A quand le divorce du couple infernal inflation-pénurie ?
Une contribution d’Ali Akika – Paradoxal dinar ! une monnaie qui repose sur le pétrole/gaz extrait des entrailles de la terre par le travail des hommes ne mérite pas le sort qu’elle subit (1). Elle risque de se transformer en monnaie de singe si on laisse seul le pétrole/gaz se «spécialiser» dans la quête de devises. Et ce risque est d’autant plus grand si on laisse les nouveaux riches exporter «leurs» dinars convertis en dieu dollar pour les investir à Paris au lieu d’Alger. Voilà pourquoi le citoyen lambda sirote sa qahwa (café) chaque jour plus cher que la veille. A cause de cette satanée inflation. Anormale l’inflation ? Nullement, elle est le reflet d’une crise liée à une économie qui n’arrive à surmonter les blocages qu’elle se crée souvent elle-même ! L’histoire économique du monde fournit tant d’exemples. En Allemagne, dans les années 1930, en France dans les années 1950-60, en 1929 aux Etats-Unis, temple du capitalisme.
L’inflation fait fuir la monnaie «en bonne santé» laissant place à la monnaie «malade» qui ne peut s’envoler vers d’autres cieux plus cléments. Qu’arrive-t-il à la monnaie nationale adossée au pétrole/gaz libellé dans les Bourses mondiales en monnaie sonnante et trébuchante de l’Oncle Sam ? Par quel tour de passe-passe a-t-elle été démunie de l’aura protectrice d’un pétrole/gaz tant recherchée ? Il n’y a là aucun mystère, les économistes distingués ont des outils pour cerner et évaluer, à chaque étape traversée par le dinar, les causes de sa descente en enfer. On sait, grâce à l’imaginaire des hommes nourris de contes et de la littérature, qu’il est plus facile d’entrer dans l’enfer que d’accéder au paradis. Et pour sortir de l’enfer, il faut évidemment effacer, bannir les comportements archaïques, les règles et lois devenues caduques par la simple dynamique des mouvements de la vie.
Du reste, un proverbe bien de chez nous nous le rappelle : elli fat mat (ce qui fut ne le sera plus). On doit donc regarder le monde autrement pour être à même de jouir de ses merveilles et d’éviter (ou se protéger) de ses tempêtes. Ainsi, pour ne pas subir les démangeaisons des orties de l’inflation qui s’épanouissent dans un terreau particulier, le dinar du pétrole ne doit pas être seul à produire de la vraie richesse. Il doit être aidé par d’autres richesses. Ensuite ce dinar ainsi ragaillardi doit cesser de circuler de chkara en chkara. Il y a des lieux plus propices à la circulation d’une monnaie en bonne santé. Ce sont les circuits de banques à condition que celles-ci gagnent la confiance des clients. Mais pour avoir l’honneur d’être l’hôte d’une telle banque, les clients doivent lui présenter leurs dinars non pas dans des chkara mais sur un chèque libellé en lettres d’or ou son équivalent, une richesse fruit du travail vrai et non de petits trafic et autres magouilles de gens qui ont perdu le sens d’appartenance à une collectivité.
L’Algérie, pour effacer la misère et l’obscurité de la période coloniale, utilisa la richesse de son sous-sol, le pétrole/gaz. Une partie des dollars engrangés fut consacrée à l’investissement pour jeter les bases d’une industrie. Opération classique d’investissement. L’argent du pétrole s’investit pour créer des usines, lesquelles créent d’autres usines qui créent de la richesse et ainsi de suite. Les économistes appellent ce parcours, ce processus, le cycle vertueux du développement. Hélas, ce cycle-là connut des ratés avec le surgissement d’évènements politiques. Le pays entra alors dans le cycle détestable de l’inflation/pénurie. La pénurie est la victime de plusieurs causes. De la monnaie, par exemple, dont la faiblesse ne permet pas d’importer certains produits. Cela dit, la pénurie est le fruit généré par les multiples grains de sable qui font grincer les facteurs structurels de l’économie. Par facteurs structurels, on entend l’incapacité à produire de la richesse à cause de l’archaïsme des outils, de la mauvaise gestion/incompétence, etc.
