Peuple sahraoui, trahison espagnole et impact du nouvel ordre sur l’Algérie
Une contribution de Hocine-Nasser Bouabsa – Ma dernière contribution consacrée au revirement honteux et traitre de l’Espagne concernant sa politique au Sahara Occidental fut principalement réservée à la question si «Sanchez avait agi de son propre gré ?» La réponse ne pouvait qu’être négative.
Tout semble en effet indiquer que le président du gouvernement espagnol a envoyé sa fameuse lettre du 14 mars dernier au monarque alaouite, sous «la contrainte» et dans le cadre de tractions secrètes qui dépassent largement la volonté de l’Espagne et du Maroc, puisque la volte-face espagnole s’est opérée sans aucun débat dans les organes du PSOE – le parti, dont Sanchez est secrétaire général et donc le patron – et encore moins au sein de la coalition gouvernementale dont le parti radical de gauche, Podemos, est membre.
La lettre qui humilie l’Espagne
Dans cette lettre, écrite dans un style de rédaction indigne d’un Etat souverain, le patron d’un parti socialiste, Sanchez en l’occurrence, trahit, non seulement le peuple sahraoui, mais aussi tous les militants progressistes qui ont combattu pendant des décennies la dictature fachiste de Franco, et humilie le peuple espagnol en quémandant les faveurs d’un roi prédateur – son excès totalitaire et son penchant pour les mœurs hors normes sont un secret de Polichinelle – qui inonde l’Espagne de produits toxiques et menace d’engloutir la population ibérique par un immense flux migratoire clandestin, qu’il utilise outrageusement comme moyen de chantage. Dans cette lettre, il est question de «destin et d’amitié communs entre les deux peuples» et comme le ridicule ne tue pas, l’Espagne et le Maroc sont même présentés comme deux «pays frères».
Le retournement de Sanchez n’est donc pas le résultat d’une réflexion murie et réfléchie des instances et institutions élues démocratiquement par le peuple espagnol, mais celui d’un marchandage stratégique secret, dicté par un évènement subit et imprévu qui aurait nécessité une réponse immédiate dans laquelle l’Espagne et le Maroc, d’après les spin-docteurs tapés dans l’ombre, devraient être appelés à être des alliés et non des adversaires, dans le cadre d’une éventuelle confrontation militaire de grande envergure qui aurait pu être déclenchée à tout moment.
Cet événement majeur s’appelle «guerre d’Ukraine» et cette confrontation aurait pu opposer l’OTAN et ses alliés, d’une part, et la Russie et d’autres pays qui rejettent l’hémogénie et l’alignement, d’autre part. L’Algérie, qui fonde la doctrine de ses relations internationales et diplomatiques sur le non-alignement et le «multipolarisme», et prône constamment l’application du droit international sans critères sélectifs et distinctifs, fait partie de ce dernier groupe de pays.
L’Espagne est membre de l’OTAN
L’expression «contrainte» est relative et doit être comprise plutôt dans son sens large et non restreint. L’Espagne est en effet membre des deux conglomérats politico-militaires politiquement enchevêtrés et très proches : l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et l’Union européenne (UE). Notons au passage que la grande majorité des pays membres de ces deux blocs sont les mêmes. Ce qui induit que les décisions géostratégiques et militaires prises au sein de l’OTAN sont généralement transportées vers l’UE, qui reste encore beaucoup plus un bloc socio-économique que militaire.
L’Espagne, en tant que membre de deux entités, est liée à une logique et à des process de défense militaire contraignants, qui ne sont pas communiqués à l’opinion publique, puisqu’ils relèvent du secret défense. Les réactions publiques draconiennes de ces deux blocs vis-à-vis de la Russie après l’invasion de l’Ukraine semblent indiquer que ces process ont été déjà activés, aussi bien pour le flanc est (ligne Estonie-Pologne-Roumanie-Turquie, qui correspond à la ligne de démarcation vis-à-vis des forces armées russes) que pour le flanc sud-ouest (ligne France-Espagne-Portugal).
Les ressources du Sahara et du Sahel convoités
A la question «quelle est la relation entre le conflit du Sahara Occidental et les aléas stratégiques de l’OTAN ?» la réponse ne nécessite pas beaucoup de réflexions et d’imagination ! En effet, la région du Maghreb et du Sahel occupent depuis une quinzaine d’années une place importante dans les scénarii de confrontation entre l’Alliance atlantique et l’axe Moscou-Pékin pour le contrôle des immenses ressources énergétiques et minières dont regorge cette région – que l’Europe considère comme sa chasse gardée – et pour le contrôle des routes internationales de transport de ces ressources et des marchandises de toutes sortes.
