Il a lieu au su et au vu de tous : trafic de cocaïne dans les prisons marocaines
Le journaliste marocain Hicham Mansouri a fait état des différents types de trafic dans les prisons marocaines les plus dangereuses, «au vu et au su de tous, avec la complicité de l’administration pénitentiaire», rapporte l’APS.
Le journaliste a révélé dans son enquête, publiée par la suite dans un livre, les trafics dans les prisons marocaines auxquels il a assisté pendant sa détention en 2015, dont le trafic de téléphones portables, de cannabis et de cocaïne, qui se déroulaient «au vu et au su de tous».
Arrêté sur la base de fausses accusations en raison d’un projet d’enquête sur la surveillance électronique au Maroc, le journaliste Hicham Mansouri, 41 ans, a passé dix mois dans la prison de Zaki, au nord de Rabat, l’une des plus dangereuses du royaume.
Pendant sa détention, il a consigné son quotidien dans 30 carnets. Ses notes ont été publiées dans un livre en décembre 2021 par les éditions Libertalia et Orient XXI : Au cœur d’une prison marocaine.
«Dans chaque quartier, un à quatre détenus gèrent la distribution des téléphones portables. D’abord, il faut passer commande et attendre quelques jours. En général, il s’agit de téléphones basiques qui coûtent entre 200 et 400 dirhams (entre 20 et 40 euros) en dehors de la prison et sont vendus de cinq à dix fois plus cher, selon la période, le quartier et la prison. Leurs prix varient donc de 1 000 à 2 000 dirhams (de 100 à 200 euros)», a écrit le journaliste.
«Des prix qui s’envolent quand il s’agit de smartphones. Un smartphone d’une valeur de 1 000 dirhams (près de 100 euros) peut coûter jusqu’à 10 000 dirhams (près de 1 000 euros) en prison (…) Si l’administration fait semblant de fermer les yeux en gérant le trafic des téléphones portables basiques, elle est très sévère lorsqu’il s’agit de smartphones à cause de sa phobie des caméras. Les vendeurs appliquent la consigne en abîmant les caméras de ces téléphones intelligents avant leur mise sur le marché», a-t-il détaillé.
«Il en est de même du trafic de cannabis, dont le royaume chérifien est le premier producteur mondial. De jour comme de nuit, les détenus peuvent se procurer du cannabis et en fumer. Plusieurs en font leur gagne-pain et quelques-uns un business très rentable», a témoigné Hicham Mansouri, réfugié en France depuis 2016.
Trafic de cocaïne : 1 000 euros de gain par jour
Dans un entretien accordé au site Middle East Eye (MEE), le journaliste a expliqué que la vente et la consommation de drogue constituaient «un phénomène de grande ampleur. Avec le recul, je trouve que j’ai bien fait de commencer par tout noter avant de chercher à bien comprendre et cerner les trafics.» «Je notais tout : qui a acheté, qui a vendu, à quel prix. Une des parties les plus intéressantes concerne la détérioration des téléphones fixes installés dans la prison. Les détenus arrivent à négocier, selon leur rapport avec l’administration, une part de marché. C’est notamment le cas de détenus condamnés pour terrorisme», a ajouté le journaliste.
Les autorités pénitentiaires laissaient les téléphones fixes se détériorer, voire les abîmer, du moins ne pas les réparer, ce qui ne laisse pas le choix aux détenus, obligés d’acheter leurs propres téléphones.
Quelques jours après la vente de ces téléphones, des fouilles et des contrôles ont lieu dans les cellules. Les saisies sont réalisées sans procès-verbaux. De cette manière, les téléphones sont revendus dix fois plus chers, une dizaine de fois.
Le journaliste a précisé que les vendeurs «sont connus, ce sont les détenus, et les gardiens sont complices. Certains détenus condamnés à de lourdes peines se lancent tôt ou tard dans le trafic pour subvenir à leurs besoins».
«Je m’appuie aussi sur les témoignages d’un gradé qui m’avait parlé, par exemple, du trafic de cocaïne en prison en me livrant des chiffres sur ce marché. Un marché qui permet à certains de gagner jusqu’à 1 000 euros par jour», selon lui.
«Cette enquête met la lumière sur des trafics cachés, des trafics dans lesquels il est impossible que l’administration ne soit pas impliquée», a-t-il conclu.
R. I.
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