En termes plus savants, quand les forces productives (machines et travail) sont «maltraitées» par des rapports sociaux teintés d’ignorance et de préjugés. En dehors de ces facteurs objectifs, la pénurie peut être provoquée momentanément par des aspects subjectifs liés à une culture et mode de vie particuliers, à des peurs de manquer de produits de première nécessité, héritées d’une guerre ou d’une catastrophe naturelle. Cependant, et en définitive, une pénurie devenant cyclique et touchant de nombreux produits est un signe d’un dysfonctionnement dans la production et la distribution. Mais aussi victime de crises et tempêtes politiques qui balafrent le paysage d’une société.
Pour sortir de ce genre de labyrinthe, il faut chercher une sortie et trouver la bonne. En économie moderne, il n’y a qu’un bon chemin qui mène à un port d’attache, c’est celui de l’investissement et la formation d’une main-d’œuvre apte à servir ledit investissement.
Les investissements nationaux
En Algérie, pour des raisons évidentes, c’est l’Etat, dès l’indépendance, qui a été l’investisseur principal. Le paysage économique changea ensuite avec la cohabitation du secteur public et du privé. Une grande partie du privé «hérita» du démembrement des grandes entreprises publiques sous Chadli. Mais le moins qu’on puisse dire, ces heureux «héritiers» ne furent pas à la hauteur de leur «mission». Ceux qui ont voulu nous vendre l’image de capitaines d’industrie à la tête de ces entreprises privées ne connaissent pas le sens des mots. Aucune étude, à ma connaissance, n’a mis en lumière les bénéfices réels engrangés par l’économie du pays avec le montage de voitures en kits. En revanche, on peut deviner l’intérêt et le profit du fabricant étranger et du monteur algérien de ces kits. Le fabricant des voitures et son vis-à-vis algérien vont bénéficier de la baisse des charges dans ce genre de production et de transport. Baisse des transports par container, baisse des salaires payés en dinars aux ouvriers algériens, voire baisse des impôts sous forme d’aide de l’Etat, etc. Une éventuelle étude pourrait faire la lumière sur ce genre de transaction pour éviter de renouveler ce genre «d’investissement».
Les investissements étrangers classiques : pour attirer ce type d’investissement, il faut réunir certaines conditions qui inciteraient l’étranger à «s’exiler» ailleurs. Cet étranger si particulier n’est nullement une mère Theresa. Une fois rassuré sur le futur potentiel en termes de profit où il va semer ses capitaux, il a besoin de connaître les lois du pays et la main-d’œuvre sur place. Bref, l’investisseur a besoin d’avoir en face de lui des négociateurs qui connaissent leur dossier et le convaincre qu’il est dans un pays où les tribunaux ont à cœur de le défendre en cas de contentieux, fût-il avec l’Etat lui-même. Enfin, l’investisseur accourt dans un pays qui a un marché comptant des millions de consommateurs et, accessoirement, des marchés dont la proximité géographique et les conditions politiques lui permettent d’écouler ses produits rapidement et moins chers. Au regard de la situation géographique, à la fois avec l’Afrique et l’Europe, l’Algérie a des atouts à exploiter.
Les investissements en zones franches : une zone franche, c’est un territoire délimité où l’on applique des règles juridiques propres à ces zones et où s’installent des sociétés étrangères.
De nos jours, le développement de ce genre d’activités économiques s’est «banalisé» avec le souci obsessionnel de trouver des pays à bas salaires. Des entreprises sont donc à la recherche de pays voulant se développer. Lesdits pays offrant aux investisseurs étrangers des bas salaires et peu d’impôt à payer. L’investisseur offre en contrepartie des emplois à une armée de chômeurs disponibles et des petits cadeaux sous diverses formes à des fonctionnaires qui facilitent son installation dans les zones en question.
