Ma rencontre avec Albert Camus

Camus Zola
Albert Camus. D. R.

Une contribution d’Aziz Ghedia – Dans les années 1970, j’étais lycéen à Alger. En plus du programme scolaire qui nous était prodigué, je m’intéressais beaucoup à la littérature d’expression française et je lisais tout ce qui me tombait sous la main, aussi bien les classiques comme Germinal d’Emile Zola ou Crime et Châtiment de l’écrivain russe Fiodor Dostoïevski que les polars, les romans policiers, de James Hadley Chase ou d’Agatha Christie. Certains de mes amis avaient la même passion que moi et, entre nous, les bouquins passaient d’une main à l’autre, régulièrement, et gare à celui qui manque de sérieux ou de ponctualité pour honorer cet échange littéraire. A l’époque, nous n’avions ni télé, ni PC, ni téléphone portable. L’Internet n’existait pas non plus. Une seule chose donc accaparait l’esprit de tout un chacun : lire, lire, lire. Sans avoir été très porté sur la religion, nous avions fait de ce premier verset coranique Lis ! notre credo.

A l’université, malgré le programme très chargé des études médicales pour lesquelles j’avais opté après l’obtention du bac en 1977, j’ai continué à vouer une grande passion pour les œuvres littéraires. C’est ainsi qu’entre un cours de chimie et un cours de génétique, je trouvais le moyen de m’évader, ne serait-ce que quelques minutes, en compagnie des «Frères Karamazov» ou avec les sœurs Brontë dans leur Hauts de Hurlevent.

Mais ma rencontre avec Camus était purement fortuite car, je dois avouer que, malgré la palette assez large de mes choix littéraires, je n’avais pas encore connaissance de l’existence même de cet écrivain français d’Algérie qui, plus de soixante ans après sa mort, continue à être l’objet de critiques très dures de certains Algériens. Voilà dans quelles conditions je l’avais découvert.

Un soir du mois de mars 1980, j’avais accompagné un cousin qui devait rendre visite à un ami à lui. Ce dernier était Belge et s’appelait Albert. Il travaillait comme cadre administratif à Sonatach. Il logeait dans un bel et spacieux appartement à l’architecture haussmannienne, situé avenue Ghermoul, à Alger. L’immeuble à la propreté impeccable et qui, à cette époque déjà, disposait d’un interphone, fait face au musée Bardo. Nous arrivâmes chez lui vers les coups de 20 heures, le Journal télévisé de «l’Unique», dont les échos nous parvenaient d’un autre appartement, venait de commencer.

Après les présentations d’usage, notre hôte nous invita à le suivre dans le salon où des boissons bien fraîches nous attendaient ; faut dire qu’Albert s’attendait à nous voir débarquer chez lui ; en fait, lui et mon cousin avaient RDV, ce jour-là. Ils devaient peaufiner, ensemble, un projet de voyage dans le Sud algérien.

Dans le salon, meublé avec goût, sur une table basse, il y avait une pile de livres. Pendant que mon cousin et son ami Albert discutaient, tel un vorace, un affamé de lecture, j’ai saisi le premier livre. Il portait le titre de L’Etranger. Nom de l’auteur Albert Camus. Un autre livre du même auteur : La Peste. Encore un autre : Le Mythe de Sisyphe. Toujours signé Albert Camus.

En tout, il y avait une dizaine de livres dont l’un m’a fait hérisser les cheveux par son titre quelque peu provocant pour un esprit jeune, tel que le mien, qui était encore en formation sur le plan métaphysique : Dieu est mort, tel était le titre de ce livre dont le nom de l’auteur est à consonance allemande : Friedrich Nietzsche.

Après avoir lu deux ou trois pages de L’Etranger dont le style de narration est très simple et très facile à comprendre même pour un «élève de terminale», je me suis permis d’interrompre la discussion des deux amis en m’adressant, naïvement mais le plus sérieusement du monde, à Albert.

«Euh… pardon, lui dis-je, c’est vous qui avez écrit cela, tout en lui montrant la première de couverture.» Il me sourit et me répondit : «Non, pas moi… c’est Albert Camus, un écrivain français dont vous pouvez être fiers, vous les Algériens, puisqu’il est né en Algérie.» Lui et moi, nous n’avons que le prénom en commun. Je ne suis pas écrivain, et même si je l’étais, sincèrement, je ne pense pas lui arriver à la cheville. Il a eu le prix Nobel de littérature alors que, moi, je n’ai jamais écrit quoi que ce soit de ma vie.

