La richesse par l’industrialisation : antidote contre les «riches» de l’import
Une contribution d’Ali Akika – A la bonne heure, la notion d’industrialisation rivalise enfin chez nous avec celle de l’importation. Ce sont deux façons de regarder le monde. L’une invite à retrousser les manches, l’autre à se courber pour ramasser ce que d’autres cerveaux et bras ont fabriqué. Ceux qui se fatiguent en créant les richesses et ceux qui deviennent riches sans trop de fatigue. Ainsi, dans cette Algérie qui aspire à enrichir sa vision des choses dans un monde dur et complexe, il est des gens qui, par paresse intellectuelle, pensent que ce sont les riches qui créent la richesse et non l’inverse. Depuis le début du capitalisme jusqu’à la Chine communiste, c’est la création des richesses qui a engendré tous ces milliardaires qui font la Une de la presse mondiale. Les «penseurs» du week-end qui mettent «leurs riches» sur un piédestal ne sont pas étrangers au marasme idéologique et culturel que subit notre société…
Essayons d’aborder le problème de l’industrialisation en nous plongeant dans le récit de l’histoire économique. Il n’est pas inutile de jeter un coup d’œil sur ces grands pays industrialisés qui se lancent aujourd’hui dans de gigantesques investissements pour rapatrier leurs industries délocalisées aux quatre coins de la planète. Ce rapport à l’histoire économique du monde et le Covid qui a malmené et révélé les trous dans la raquette de la mondialisation aident à ne pas tomber dans les pièges de la facilité et l’étroitesse des intérêts de castes à courte vue. Le pays semble toujours être en retard sur les réalités de son époque. Et ce retard n’est pas étranger à une lecture biblique de «la science économique». J’y reviendrai ensuite en analysant la fameuse période de «l’industrie industrialisante». Pour le moment, je me contente de relever des points de vue qui relèvent du catéchisme de l’économie libérale. Catéchisme qui se résume en deux mots : réduction du rôle de l’Etat et liberté totale pour le privé. Or, le tsunami du Covid et la féroce compétition économique (Chine/Occident) montrent que les problèmes économiques ne flottent pas dans un ciel serein. On voit plutôt qu’ils relèvent de la géopolitique et de la manière de les affronter, selon l’art de la guerre. Et ces deux facteurs relèvent de l’Etat qui a les moyens politiques d’influer sur les problèmes rencontrés.
Oui, problème de géopolitique car on a vu la dépendance des pays riches qui ne s’intéressent pas au temps et donc n’anticipent pas (1) de fournir de simples masques pour protéger la santé de leur population.
De l’art de la guerre car cet art pense la complexité de l’organisation, la conduite des manœuvres sur le terrain et la qualité des hommes engagés dans de grandes batailles où une seule bataille perdue peut faire perdre la guerre.
Appuyons-nous sur l’expérience de l’industrialisation de l’Algérie pour dénicher, aussi bien sur le plan politique que celui des hommes, les erreurs commises. Ensuite, regardons le monde d’aujourd’hui pour éviter les récifs dans la mer démontée de la mondialisation, conditions nécessaires pour mener à bon port le bateau Algérie.
L’industrialisation de l’Algérie initiée par le président Boumediene répondait à un projet politique pour sortir le pays du sous-développement. Les économistes qui lui ont conseillé d’investir en priorité dans l’industrie lourde, le socle sur lequel va se bâtir peu à peu l’ensemble de l’économie. Cette option reprenait la théorie (juste) de l’accumulation du capital qui conditionne le décollage économique. C’est cette voie empruntée par le capitalisme qui lui a permis d’atteindre son objectif au prix d’une extrême brutalité, en exploitant la force du travail des classes populaires…
Evidemment, au XXe siècle, l’Algérie n’allait pas emprunter la voie et le rythme de ce capitalisme-là. Grâce aux devises du pétrole, Boumediene «acheta» clé en mains des usines pour rattraper le retard économique. L’erreur de ses conseillers est de lui avoir caché deux facteurs indispensables pour accompagner ces bouleversements économiques.
Primo, la formation technique d’une main-d’œuvre qualifiée, mais aussi de capitaines d’industrie qui voient loin et capables de gérer de pareilles entreprises.
