Quand Maupassant révélait la barbarie de la colonisation déguisé en colon
Par Farida O. – Retro News nous apprend que Guy De Maupassant publiait des articles à partir de la «colonie algérienne», dans lesquels il dénonçait les «erreurs» de l’Etat dont les commis envoyés en Algérie étaient incompétents. «L’auteur des Lettres d’Afrique qui, pendant deux mois, vont être publiées sous le pseudonyme mystérieux d’Un colon, n’est autre que Maupassant lui-même. Durant l’été 1881, l’écrivain, alors âgé de trente ans, s’est en effet rendu en Algérie pour le compte du journal afin d’y décrire les soulèvements anti-français», découvre-t-on dans le site de presse de la Bibliothèque nationale de France.
«Loin de reprendre à son compte la propagande colonialiste en vigueur, particulièrement vive dans les années 1880, Maupassant va signer des articles souvent incisifs sur la réalité coloniale, n’hésitant pas à en dénoncer les excès au travers d’observations très audacieuses pour l’époque – d’autant plus audacieuses que l’anonymat, en l’autorisant à se glisser dans la peau d’un personnage, va lui permettre d’aller très loin dans la critique», lit-on encore. Guy De Maupassant affirmait que «les soldats [français], qui ont besoin d’avancement, autant que nous avons besoin de calme, ont répandu et fait accepter par tout le monde cette doctrine que l’Arabe demande à être massacré et on le massacre à toute occasion. Quand on manque d’occasions, on le bat comme plâtre, on le pille, on le ruine et on le force à mourir de faim». «L’Arabe demande à vivre et il ne se révolte guère qu’à la dernière extrémité», écrivait-il, en soulignant qu’«il n’y a pas de population plus douce et plus résignée aux abominables traitements que nous lui infligeons.»
«Rien ne peut donner une idée de l’intolérable situation que nous faisons aux Arabes. Le principe de la colonisation française consiste à les faire crever de faim. Quand ils se révoltent, nous pardonnons trop vite peut-être. Mais que faire ? Nous sommes 300 000 Européens contre près de 3 000 000 d’indigènes, nous n’avons pas dans l’intérieur un colon pour cent Arabes !» constatait l’auteur de Boule de suif, en ajoutant : «On sait l’histoire des massacres de Saïda, l’évacuation des champs d’alfa, les razzias des fermes et la déroute du colonel Innocenti, dont les approvisionnements sont restés aux mains des révoltés. C’est que les rebelles ne se battent aujourd’hui que pour les vivres, ou plutôt pour vivre.» «En somme, tout se borne à une guerre de maraudeurs et de pillards affamés», poursuivait-il, en mettant le dernier mot en majuscules.
Décrivant les résistants algériens, l’écrivain, qui avait requis l’anonymat, précisait que ceux-ci étaient «peu nombreux, mais hardis et désespérés comme des hommes poussés à bout». «Mais comme le fanatisme s’en mêle, comme les marabouts travaillent sans repos la population, comme le gouvernement français semble accumuler les âneries, il se peut que cette simple révolte, insurrection religieuse avortée, devienne enfin une guerre générale que nous devrons surtout à notre impéritie et à notre imprévoyance», avertissait-il, en révélant les grandes pertes enregistrées dans les rangs français. «Quant aux corps expéditionnaires, notait-il, il faudra du temps pour les constituer si les soldats continuent à mourir avec la même facilité que depuis un mois. Les régiments fondent. Dans certains hôpitaux, il meurt cinquante hommes par jour.»
Guy De Maupassant admettait, enfin, que ce sont surtout les Français qui avaient «l’air de barbares». En expliquant que «tout ce que nous faisons semble un contresens, un défi à ce pays, non pas tant à ses habitants premiers qu’à la terre elle-même».
F. O.
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