Comment Mohammed VI a fait de Pedro Sanchez le petit télégraphiste de Biden
Une contribution d’Ali Akika – Une fois encore, le roi du Maroc, avec sa fourberie et son cynisme, vient de faire un sale coup au Premier ministre espagnol, devenu le petit télégraphiste des Etats-Unis et de l’Union européenne. Le Premier ministre espagnol a envoyé une lettre à Mohammed VI en le «félicitant» pour son «plan d’autonomie» du Sahara Occidental. Patatras, contrairement à tous les usages dans la vie courante comme dans les relations entre Etats, le roi rendit publique la lettre de Pedro Sanchez. Branle-bas de combat dans toute la classe politique espagnole d’avoir été mise devant un fait accompli par une telle décision. Non seulement le Premier ministre met à mal la représentation démocratique de son pays après la parenthèse sinistre du franquisme, mais aussi de devoir payer très cher à l’avenir la décision en question. Cet avertissement vient d’un ancien Premier ministre espagnol Aznar qui sait de quoi il parle. Il fait allusion, entre autres, à l’Algérie qui fournit du gaz à l’Espagne.
Je reviendrai plus loin à ce gaz car, derrière le rideau de fumée des justifications de monsieur Sanchez, nous sommes au cœur du problème qui met à mal l’Europe et ennuie les Etats-Unis. Inutile donc de chercher à comprendre la soudaine décision de Pedro Sanchez car elle n’est pas si soudaine que ça. Je ne vais donc pas m’attarder à m’appuyer sur le viol de la «légalité» ni sur une quelconque morale de gens addicts à la prédation et à la cupidité conjuguée avec le verbe de la couardise. Je choisis de m’appuyer sur l’Histoire, nourrie des souffles du temps qui est la clé qui ouvre les portes de l’explication de tout événement d’un pays…
Pour que ce Premier ministre prenne le risque de décrédibiliser son pays, c’est que l’enjeu dépasse et sa personne et son pays. Il est vrai que l’Espagne n’est pas seule à pratiquer ce jeu de dupes et de mensonges. C’est tout un système de valeurs en vogue qui se targue de son humanisme et efficacité mais qui prend des libertés avec l’histoire pour effacer des vérités qui dérangent.
Laissons donc le roi à son cynisme et la politique de gribouille du Makhzen à son agitation. Les enjeux et les acteurs sont ailleurs et méritent qu’on s’y arrête. L’impossibilité de l’Europe à se passer du gaz russe alimente discussions et polémiques. Les commentateurs n’ont cessé d’égrener le nom Algérie parce que l’Italie est cliente en matière de pétrole de la Russie et de l’Algérie. «Nos» commentateurs comme d’habitude se réveillent un peu tard sur le poids de l’Algérie en matière de gaz/pétrole comme ils ont découvert le poids politique de la Chine sur la guerre en Ukraine. Ils ont toujours pensé que ses intérêts économiques la rendraient plus «réaliste» sur le plan politique. Non Messieurs, il est des pays comme des hommes qui ne sacrifient pas leur sort et l’avenir, en pensant à leur petit confort, pas plus qu’ils ne cèdent aux menaces…
Les jeux des Etats-Unis et de l’Europe autour du pétrole/gaz. Les tournées des ministres américains et européens et autres rencontres au plus haut niveau comme la réunion de Versailles de l’Union européenne sous la présidence de la France, témoignent des difficultés dans lesquelles se trouve l’Occident. Celui-ci s’est mis dans une posture paradoxale. En voulant punir, il se tire une balle dans les pieds. Il est vrai qu’il a en face de lui un inhabituel adversaire qui peut répondre du tac au tac. Parallèlement à la guerre en Ukraine, l’agitation diplomatique se déroule sur le pourtour méditerranéen. Le ballet de cette agitation a été ouvert par les Etats-Unis en la personne de la sous-secrétaire d’Etat, Wendy Sherman, qui visita du 4 mars au 9 mars, la Turquie, l’Espagne, le Maroc, l’Algérie et l’Egypte. (1) On remarque que les deux premiers pays visités, Turquie et Espagne, sont membres de l’OTAN. L’un commande l’entrée et la sortie de la mer Noire, l’autre l’entrée et la sortie de la Méditerranée. Quant à l’Egypte, son canal de Suez relie les pays du Golfe à la Méditerranée.
