Sanctions contre la Russie et chute annoncée de l’économie financiarisée
Une contribution d’Ali Akika – L’Occident avec ses sanctions fantasmes délire et voit déjà la Russie à genoux, ses dirigeants devant le Tribunal international. L’objet de cet article vise à cerner les effets de ces sanctions prises sans que leurs auteurs ne mesurent les surprises à long terme. Ils appréhendent le court terme en bons élèves de Keynes (1) mais ignorent superbement le long terme. Pourtant, c’est dans la chaudière du long terme que se mijotent les faits et événements qui se transforment et entrent dans la grande histoire, c’est-à-dire opèrent des ruptures dans l’architecture du monde. Mais auparavant, un mot sur les médias en Occident qui, eux, ne font jamais de rupture avec ce monde et participent docilement à son entreprise de désinformation. Entreprise qui met face à face l’Occident et les peuples ou à des Etats qui ne se supportent pas leur hégémonie. Ils n’hésitent pas alors à les bombarder quand ils ne risquent rien, Irak, Syrie, Libye. Mais face à l’Iran, la Chine, la Russie, ils choisissent la «sagesse» des sanctions. Mais cette «sagesse» leur réserve parfois des surprises.
Mais revenons aux sanctions qui utilisent les armes «pacifiques» du dollar, du système monétaire international dont j’ai souvent parlé à Algeriepatriotique. Disons d’emblée que les sanctions de l’Occident, en vérité des Etats-Unis, vont faire fuir des utilisateurs du dollar et donc leur hégémonie sur le système financier mondial et le commerce international. A travers les post des lecteurs de AP, j’ai constaté qu’ils connaissaient la dette abyssale des Etats-Unis qu’ils font payer au monde par le biais de l’inflation, sans oublier les ravages qu’ils infligent à l’Iran par exemple en lui interdisant l’accès au système monétaire international.
Je me permets dans le présent article d’apporter des informations qui révèlent que les Américains, à force d’abuser de leur pouvoir, viennent de se tirer une balle dans les pieds avec leurs sanctions. Ils se sont fait beaucoup d’ennemis, lesquels ne se laissent plus faire. Ainsi, les Russes ayant subi les sanctions à la suite de l’intégration de la Crimée dans leur pays en 2014, ont multiplié la production du blé, de l’élevage et des agrumes. Résultat, la Russie exporte du blé et se passe du porc et légumes pour le plus grand malheur de l’agroalimentaire de la France, par exemple. Les Iraniens ont fait de même et leur industrie d’armement couvre grandement leurs besoins et peut même exporter. Mais voyons maintenant les ripostes de tous ces pays qui souffrent de leur éjection du système-dollar mais aussi qui subissent des pertes (inflation) avec le dollar qui fait du yoyo en fonction du taux d’intérêt fixé par les décideurs de Wall Street. Des grands pays ont commencé à s’organiser et ont fondé le Brics (2) pour pouvoir commercer en évitant au maximum de passer par le dollar.
D’autres organisations spécifiques au continent comme celle de Shanghai regroupent des pays asiatiques où siègent des pointures comme la Russie, la Chine et l’Inde. Tous ces pays ont créé des mécanismes financiers pour échapper aux griffes du fameux Swift regroupant 12 000 banques qui font circuler les dollars du commerce mondial. Ce Swift est évidemment aux mains des Américains dont il est inutile de dire qu’ils ouvrent et ferment le robinet des dollars, selon la tête du client rebelle. Ces organismes et institutions parallèles au Swift ont vu le jour car les pays qui y adhèrent ont quelques cartouches dans leurs besaces pour se défendre. Ce sont de grands pays industriels producteurs de richesses et ayant accès aux technologies nouvelles répondant grosso modo aux besoins de leurs populations. En résumé, les pays qui ont une économie qui n’est pas parterre et qui contournent par divers moyens les sanctions et possédant dans leur sous-sol des matières premières arrivent à résister aux foudres des Américains. Ils ne sont pas, hélas, très nombreux.
Il y a l’Iran qui, grâce à sa position géostratégique, commerce avec les pays du Golfe et grâce à son pétrole qui brise tous les obstacles et arrive à être vendu, ce qui lui assure des revenus pour faire face à ses besoins vitaux et même développer son arsenal de défense. Les autres pays sont la Russie et la Chine et, comme le hasard fait bien les choses, ils sont frontaliers, ont partagé une histoire commune en tant que pays communistes face aux Etats-Unis (guerre de Corée, du Vietnam) et, de nos jours, pour des raisons géopolitiques entretiennent des relations plus qu’amicales. Ils sont des piliers du Brics, de l’organisation de Shangaï.
