La série française «Alger Confidentiel» ou les mille et un ans d’intrigues
Une contribution de Youcef Benzatat – Ebruité à grande pompe la veille de sa diffusion sur Arte, Alger Confidentiel, une série télé de quatre épisodes, a laissé abasourdi plus d’un et n’a séduit apparemment aucun ! C’est l’indignation totale chez les Algériens et l’incompréhension scandalisée chez les amateurs de cinéma et, surtout, du genre, géopolitique en la circonstance, surtout par sa confusion grossière dans le rapport de sa temporalité au réel. D’autant qu’elle traite de l’Algérie, de son armée et son rapport au terrorisme avec toute la complexité du sujet dans l’histoire récente et actuelle de ce pays. En effet, la scène se passe en 2018, où règne un climat de terreur avec une grande activité de terrorisme à un moment où le terrorisme islamiste en Algérie a été totalement éradiqué, même s’il persiste encore quelques poches résiduelles, mais néanmoins insignifiantes et sans réelle nuisance sur la paix civile.
Que voulaient-ils au juste passer comme message les commanditaires de ce thriller géopolitique avec la prétention de montrer au grand public d’Arte des confidences sur le rapport de l’armée algérienne au terrorisme ? Surtout que cela intervient à un moment sensible dans lequel le pouvoir algérien a condamné de terrorisme les mouvements islamistes de Rachad et séparatistes du MAK, basés en France, en Allemagne, en Suisse et partout ailleurs en Europe et au Canada et ayant infiltré le Hirak sur le sol algérien. A un moment aussi où la thèse du «qui-tue-qui», chère aux négationnistes des tueries commises par les terroristes islamistes contre des civils algériens durant la décennie noire des années 1990-2000 et attribuées à l’armée algérienne, est remise sur la table des magistrats suisses. Par ailleurs, cela intervient également à un moment crucial où le pouvoir malien avait ordonné à l’armée française, stationnée dans ce pays depuis plusieurs années au prétexte de vouloir chasser les terroristes islamistes de ce pays, de quitter son territoire sans délai.
Beaucoup de coïncidences pour ne pas en tenir compte afin de mieux cerner le message voulu par les commanditaires de ce thriller géopolitique digne des plus mauvais films de propagande américains pendant les moments les plus critiques de la guerre froide.
A commencer par l’anachronisme de taille qui réside dans l’identité de la cellule terroriste mise en scène dans ce thriller qui ne présente aucun signe caractéristique propre aux terroristes islamistes. Ses membres ne sont pas versés dans le halal et le haram, ils mangeraient bien un hamburger non halal dans un MacDonald, ce qui dénote leur disposition à la laïcité. Leurs relations aux femmes ne sont pas conditionnées par la charia dans une relation conjugale, mais par des relations amicales de voisinage ou de camaraderie au cours de leurs études universitaires, y compris dans le maquis, le tout hors mariage. L’engagement politique de cette cellule de terroristes ne vise pas l’Etat islamique mais un Etat de droit, laïc et démocratique. On ne saura pas plus sur ses visées politiques, à part qu’elle est explicitement circonscrite en Kabylie. Nous sommes donc en face d’un genre nouveau de terrorisme.
Au final, la mise en scène dévoile un complot orchestré par l’armée algérienne, qui résulte d’une guerre de clans pour l’accession au pouvoir et qui se servirait de réseaux terroristes pour éliminer les rivaux. Lors d’une transaction juteuse d’achat d’armes en Allemagne, un général corrompu se fait éliminer par la cellule terroriste, infiltrée au préalable par son capitaine qui devrait lui succéder naturellement. Une fois cet objectif atteint, la cellule terroriste sera complètement anéantie. L’allusion explicite à la thèse du «qui-tue-qui», illustrée ici par la mise en scène de ce complot, est augmentée d’un indice sans détours dans l’intrigue. Amel Samraoui, une juge d’instruction, adoptée très jeune par le général, fait figure d’une juge intègre et au-dessus de la mêlée, qui ne cautionne ni le comportement du général ni celui du capitaine. Amel Samraoui semble incarner ici tout le personnage de l’un des principaux théoriciens de la thèse du «qui-tue-qui», en l’occurrence Mohamed Samraoui, auteur du livre Chronique des années de sang, Algérie : comment les services secrets ont manipulé les groupes islamistes. Lui aussi adopté très jeune par l’armée pour devenir un officier du renseignement. Lui aussi ne cautionnant aucun comportement de ses collaborateurs, qu’il dénonça par la formulation de cette thèse dans ce livre. La mise en scène dans ce thriller ira jusqu’à attribuer son nom propre au personnage du juge d’instruction, Amel Samraoui.
L’intrigue se terminant sur l’avènement du Hirak, on est en droit de penser que le message que les commanditaires de cette production voulaient délivrer, qui serait adressé à l’opinion algérienne et internationale, serait de mettre en garde sur l’éventualité d’un remake de la manipulation du terrorisme par l’armée algérienne en Kabylie pour contrer le mouvement populaire du Hirak et en même temps d’appuyer la thèse du «qui-tue-qui» pour discréditer l’armée algérienne dans sa véritable lutte contre le terrorisme, aussi bien en Algérie que par sa contribution contre le terrorisme au Sahel généralement, au moment où l’armée française est acculée à quitter le Mali, laissant derrière elle ses intérêts sans garde-fou.
Y. B.
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