entraîner dans une telle aventure en sabotant les sites nucléaires, en assassinant savant et ingénieurs iraniens, en attaquant l’approvisionnement iranien en armes des Syriens et Libanais du Hezbollah. Mais les Américains qui ne sont pas si naïfs avec leur toile d’araignée du renseignement n’allaient pas tomber dans un tel grossier piège. Une simple analyse politique et de stratégie militaire renseigne tout de suite sur le simplisme d’un tel projet. Jamais, comme toute armée, l’armée américaine ne se laissera entraîner dans une guerre dont elle n’a pas la maîtrise du commandement mais aussi quand l’objectif de la guerre est dicté par les seuls intérêts d’un allié.
De toute manière, l’un des premiers gestes de Joe Biden a été de revenir sur les traités déchirés par Trump, accord sur le climat et ouverture de nouvelles négociations sur le nucléaire iranien. Le président américain veut redorer la parole se son pays et rétablir la confiance en l’Etat américain. Et sur le plan strictement militaire, l’opération américano-israélienne est limitée dans sa réussite. Détruire un ou deux centres nucléaires souterrains n’empêchera pas l’Iran de les reconstruire dans un délai relativement court. En revanche, cette réussite limitée se paiera cher, très cher, par la 5e flotte américaine dans le Golfe et les nombreuses bases militaires dans la région. A cela, il faut ajouter la fermeture du Golfe qui mettra à genoux l’industrie de l’Occident.
L’opération solitaire israélienne
Ça peut sembler facile en apparence vu l’orgie des armes sophistiquées de l’armée israélienne. Cependant, une attaque contre un pays comme l’Iran, à quelque deux milliers de kilomètres, est une opération d’une grande complexité technique et militaire aux conséquences politiques considérables. Réunir un nombre important de bombardiers protégés par un nombre tout autant important d’avions de chasse, tout ce beau monde survolant en secret des territoires étrangers et de couloirs aériens de l’aviation civile n’est pas une entreprise qui obéit à un claquement de mains. Ça ne sera donc pas une guerre-promenade, la fleur au fusil, car l’Iran peut voir de loin et sa défense anti-aérienne a les moyens de faire un carton dans l’aviation ennemie. Pour Israël, outre le prix à payer au-dessus de l’Iran, il ne faut pas oublier qu’il est présent avec ses alliés syriens et libanais à quelques kilomètres dans le Golan des bases militaires israéliennes qui connaîtront le sort de la base américaine en Irak le lendemain de l’assassinat du général iranien Souleymani (2). En un mot, Israël n’a que l’aviation à son service tandis que l’Iran a ses missiles, ses drones et, surtout, des troupes amies au Golan.
Sur le plan politique, les effets seront catastrophiques à la suite de la fermeture du Golfe, poumon pétrolier de l’Occident et de la Chine. Si on ajoute aux effets du Covid qu’on ne peut pas être sanctionné, l’inconscience d’Israël de porter un coup à l’économie mondiale le mettra dans de mauvais draps, vu la violence des condamnations des pays et des opinions. Ainsi, les deux options citées plus haut ne sont pas, et ne seront pas, d’actualité. C’est pourquoi on voit souffler sur Israël un vent mauvais de peur car, sans l’ami américain, Israël ne peut rien. Et l’ami américain, un allié, certes, mais un allié qui n’est plus le gendarme du monde. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à se reporter aux débats âpres et sérieux entre généraux israéliens qui savent que la fenêtre de tir sur la cible à atteindre, l’Iran ressemble à un trou de souris.
Pour conclure, on observe que les angoisses d’Israël, au lieu de freiner ses agitations, favorisent plutôt son arrogance et des dérapages. Ainsi, il force les portes des pays arabes serviles, en imposant sa «normalisation», sans qu’il cesse un peu sa répression contre les Palestiniens. Hier comme aujourd’hui, il ressasse le même refrain de Golda Meir qui disait : «La Palestine, ça n’existe pas.» Ce refrain de négation du réel est en vérité un signe du néant de leur rapport à l’histoire. Ce qui explique leurs recherches incessantes d’accords de normalisation et de sécurité avec les pays arabes. Le ministre de la Défense vient, par exemple, de le faire avec le Maroc.
Tout un symbole pour un Etat qui envoie un ex-chef d’état-major tout en disant chérir la paix. Un Maroc dont le roi, nu, se comporte avec les Sahraouis comme Israël avec les Palestiniens, vol des terres et répression. A eux deux, ils symbolisent pile poil la maxime «qui s’assemblent se ressemblent». On peut dire que ces régimes font de la négation du droit des peuples leur boussole. Ils sont «formidables» car ils trouvent encore des mercenaires pour les servir avec des plumes trempées dans une encre ocre et acre, celle du mensonge. Ces naïfs pensent faire oublier la nature colonialiste de l’occupation de la Palestine et du Sahara Occidental avec des écrits qui sentent bon une «pensée» soumise à l’ordre établi.
A. A.
1- L’Iran a toujours déclaré qu’il n’a pas l’intention de fabriquer une bombe atomique mais seulement maîtrisé le nucléaire pour l’industrie et la santé. Israël et les Etats-Unis pensent que l’Iran est un élève qui pratique le duperie, comme eux le font avec talent.
2- En janvier 2020, l’Iran, en représailles de l’assassinat du général Souleymani, attaqua la base américaine d’Al-Assad en Irak. La flotte de drones fut détruite et les soldats américains blessés et sonnés mentalement furent transportés en Allemagne pour des soins en urgence.
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