Les dessous de la visite du ministre français des Affaires étrangères à Alger
Par Karim B. – La visite du ministre français des Affaires étrangères en Algérie, pour autant qu’elle paraisse surprenante, n’en était pas moins prévisible. Des sources informées indiquent, en effet, que Paris, qui multiplie les appels du pied depuis la décision d’Alger de rappeler son ambassadeur et d’interdire le survol de l’espace aérien algérien aux avions de transport militaire français, a reconnu implicitement que les propos d’Emmanuel Macron étaient un dérapage inexcusable. C’est que, dans le sérail parisien, les tiraillements vont bon train entre l’Elysée et le Quai d’Orsay à cause d’une politique étrangère grippée.
Symptôme de ce différend entre les deux institutions, la mesure prise par le président français de revoir le mode de recrutement dans le corps diplomatique. Emmanuel Macron, acculé par des rapports défavorables s’agissant d’un certain nombre de dossiers dans lesquels la France est impliquée et relevant sans ambages les ratés dans des questions internationales de première importance, a vu dans ces critiques qui lui parviennent du département du vieux routier de la politique qu’est Jean-Yves Le Drian, chef de la diplomatie et néanmoins ancien ministre de la Défense, une sorte d’insubordination qui, à terme, risque de fausser sa propre feuille de route élaborée par ses conseillers.
Jean-Yves Le Drian joue au pompier après chaque déclaration mal à propos d’un locataire de l’Elysée verbeux et peu enclin à respecter les éléments de langage qui lui sont fournis par son ministre des Affaires étrangères, qui connaît le poids des mots. Après avoir «osé» qualifier, à partir d’Alger, la colonisation de crime contre l’humanité, à la veille de sa candidature à la présidentielle de 2017, il a complètement viré sa cuti, une fois élu, quand bien même il se sera essayé à une «réconciliation des mémoires» en confiant cette délicate mission à l’historien ami de l’Algérie Benjamin Stora. Ce dernier s’est, faut-il le rappeler, empressé de dénoncer un sabordage de ses efforts le jour même de la présentation de son rapport accueilli avec circonspection en Algérie et criblé de remontrances en France. Se servant de cette levée de boucliers des deux côtés de la Méditerranée, Emmanuel Macron a enfoncé le clou en se tournant vers la communauté harkie à laquelle il a présenté les excuses de la France et octroyé une réparation pécuniaire conséquente. Il s’en est fallu d’une cérémonie surmédiatisée et d’un discours dithyrambique à l’endroit des anciens supplétifs de l’armée française et de leurs descendants pour que le fil effiloché qui lie l’ancienne puissance coloniale à son ancienne colonie rompe.
«La réconciliation demandera encore du temps», assurent nos sources. Le dégel se fera de façon graduelle et le retour de l’ambassadeur d’Algérie à Paris n’est pas pour demain. L’échéance électorale cruciale de 2022 est suivie avec un intérêt particulier en Algérie, d’autant que les deux candidats de l’extrême-droite, Marine Le Pen et Eric Zemmour, talonnent le président sortant et sa dauphine de droite, Valérie Pécresse, qui, bien qu’ayant ravi la vedette au raciste et xénophobe Eric Ciotti, ne manquera pas de puiser, elle aussi, dans le vocabulaire infâme du Rassemblement national et de Reconquête – le parti nouvellement créé par Eric Zemmour – pour grappiller des voix chez les identitaires, partisans d’une purification ethnique à la nazie.
Emmanuel Macron et son gouvernement espèrent tirer les dividendes des craintes sérieuses que cette montée de l’extrémisme en France suscite aussi bien en Algérie que dans les autres pays qui comptent une forte communauté immigrée dans l’Hexagone, à l’instar du Maroc et de la Tunisie, mais également de la Turquie dont l’entrisme religieux est très mal vu au sein de la classe politique française, toutes tendances confondues.
Jean-Yves Le Drian atterrit à Alger avec, dans sa valise diplomatique, des excuses officielles et les garanties d’un réajustement de la politique algérienne de la France dans le sens des intérêts communs et dans le respect de la condition sine qua non posée par le président Tebboune : le traitement mutuel d’égal à égal, sans paternalisme, ni tutorat.
Emmanuel Macron tiendra-t-il son engagement une fois réélu et les relations entre les deux pays normalisées ? Rien n’est moins sûr. Mais le paysage politique français actuel ne laisse pas le choix à l’Algérie qui devra composer avec le président le moins nocif.
K. B.
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