La déclaration de Le Drian en filigrane : Alger et Paris ne sont d’accord sur rien
Par Mohamed K. – Rétropédalage tactique ? Arrogance chronique ? Que faut-il saisir des non-dits foisonnants dans la déclaration du ministre français des Affaires étrangères à sa sortie de l’audience que lui a accordée le président Tebboune ? Qu’«il était important» pour lui de se rendre à Alger «pour une visite de travail et d’évaluation de la relation bilatérale» ? Oui, un déplacement du chef de la diplomatie française dans ce contexte de forte crispation dans les relations entre les deux pays ne peut être qu’important. Si Jean-Yves Le Drian a esquissé les sujets sur lesquels a porté sa rencontre avec les dirigeants algériens, il n’en reste pas moins que leur survol n’éclaire pas l’opinion publique des deux pays sur le contenu de ces discussions.
L’émissaire d’Emmanuel Macron évoque un «double objectif» : «renouer une relation de confiance» et «regarder vers l’avenir». Est-ce à dire que la France demande à l’Algérie de tourner la page des dérapages du locataire de l’Elysée ? Est-ce à dire que l’Algérie doit continuer de supporter les attaques qu’elle subit de la part d’un quarteron d’agitateurs à partir du territoire français, ce que les autorités algériennes appellent la guerre de quatrième génération qui est livrée à l’Algérie à partir de la France, du Maroc et d’Israël ? Sur quoi Jean-Yves Le Drian s’est-il engagé ? Sur l’extradition du dirigeant du MAK, le séparatiste Ferhat Mehenni qui se trouve lui aussi en France, alors que son mouvement a été classé comme une organisation terroriste ?
A vrai dire, ce que le responsable politique français a annoncé, c’est l’amorce d’un dialogue et non pas l’aplanissement des différends qui minent les relations entre les deux pays. Rien n’est donc réglé et, contrairement à ce qui a été annoncé ici et là, le retour de l’ambassadeur d’Algérie à Paris n’est pas à l’ordre du jour pour l’instant, comme l’ont assuré des sources proches du dossier à Algeriepatriotique. Les litiges sont nombreux et Macron et son ministre des Affaires étrangères savent pertinemment que le contexte actuel n’est pas propice à un retour à la normale et à un dégel immédiat, d’autant que la France est branchée sur l’échéance de 2022 et que les enjeux électoraux relèguent un certain nombre de dossiers internationaux à un second plan, fussent-ils névralgiques.
Jean-Yves Le Drian s’est contenté d’«exprimer le souhait de travailler à lever les blocages et les malentendus qui peuvent exister» et d’indiquer que les deux pays ont décidé de «reprendre un certain nombre de coopérations». Lesquelles ? Là non plus, il n’en dira pas plus, sinon que «cela se traduira par la reprise d’un dialogue opérationnel entre partenaires sur les questions humaines et migratoires […], sur la lutte contre le terrorisme et […] la sécurité» des deux pays. En clair, il a été question des visas que le ministre de l’Intérieur a voulu réduire de moitié, du survol de l’espace aérien algérien interdit aux avions de transport militaire français et de la task force conduite par l’armée française dans le Sahel à laquelle l’armée algérienne regarde sous l’angle justifié de la suspicion et de la méfiance.
Lorsque le chef de la diplomatie française aborde le conflit libyen que son pays a provoqué et la situation au Mali aggravée par les erreurs stratégiques de son pays aussi, il laisse entendre que la France persiste à vouloir inscrire l’Algérie dans ses petits papiers. Seulement, l’absence du président algérien à la rencontre de Paris est un signe clair que ce que l’Algérie veut, c’est que la France laisse les Libyens régler leurs problèmes sans aucune ingérence et que les troupes françaises quittent le territoire malien tel que souhaité par les nouvelles autorités de ce pays limitrophe. Sur ce thème, Le Drian esquisse un ersatz de réponse en «formant le vœu» que «[notre] dialogue se poursuive à ce sujet».
Autrement dit, Alger et Paris ne sont d’accord sur rien.
M. K.
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