Avec le Maroc et l’Algérie, les Etats-Unis ont de bonnes relations mais le hic, ces deux pays entretiennent une paix chaude ou une guerre froide. On remarque facilement à travers la visiteuse américaine en Méditerranée que les Etats-Unis veulent s’assurer la maîtrise de la circulation physique du pétrole qui joue le même rôle pour l’industrie que le dollar dans le système financier. Au moment où j’écris cet article, j’apprends que Antony Blinken, le secrétaire d’Etat américain en personne, va visiter, à partir de lundi 28 mars, trois pays : le Maroc, l’Algérie et Israël. On sait que sa sous-secrétaire, Wendy Sherman, n’avait pas visité Israël lors de sa visite du 4 au 9 mars. Le rapport qu’elle a fait à son supérieur a-t-il inquiété Blinken après le tollé soulevé par le Premier ministre espagnol ? Nous saurons lundi prochain si Antony Blinken est venu calmer le jeu du trio Espagne-Israël-Maroc car leurs problèmes de petites alliances à la carte peuvent attendre. On peut supposer que le déplacement de Blinken vise à éviter un dérapage en Méditerranée occidentale. Tout le monde sait que les Etats-Unis sont occupés avec des adversaires plus sérieux en Ukraine et à Vienne sur le nucléaire iranien.
La réunion de l’Union européenne à Versailles. Les 27 pays cette Union, aux premières loges de la guerre en Ukraine, veulent aussi être en première ligne des sanctions contre la Russie. Comme la nature est moins généreuse avec l’Europe en pétrole/gaz, ces pays sont courageux mais pas téméraires. Ils ne peuvent pas se passer du pétrole russe. La réunion de Versailles a servi à se mettre d’accord sur beaucoup de choses, en prenant soin de ne pas boycotter le pétrole/gaz russe. Pour qu’ils ne soient plus dépendants à l’avenir du pétrole russe, ils ont décidé d’aller prospecter ailleurs pour trouver une oasis qui étancherait leur soif de pétrole. Alors on a vu défiler des ministres européens dans les pays du Golfe. Pays lointains qui demandent du temps pour mettre une logistique compliquée pour s’affranchir de leur dépendance du pétrole russe.
Des pays comme l’Italie, la France et l’Espagne se fournissent en pétrole en Algérie. Sans doute l’UE a pensé à l’Espagne pour lui confier une mission auprès de l’Algérie en feignant d’ignorer le penchant de l’Espagne pour le Maroc concernant le problème sahraoui. Flash-back sur le Maroc étranglé par la fermeture du gazoduc fait appel à l’Espagne pour qu’elle lui fournisse la quantité manquante. L’Espagne fit une demande d’augmentation de son importation de gaz à l’Algérie pour répondre à la demande marocaine. Ai-je besoin de deviner la réponse de l’Algérie ?
Avec la guerre en Ukraine, c’est toute l’Europe qui est en déficit de gaz. Et comme l’Algérie est reliée à l’Europe par des gazoducs traversant l’Espagne et l’Italie et qui, plus est, possède des navires méthaniers, le gaz algérien est disponible plus rapidement que celui du Golfe. Je suppose que le Premier ministre espagnol, le socio-démocrate Pedro Sanchez, dont le pays est voisin de l’Algérie, a été choisi pour son curriculum vitae. L’Espagne crut faire oublier sa complicité avec la monarchie marocaine pour jouer le télégraphiste de l’Union européenne auprès de l’Algérie (2) pour combler une partie du déficit en gaz de l’Europe. J’ouvre une parenthèse pour dire que Pedro Sanchez a commencé sa tournée des Ducs en France. Et en présence de Macron, il se permet de dire que «nous n’acceptons de chantage de personne». Qui vise-t-il ? La Russie ? Certainement pas puisqu’elle n’a pas fermé le robinet en dépit des sanctions qu’elle subit de la part de cette Europe. Il a visé qui vous savez parce que l’Algérie a refusé jadis d’augmenter le volume pour que le missi dominici de l’Europe le revende à son ami le roi (3). Est-ce le refus de l’Algérie qui a motivé la lettre de Sanchez à son voisin préféré de la région ?
