Le cinéaste bourgeois Frédéric Jardin et les approximations iniques sur l’Algérie
Par Kamel M. – Même une fiction doit rendre compte de faits réels lorsqu’il s’agit de raconter une histoire sur des faits réels. Ce n’est pas le cas de la série que la chaîne franco-allemande Arte s’apprête à diffuser, selon France TV Info, qui rapporte l’information en diffusant une bande annonce. Selon le média français, Alger Confidentiel, un «thriller politique haletant dans l’Algérie d’aujourd’hui», est «l’adaptation en série d’un roman d’Oliver Bottini qui raconte l’enlèvement de marchands d’armes allemands, en Algérie». «Une plongée réaliste et haletante», commente France TV Info.
Que raconte le feuilleton ? «Un vendeur d’armes allemand est enlevé [en Algérie]. En Allemagne, branle-bas de combat au ministère de la Défense. Un responsable de la sécurité à l’ambassade d’Alger, ancien policier, mène l’enquête. Tout en vivant une romance avec une jeune juge d’instruction algérienne», explique le média français, qui ajoute : «La mini-série Alger Confidentiel, diffusée jeudi 17 février sur Arte, c’est à la fois une romance, un récit d’espionnage et une plongée dans l’Algérie d’aujourd’hui, avec un retour sur la décennie noire, lorsque le régime de Bouteflika combattait les islamistes.» Première grossière erreur. A son arrivée au pouvoir, le défunt président s’était vu offrir une reddition des principaux chefs terroristes, et la politique de la réconciliation nationale n’était que le parachèvement d’un long processus qui avait été lancé par son prédécesseur, Liamine Zeroual.
En 1999, l’intensité du terrorisme islamiste avait nettement baissé sous les coups de boutoir des services de sécurité et face à la résilience d’une société algérienne stoïque, résolue à ne pas céder aux hordes sauvages. Les attentats avaient déjà diminué et il ne restait que des résidus du terrorisme, dixit l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia. Abdelaziz Bouteflika s’était vu offrir l’abandon de l’action armée par l’AIS, organisation terroriste satellite du FIS dissous, comme un gage de réussite de sa politique intérieure pour justifier son élection controversée après le retrait des principaux candidats à El-Mouradia. Ce n’est donc pas sous Bouteflika que la lutte contre le terrorisme a été la plus intense, mais avant son avènement.
«C’est le côté thriller politique qui me passionnait. Tout part de la manière dont l’Algérie s’équipe, équipe ses armées, principalement en Allemagne, pas en France, l’ancienne force coloniale. Ce n’est pas par souci d’humilier la France mais par souci de faire cela ailleurs», a affirmé le réalisateur, Frédéric Jardin, qui se goure ainsi totalement sur l’origine des armements stratégiques de l’armée algérienne. Si, en effet, l’ANP ne s’équipe jamais auprès de la France, dont tous les présidents ont échoué à lui fourguer l’invendable Rafale, trop cher et moins performant que son équivalent russe, auprès des Allemands, elle se contente de quelques blindés de transport et frégates, sans que cela impacte les acquisitions auprès de l’allié stratégique qu’est la Russie qui fournit à l’armée algérienne des équipements de toute dernière génération, notamment des avions de combat dont elle réserve la priorité généralement à l’Algérie, à l’image du Su-35 et du Su-57 furtif, ainsi que des sous-marins ultra-performants.
Et le réalisateur français d’asséner : «Ce qui m’intéresse le plus, ce sont l’enquête, le suspense, la tension dans ce pays hostile, quand la petite histoire de notre enquête rejoint aussi la grande histoire et le contexte politique.» «Pays hostile» donc, soutient-il, révélant par là même la totale partialité du film qui reprend étrangement le discours de la «clique» à François Gèze – lui parle de la «clique» du régime (algérien] «qui tient le pays d’une main de fer et qui a étouffé le Hirak, ce mouvement qui avait lieu tous les vendredis avec cette jeunesse algérienne qui aspirait à la démocratie et à la révolution». «Mon souci dans la réalisation, c’est toujours d’être très réaliste. D’aller chercher l’intensité dans nos personnages et d’être près d’eux et de vivre les choses avec eux. Mais sans chichi, sans effet cinématographique. Je veux qu’il y ait une sécheresse dans la réalisation», jure le cinéaste qui regarde la «réalité» algérienne par la fenêtre à partir de la banlieue cossue et bourgeoise de Neuilly-sur-Seine où il est né, loin du tumulte algérien qu’il assure faussement avoir côtoyé.
K. M.
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