Un pays puissant et chatouilleux quant à sa souveraineté politique semble avoir évité ce genre de transactions quelque peu humiliantes. Ce pays, c’est la Chine qui s’est lancée dans l’aventure des zones franches pour en tirer des bénéfices. En vérité, sans nier les apports bénéfiques sous forme de transfert de technologie, la Chine a offert à ces investisseurs étrangers l’assurance de la stabilité politique, l’efficacité de sa gestion économique et son immense marché intérieur. Son autre atout, c’est la vieille et grande culture du pays complétée par son expérience industrielle acquise après sa révolution de 1949. Cette expérience a engendré une main-d’œuvre de qualité, d’ouvriers, de techniciens encadrés d’ingénieurs de haut niveau (la bombe atomique chinoise a été acquise en 1964, à peine 15 ans après la révolution). Ainsi, la Chine, grâce à ses atouts politiques et techniques, a diminué les effets négatifs dont sont victimes d’autres pays. Par exemple, le Nigeria dont l’environnement a été saccagé par les compagnies pétrolières et les populations de ces régions souffrent de maladies respiratoires. En France, par exemple, ce sont les emplois qui ont été détruits. Les Américains et les Japonais déménagèrent leurs usines en Roumanie, une fois ce pays devenu membre de l’Union européenne. Ils ont ainsi fui un pays à hauts salaires pour investir dans un pays à bas salaire et, cerise sur le gâteau, la chance de ne pas perdre l’immense et fructueux marché de l’Union européenne.
La Chine a donc bénéficié de quelques aspects positifs dans les zones franches. Transferts de technologie, création de millions d’emplois dans différentes régions choisies pour des raisons de politique locale et de géostratégie – ports et routes de la soie pour le commerce avec l’étranger. Cette politique habile a permis d’attirer des grandes marques de l’électronique, du numéraire, de la pharmacie et d’une multitude de fabriques traditionnelles – vêtements et chaussures). Cette maîtrise d’une gestion de secteurs complexes et multiples, la défense des intérêts des travailleurs et de l’environnement lui ont permis de devenir un redoutable concurrent des Etats-Unis. A la lecture des documents officiels chinois, on remarque que toute entreprise étrangère avant même son installation connaît les règles sociales et lois du pays qu’elle se doit d’appliquer(2).
A travers ces succès économiques, l’opinion internationale découvre en même temps la puissance de la Chine et les faiblesses des pays développés mis à mal par le coronavirus (3). Au-delà des problèmes de concurrence économique que la Chine pose au berceau du capitalisme (Etats-Unis et Europe), la Chine trouble et «parasite» l’espace idéologique de l’Occident. Celui-ci à l’époque de sa domination sur l’économie mondiale, ses idéologues déclamaient à tue-tête qu’il ne peut y avoir de développement économique sans la démocratie, la leur évidemment.
Un dernier mot, maintenant que nous connaissons les performances économiques des uns et des autres, de leurs petits et grands «secrets», il n’est pas inutile d’étudier ces expériences et cerner leurs bilans d’hier et leurs potentialités dans le futur. Car l’économie n’obéit à aucune bible. Depuis la chasse et la cueillette des premiers hommes jusqu’à l’intelligence artificielle et ses petits robots, l’économie est le fruit de la dynamique des hommes. Et pour échapper ou diminuer les affres et les malheurs qui accompagnent ladite dynamique, il ne faut pas hésiter à mettre au grenier des souvenirs les outils d’hier qui ont rempli leurs fonctions à une époque. Inventer d’autres outils accompagnés d’une vision du monde éclairée sans jamais oublier qu’ils iront aussi rejoindre un jour le grenier des souvenirs. Ce lien entre le passé et l’avenir s’appelle simplement l’histoire qui préfère divorcer avec une époque quand le présent est insupportable.
A. A.
1- Il faut arrêter de compter en centimes. La parité de 1 dinar avec le dollar est 0,0063 autant dire rien.
2- Je fais référence à toutes les règles et lois transcrites dans une thèse de l’université d’Oxford. Rapport au Bureau international du travail, de l’étude de Xiolan Fu de l’université d’Oxford.
3- Le manque de pièces (conducteurs) a fait bondir les prix des voitures, notamment aux Etats-Unis. La raison ? La pénurie, rupture de stock et dépendance de la Chine, est-ce ce petit grain de sable qui bloque l’industrie en Amérique et en Europe, d’où l’apparition de l’inflation ?
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