Secundo, les freins des modes de vie et des valeurs archaïques d’une société à l’époque majoritairement rurale. L’urbanisation et l’émergence d’activités industrielles sans insuffler de nouveaux rapports sociaux par la loi, la liberté d’opinion et la culture. La domination des idées féodales et tribales a favorisé l’émergence de l’islamisme politique qui utilisa l’islam en le dévoyant pour établir son hégémonie sur la société. L’exemple de la scolarisation des jeunes filles et le travail des femmes étaient vus par les intégristes comme un danger pour leur hégémonie. Ecole et travail des femmes donc mal vus furent ses chevaux de bataille dont on voit aujourd’hui les dégâts, aussi bien dans l’espace public que celui de la famille.
Ainsi, avec le plan d’industrialisation annoncé par le gouvernement, il faudrait embrasser tout le spectre de la vie d’une société, en un mot l’ensemble du tissu politique, économique, idéologique qui fait tourner le moteur d’une société. Car, en lisant des articles, j’avais l’impression que des gens véhiculaient des idées indépassables comme les Verbes d’un livre saint. Je prends l’exemple de la bureaucratie étouffante mise au pilori, à juste titre, en Algérie. Sauf que ce phénomène, né en Egypte des Pharaons, n’est pas une donnée naturelle. C’est une construction politico-idéologique qui soutient la pyramide sociale d’un régime et de son pouvoir. En gros, cette idéologie sert d’ascenseur social pour tout fonctionnaire obéissant à un régime, lequel régime lui donne l’illusion de détenir un bout du pouvoir, un bout de pouvoir que le fonctionnaire fera monnayer au citoyen pour l’obtention de papier administratif.
Quant à la géopolitique, elle «recommande» de ne pas tomber dans la dépendance et donc affaiblir la souveraineté du pays. C’est pourquoi le type d’industrie et le choix des secteurs qui produisent de la richesse doivent être regardés et étudiés de près. Etudiés de près dans la répartition sur le territoire national des industries pour raisons d’efficacité économique, écologique, politique et même de défense nationale.
Enfin, quand on parle d’industrialisation, on ne s’équipe pas de machines fatiguées, ni sur le point d’être obsolètes mais choisir une technologie qui dure et qui permette d’amortir ledit matériel afin de le remplacer. Si l’on se réfère à l’exemple de l’Allemagne et du Japon qui ont vu leurs industries dévastées pendant la Seconde Guerre mondiale, ils ont remplacé les machines détruites par du matériel nouveau sur le marché (2). C’est là un des «secrets» de leur rapide décollage et leurs capacités à concurrencer les vieilles usines européennes.
Comme on le sait, la création des richesses relève de la combinaison de deux facteurs : la qualité du travail de l’homme et des machines qui sont à la source de la productivité. Cela se traduit par des produits de qualité, de meilleurs salaires pour les ouvriers et le gain de marchés à la concurrence.
Pour ne pas connaître le même sort que les industries construites sous Boumediene et divisées en mini-départements sous Chadli sous les conseils des économistes «distingués» de l’époque, il faut espérer que la nouvelle et future industrialisation soit confiée à des mains expertes qui ont la tête bien faite (3). Des têtes qui, dans les conditions historiques du pays et du monde, défendront le rôle d’un Etat qui joue son rôle de stratège édictant des lois qui n’entravent pas la création des richesses mais un Etat capable aussi de refroidir la propension des gens qui veulent s’enrichir en dormant.
A. A.
1- Pour les capitalistes biberonnés aux théories de Keynes, le long terme (anticiper) n’existe pas. Heureusement pour eux, l’Etat anticipe pour eux pour des raisons politiques et de défense. On le voit tous les jours par les temps qui courent.
2- Par le biais du plan Marshall, les Américains ont aidé à reconstruire les infrastructures de ces deux vaincus pour en faire des alliés les plus solides en Europe et au Japon. Ces investissements, jusqu’à aujourd’hui, sont rentabilisés aussi bien économiquement que politiquement.
3- Expression de Montaigne «mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine». En clair, une tête préparée par l’instruction et l’expérience peut mieux résoudre les problèmes qu’une tête pleine de préjugés et d’apriori et, in fine, d’ignorance.
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