Je suppose que le voyage du ministre algérien des Affaires étrangères en Chine, la rencontre entre le président de la Sonatrach et le président de l’entreprise chinoise de l’énergie et, enfin, un accord sur le phosphate entre deux entreprises chinoises et algérienne renseignent sur la vision de la coopération de l’Algérie avec des pays comme la Russie et la Chine qui sont dans la ligne de mire de l’Occident. On le voit donc, ça bouge partout et chaque pays place ses pions dans la jungle des relations internationales. La petite mesquinerie sous forme de cadeau au roi du Maroc sera étouffée car les Sahraouis seront plutôt galvanisés par cette seconde trahison de l’Espagne. La première fut l’abandon de leur pays par l’armée espagnole qui l’offrit à la monarchie marocaine…
Voilà donc la Méditerranée occidentale touchée indirectement par la guerre en Ukraine. Après la Chine, les Emirats et l’Arabie Saoudite, on voit surgir l’impact sur l’Egypte, Israël, les Emirats qui se sont réunis à Charm Al-Sheikh pour faire face à la signature de l’accord sur le nucléaire iranien qui serait imminent. A travers ce bouillonnement, la guerre nous révèle la pensée des peuples et leur rapport à l’histoire. On voit le malheur de ceux qui s’enferment dans la prison de leurs certitudes, nourries d’idées caduques en tournant le dos à la puissance du réel, conjugué avec le verbe de l’Histoire. La guerre en Ukraine a au moins révélé le ridicule de la «pensée» conservatrice. Hier, elle s’accrochait à la notion du choc des civilisations et, aujourd’hui, à la folie vue par le trou de souris du psychologisme de bazar. Et, enfin, l’ignorance de la raison s’être des services de renseignements. Ceux-ci sont dans leur rôle quand ils font de la désinformation pour le démoraliser l’ennemi. Mais les médias, dont le rôle est la collecte de l’infos recoupée avant de la balancer à l’opinion, eh bien non, «nos médias» piochent dans les renseignements de la CIA pour alimenter leur propre robinet de la désinformation. Ils ignorent que beaucoup de gens devant leur télé se tordent de rire en les voyant jouer petitement aux stratèges militaires et grossièrement en passeurs de mensonge.
A. A.
1- On se rappelle que les Etats-Unis avaient pris contact avec des entreprises pétrolifères étrangères en Algérie sans passer par l’Etat algérien. Cet échec a sans doute poussé l’UE à choisir le Premier ministre de l’Espagne, importateur du pétrole algérien pour faire l’aventure de l’Oncle Sam.
2- Pedro Sanchez pensait peut-être que l’Algérie a la mémoire courte et qu’elle effacera le passé pour les beaux yeux de ceux qui fanfaronnaient que le gazoduc ne sera jamais fermé. Sous-entendu qu’elle ne pourra pas se passer des dollars de l’Espagne. On voit le pouvoir du dollar habillement détourné par la décision de la Russie au profit du rouble. Les acheteurs de pétrole russe doivent acheter avec leur dollar du rouble avec lequel ils paieront le pétrole. Résultat des courses, le rouble ne s’effondre pas et les Russes ne subissent pas l’inflation. Coup financier remarquable, comme celui exécuté sur les négociations à Vienne sur l’Iran.
3- Pedro Sanchez devait se sentir fort puisqu’il avait derrière lui toute l’Europe. Il avait pensé à son échec la première fois quand il était seul à faire l’avocat du roi du Maroc.
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