Le devoir de vérité sur la situation économique de l’Algérie
Une contribution du Dr Abderrahmane Mebtoul – C’est par un langage de la vérité que l’on peut corriger les erreurs. En perpétuant les discours et comportements du passé, l’on ne peut aboutir qu’à de fausses solutions qui accentuent la crise politique, économique et sociale. Morgenstern, le fondateur de la statistique moderne, a mis en garde les gouvernants dans un ouvrage célèbre, Comment mentir par la manipulation des statistiques. Le ministère du Commerce, depuis quelques mois, donne des informations brutes via l’APS , sans analyse de la structure des exportations hors hydrocarbures et, surtout, sans l’insérer dans le cadre macro-économique et macro-financiers, voilant la réalité de la performance des entreprises exportatrices, induisant en erreur les autorités du pays.
Dans un tel contexte, prenons garde aux utopies en induisant en erreur l’opinion publique nationale, pas les étrangers qui connaissent parfaitement la structure économique du pays, de l’annonce de 4 milliards de dollars hors hydrocarbures pour l’année 2021. Le bilan officiel de Sonatrach 2020 donne 2 milliards de dollars des dérivées d’hydrocarbures avec une perspective de plus de 2,5 pour 2021 et si l’on ajoute les semi-produits, le montant dépasse les 3 milliards de dollars restant aux produits à valeur ajoutée concurrentiel moins de 1 milliard de dollars.
Par ailleurs, le ministère du Commerce, pour plus d’objectivité, ne doit pas donner que la valeur, certains produits comme les engrais ayant connu une hausse entre 30/40% sur le marché mondial en 2021, mais également le volume exporté afin de voir s’il y a eu une réelle dynamique d’exportation de certaines entreprises, dresser la balance devises en soustrayant les matières importées en devises, ainsi que les exonérations fiscales et certaines subventions comme le prix de cession du gaz cédé à 10/20% de la cotation sur le marché international pour certaines unités exportatrices fortes consommatrices de gaz. En réalité, avec les dérivés d’hydrocarbures, les recettes en devises pour 2021 représentent entre 97/98% où, en ce mois de décembre 2021, Sonatrach c’est l’Algérie et l’Algérie c’est Sonatrach.
Concernant le solde éventuellement positif en 2021 de la balance commerciale, elle a une signification limitée, avec le nombre de projets bloqués dont la réalisation aurait donné un déficit de la balance commerciale fin 2021, en plus de la restriction drastique des importations des entreprises dont le taux d’intégration en 2021 ne dépasse pas 15%, accentuant le processus inflationniste et la sous-utilisation des capacités de la majorité des unités publiques et privées à peine 50%, ayant assisté à une paralysie de l’appareil de production entre 2020/2021, sans compter les nombreuses pénuries et le carnaval de l’importation des voitures dossier qui traîne en longueur, devenu politique qui, en réalité, échappe au ministère de l’Industrie, et devant prendre en compte la balance de paiements dont les sorties en devises des services qui ont fluctué entre 10/11 milliards de dollars par an entre 2015/2019.
Le ministère du Commerce, pour se prémunir contre les fraudes tant dans le cadre du commerce intérieur, l’intégration de la sphère informelle qui, selon les données du président de la République, canalise entre 6 000 et 10 000 milliards de dollars que du commerce extérieur, l’on doit s’attaquer à l’essence, c’est-à-dire la gouvernance par la lutte contre le terrorisme bureaucratique et la réforme du système financier, toutes ses structures, douane, fiscalité, domaine, banques qu’aucun ministre des Finances depuis l’indépendance politique n’a pu réaliser étant un enjeu énorme de pouvoir. Ce problème ne date pas d’aujourd’hui, l’ayant constaté vers les années 1980-83 en tant que haut magistrat et directeur général des études économiques à la Cour des comptes ayant été chargé du contrôle du programme anti-pénurie où j’avais suggéré la mise en place d’un tableau de la valeur qui n’a jamais vu le jour car s’attaquant à de puissants intérêts rentiers, nécessitant la mise en place d’un système d’information relié aux réseaux internationaux permettant des interconnexions, ministère des Finances (banques-douanes-fiscalité), les ports/aéroports et les entreprises publiques/privées pour lutter contre les trafics en tous genres, produits de mauvaise qualité ou périmés.
En conclusion, le véritable patriotisme implique un devoir de vérité, loin des discours d’autosatisfaction de courtisans en contrepartie d’une rente avec des replâtrages conjoncturels s’assimilant à une fuite en avant alors que l’Algérie possède toutes les potentialités de sortie de crise, sous réserve de s’attaquer à l’essentiel, la gouvernance centrale et locale. Et se pose cette question : pourquoi le ministère du Commerce donne des informations brutes, d’une signification opérationnelle limitée, sur les exportations hors hydrocarbures ?
La vision purement monétariste, sans visions stratégique de relance de l’économie, afin de préserver les réserves de change ne peut que conduire à la paralysie avec de graves incidences sociales et sécuritaires. Il reste beaucoup à faire pour que nos responsables s’adaptent aux arcanes de la nouvelle économie, où se dessinent d’importants bouleversements géostratégiques mondiaux, croyant que l’on combat la fuite des capitaux à partir de lois, de codes, de commissions et de circulaires, ignorant tant les mutations mondiales que la morphologie sociale interne, en perpétuelle évolution. Dans un monde caractérisé par la libéralisation des mouvements de capitaux, par la transition numérique et énergétique qui doit mettre en place une fiscalité écologique spécifique, les défis de l’Algérie impliquent de définir les priorités stratégiques et avoir une nette volonté politique pour mettre en œuvre la bonne gouvernance et les réformes structurelles nécessaires qui doivent concilier la concertation, l’efficacité économique au sein d’une économie ouverte et la nécessaire cohésion sociale.
A. M.
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