Stora : «La Guerre d’Algérie continue de provoquer des passions en France»
Par Houari A. – «La question mémorielle peut constituer un obstacle à un avenir commun (entre l’Algérie et la France)», a affirmé Benjamin Stora. «C’est pourquoi je crois davantage dans des initiatives communes, précises, pour s’approcher le plus possible de la vérité historique», a ajouté l’historien français dans un entretien au quotidien El-Watan, en expliquant que c’est ce qu’il a «tenté de faire» à son modeste niveau «en travaillant à la construction de savoirs communs, en histoire et en sociologie, par la production de livres ou de documentaires», avec ses collègues algériens.
«La Guerre d’Algérie continue de provoquer, en France, des passions, à construire des références et des symboles. Et les images des documentaires ou du cinéma, les actes de commémoration et les livres d’histoire n’arrivent pas, encore, à réconcilier, à résoudre le conflit des mémoires, cicatriser les ruptures anciennes, à créer du positif. Les effets des traumatismes liés à la Guerre d’Algérie ont été longtemps sous-estimés», a souligné l’auteur du rapport sur la réconciliation des mémoires. «On peut distinguer les symptômes liés au traumatisme lui-même, à la nature et au degré de la violence perpétrée – ou subie –, en particulier la torture ou les liquidations extra-judiciaires – les corvées de bois – et les ruptures que la situation de guerre a entraînées : le déplacement hors de sa vie familiale et professionnelle, la perte d’un proche, l’exil hors de sa terre natale», a-t-il indiqué.
L’auteur d’Histoire de l’Algérie coloniale, pour lequel «la perte de l’Algérie française est vécue par les générations anciennes comme une crise profonde du nationalisme français», s’est dit persuadé que son rapport présenté au président français Emmanuel Macron, «a produit des effets», citant ce qu’il qualifie de réalisations rendues possibles grâce à son document. Parmi celles-ci, l’académicien natif de Constantine évoque «la reconnaissance par la France de l’assassinat de maître Ali Boumendjel – à la suite de celle de l’assassinat de Maurice Audin –, l’ouverture plus large des archives françaises, l’hommage rendu par le président français aux militants algériens tués à Paris le 17 Octobre 1961, la reconnaissance de l’assassinat des neuf militants français tués au métro Charonne dans une manifestation anti-OAS et l’inauguration d’une stèle à Amboise en hommage à l’Emir Abdelkader.
Benjamin Stora a souligné que son rapport est un «travail de pédagogie essentiel», en expliquant que lorsque Macron lui a commandé le travail mémoriel, l’objectif de l’historien «n’était pas de recommencer un énième livre sur l’histoire de la colonisation, de la résistance, des massacres ou de la naissance du nationalisme algérien». «C’était, a-t-il précisé, de dresser l’inventaire des relations mémorielles entre la France et l’Algérie, pour essayer de trouver les voies d’un apaisement mémoriel, d’une réconciliation possible à partir de questions particulières». «Est-ce un travail d’historien ou de politique ?» a-t-il interrogé, avant de répondre que la frontière entre les deux «est extrêmement ténue» et qu’il se situe «plutôt dans la lignée des historiens-citoyens engagés, comme le furent Pierre Vidal-Naquet, André Mandouze ou André Nouschi».
«J’essaye de réfléchir aux mouvements qui affectent la société. En l’occurrence, à propos de l’Algérie et de la colonisation, on a vu l’apparition au fil des décennies de groupes distincts, porteurs de mémoires différentes, qui se sont construits dans des identités particulières et ne veulent pas échanger entre eux. La méconnaissance de l’histoire des autres est toujours porteuse d’un enfermement dans un nationalisme agressif, identitaire», a-t-il encore dit.
H. A.
Comment (23)