Voilà. C’était clair et net. Je venais donc de découvrir un écrivain dont je ne soupçonnais pas l’existence avant ce jour-là et qui deviendra plus tard l’un de mes auteurs préférés.

A suivre…

A. G.

Erratum : Nous avons attribué l’article du Dr Aziz Ghedia à Amar Djerrad. Nous prions l’auteur et nos lecteurs de nous excuser pour cette erreur d’inadvertance.

Comment (5)

    Anonyme
    19 janvier 2022 - 13 h 56 min

    « plus de soixante ans après sa mort, continue à être l’objet de critiques très dures de certains Algériens ».
    Premièrement il n’est pas seulement critiqué par certains Algériens mais par beaucoup d’intellectuels tel que Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, le palestinien Edward Saïd sans oublier ses compatriotes Sartre, Simone de Beauvoir, Raymond Aron, le grand Jean Genet etc., pour nommer « certains » de ses critiques.
    Deuxièmement que son œuvre soit d’une qualité exceptionnelle, grandiose n’empêche pas qu’il avait fait le mauvais choix de se positionner contre l’indépendance de « son » pays. Tout son humanisme, d’ailleurs un humanisme faux et hypocrite limité aux seuls Européens blancs et chrétiens, et ses belles phrases n’ont été d’aucun secours pour ces « certains Algériens » qui subissaient la guillotine, la torture, les bombardements de leurs douars, les déplacements dans des camps de concentration etc…
    Troisièmement, comme son compatriote 60 ans après il jugeait illégitime le concept de la nation algérienne.
    Quatrièmement, l’auteur citait Nietzsche qui n’était pas allé de main morte avec ses compatriotes allemands justement pour leur conformisme et leur « double morale » hypocrite.

    Ammar Bouzouar
    19 janvier 2022 - 12 h 37 min

    Dans les romans d’Albert Camus, les autochtones n’ont pas de nom : il les désigne sous le vocable de « l’Arabe », » les Arabes », « la mauresque ». Dans son roman ‘La Peste’ dont l’action se déroule à Oran, pas la moindre trace d’un Arabe ! Camus était un écrivain colonial et d’ailleurs il était pour une Algérie où les Européens habiteraient le littoral et les ‘Arabes’ la steppe et le Sahara. Voici ce que dit de lui et de son roman
    « L’Etranger », l’écrivain et historien israélien anti-sioniste Shlomo Sand : Il émanait de la relecture de L’Étranger, ce roman « antisolaire », que je n’avais jamais réellement aimé, une certaine tonalité arrogante. La comparaison entre « Tuer un Arabe » de Camus et « Tuer un éléphant » de George Orwell soulignait la différence abyssale entre le fils de colons, porteur d’un langage déchiré, et le critique, au regard acéré, du colonialisme britannique. Ce dernier décryptait mieux, selon moi, le lien entre le sentiment de l’absurde et la situation historique pouvant projeter celui-ci jusqu’à l’extrême. (Shlomo Sand – La fin de l’intectuel français )

    Touhami
    19 janvier 2022 - 12 h 33 min

    Que ce soit dans le septième Art, la chanson, la musique, la littérature, la politique, l’histoire etc. comptez le nombre de personnes nées en Algérie et concernées par toutes ces disciplines. Vous serez impressionné. Certains sont restés fidèles à cette Algérie libre de toute chaine du colonialisme, d’autres l’ont trahie. Mais ça, c’est l’histoire ; et l’histoire, on ne la falsifie pas : elle est relatée par les survivants.

    Selecto
    19 janvier 2022 - 11 h 41 min

    C’est curieux cette fixation sur Camus qui était un colon dans la peau d’un humaniste qui a refusé de se joindre a l’appel de Jean Paul Sartre et d’autres intellectuels au général De Gaulle pour gracier Taleb Abderrahmane pour lui éviter la guillotine, il a du prendre un verre au moment où sa tête tombait aux pieds de son geôlier.

    Quant a Albert le Belge qu’il sache que beaucoup d’Algériens ne sont pas fiers de la naissance d’Albert Camus chez eux, ni de lui ni des nuées de sauterelles affamés qui ont pris les meilleurs terres aux Algériens qui nourrissait leur pays avant 1830.

    Anonyme
    19 janvier 2022 - 10 h 37 min

    L’Algérie a vu naître plus que des merveilles que certains se sont accaparée de façon immorale. Mais Dieu reconnaît tjrs les siens.

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