La Russie répond aux besoins de la Chine en pétrole et minerais et celle-ci, gorgée de dollars, a sa propre monnaie le Yan, convertible qui sert dans les transactions commerciales à l’international. On voit mal ces deux pays courber l’échine avec leurs économies et le niveau de leurs technologies nouvelles sous la surveillance de leurs puissantes armées. Voyons pourquoi les Russes n’ont pas été ébranlés par les sanctions occidentales et continuent de faire la guerre en Ukraine. Seuls les habituels perroquets médiatiques ont décrété qu’ils ont déjà perdu la guerre. Plus le temps passe et plus nos perroquets s’énervent car ils n’ont connu que la guerre des clips vidéo de leur enfance…. Les sanctions n’ont donc pas empêché Poutine de dormir. Bien avant les sanctions, ils savaient que c’est l’Allemagne qui était dépendante de son pétrole. Pour son commerce avec l’étranger, il avait un matelas de dollars dans «sa» banque et un stock de la devise chinoise, le Yuan en contrepartie du pétrole et minerais vendus à la Chine… On a remarqué que les sanctions ne s’appliquent au gaz Nord Stream 1 qui fournit 40% à l’Europe. Des devises pour la Russie, certes, mais si ça tourne mal, rien n’empêche ce pays de fermer les robinets. On voit la primauté du gaz, économie réelle sur le papier-monnaie qui perd ses moyens face à de coriaces adversaires.
La guerre en Ukraine a percé un secret dont on ne soupçonnait pas l’existence. En vérité, c’est un secret de Polichinelle pour ceux qui connaissent l’histoire de l’économie dite «moderne» depuis le capitalisme des fabriques jusqu’à celui de la mondialisation, le capitalisme financier. Les idéologues disent que ce dernier est arrivé au stade du post-capitalisme financier. Avec cette nouvelle notion, ils écornent un peu la prophétie bébête du capitalisme indépassable, éternelle. Ils ne peuvent imaginer autre système que celui qui les a formatés. Ces idéologues veulent continuer à raisonner avec leurs pieds alors ceux-ci servent à marcher (3).
Avec la guerre en Ukraine, nous voyons que la confrontation entre le capitalisme financier, celui de la mondialisation et les économies qui lui échappent symbolisées de nos jours par la Russie et la Chine, interroge le présent qui a du mal à esquisser les contours d’un futur. Comme la guerre fait rage en Ukraine et que les camps opposés ne veulent pas la perdre, un vent de peur légitime souffle sur le monde. Et cette peur devient palpable quand les deux camps font référence à la guerre mondiale et donc au spectre de l’arme atomique.
Au lieu de penser cette situation de confrontation comme une montée de la tension due aux contradictions qui s’aiguisent et finissent par exploser, les idéologues du système déplacent le problème ailleurs. Comme ils pensent avec leurs pieds/portefeuilles, ils réduisent la confrontation à un combat du bien contre le mal. Sortons de ces marécages et faisons comme Spartacus qui s’est élevé contre l’esclavage pour rêver d’un autre monde… En tout cas, la guerre en Ukraine confirme une idée qui a germé pendant la pandémie du Covid, c’est la suprématie de l’économie réelle sur l’arrogance de l’économie financiarisée. Celle-ci contient en son sein ses éléments autodestructeurs qui la mènent à sa perte. Le système financier qui se basait sur la monnaie a trahi celle-ci. Il devait utiliser la monnaie pour faire circuler les richesses et non créer une monnaie qui s’agite dans une bulle qui éclate sous le souffle d’une pandémie ou d’une guerre.
Pour conclure, les sanctions prises par le Système financier vont produire des effets dans l’immédiat sur les économies, lesquelles vont faire payer ceux qui vivent de leur travail. Le monde va entrer dans un nouveau cycle. Il va falloir qu’il invente de nouveaux rapports à l’échelle internationale pour effacer la désastreuse règle des deux poids deux mesures, cautionnée par l’ONU. Celle-ci a intérêt à ne pas dépendre des mêmes puissances si elle ne veut pas connaître le sort de la tristement célèbre SDN (Société des nations, née après la Première Guerre mondiale et enterrée par la seconde). Après la Seconde Guerre mondiale, les guerres se déroulaient dans le tiers-monde actionnées à distance par des acteurs.
Avec la guerre en Ukraine, ce sont des grandes puissances qui s’affrontent non plus chez les «pauvres», mais en Europe même. La donne va changer comme elle a changé après la Première et la Seconde Guerre mondiales. On devrait s’en préoccuper chez nous et chez tous les «pauvres» du monde si on ne veut pas être classés par pertes et profits dans les livres de comptabilité des dominateurs.
A. A.
1- John Maynard Keynes, célèbre économiste anglais qui proposa des recettes pour relever l’Europe des ravages de la guerre. Il prône l’intervention de l’Etat, capable de faire de gros investissements. Pour lui, en économie, il faut penser le court terme car le long terme, on sera mort, disait-il.
2- Brics comprend le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud.
3- Clin d’œil à la phrase de Karl Marx qui taquine Hegel en disant que la dialectique du grand philosophe allemand marche sur sa tête et Marx invite à la faire remettre sur ses pieds.
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