L’OTAN, à travers les troupes françaises (4 500 soldats) assistées par celles d’Allemagne (1 200 soldats) a accru sa présence depuis une dizaine d’années au Mali, Niger, Tchad, Burkina-Faso et en Côte-d’Ivoire.
De l’autre côté, la Russie essaye de s’y réimplanter en encourageant et soutenant les pays africains à se libérer de cette présence. La démarche russe semble être couronnée par un certain succès dont l’effet diplomatique fut apparent lors des deux derniers votes de l’Assemblée générale de l’ONU au sujet de l’Ukraine, au mois de mars dernier. Fait marquant : pendant ces deux votes, la majorité des pays africains se sont abstenus de condamner l’invasion russe de l’Ukraine.
La Chine, elle, se limite pour le moment à la mise en place de sa toile d’outils «softpower», mais il n’est pas exclu de voir dans le moyen terme des soldats chinois débarquer quelque part sur le continent.
Plus au nord – l’œil fixé sur détroit de Gibraltar – les Etats-Unis ont développé une présence semi-permanente au Maroc où ils organisent régulièrement des manœuvres militaires conjointement avec les forces de l’OTAN et celles de pays qui leur sont acquis. Mais cette présence chez le voisin de l’Ouest ne semble pas encore satisfaisante aux yeux des stratèges militaires de l’Alliance atlantiste. Pour eux, ce pays doit encore être «atlantisé» davantage pour permettre aux forces de l’OTAN d’élargir leur base logistique et leur rayon d’action dans un environnement sécurisé et efficace.
L’Algérie est particulièrement visée
Pour ces stratèges, l’Algérie n’est pas seulement un obstacle majeur aux plans d’expansion atlantiste, mais aussi le plus important allié de la Russie et le plus grand adversaire du Maroc dans la région. Pour ne pas laisser de doutes à cette classification, l’armée américaine n’a pas hésité à simuler, pendant les dernières manœuvres militaires américaines «African Lion», organisées en juin 2021 dans ce pays, une attaque sur une batterie de missiles S400, stationnés dans un pays situé à l’est du Maroc. Ce pays ne peut être logiquement que l’Algérie bien qu’elle ne fut pas citée.
Aux yeux des stratèges atlantistes, soutenir le Maroc diplomatiquement revient à affaiblir automatiquement l’Algérie à l’échelle internationale et à donner au Maroc plus de poids dans la région. Le revirement de Sanchez et de facto sa reconnaissance de la marocanité sont à placer dans ce chapitre. Il est probable que l’Espagne soit sujette à des pressions de la part des Etats-Unis déjà depuis longtemps, mais les verrous placés par la société espagnole vis-à-vis du Maroc, difficiles à faire sauter à court et moyen terme, ont retardé l’annonce d’un tel revirement. Avec la guerre en Ukraine, le gouvernement espagnol fut obligé d’ignorer ces verrous gênants pour le développement de la stratégie de l’OTAN en Méditerranée occidentale.
La dialectique et la rhétorique utilisées par l’OTAN et son junior partenaire, l’UE, depuis le 24 février – date de l’attaque de l’Ukraine par les forces russes – ne laissent aucun doute que la crise ukrainienne va bouleverser la géopolitique du monde et particulièrement sur les continents européen et africain. En chef de file de cette alliance, les Etats-Unis ont immédiatement pris l’initiative de consolider ou même d’élargir le front contre l’axe Russie-Chine suivant la devise de Saint-Mathieu : «Celui qui n’est pas avec moi est contre moi.» C’est dans ce contexte particulièrement tendu que la deuxième responsable de la diplomatie américaine, Wendy Sherman, a effectué entre le 6 et le 10 mars, ses visites en Espagne, au Maroc et en Algérie, tous concernés en tant que partie prenante ou à cause du voisinage, par le conflit du Sahara Occidental que le Maroc occupe illégalement depuis presque cinquante ans.
L’ordre de Wendy Sherman à Pedro Sanchez ?
C’est probablement au cours de la visite de Sherman à Madrid que Sanchez fut sommé de terminer son double jeu hypocrite – vis-à-vis du peuple sahraoui et de l’Algérie – pour se rallier publiquement à la position américaine, qui reconnait la marocanité du Sahara Occidental, pour des raisons d’intérêts états-uniens et non pour les beaux yeux des Marocains. Wendy Sherman a dû lui expliquer sèchement que les Etats-Unis et l’OTAN sont déterminés à faire du Maroc et du Sahara Occidental une tête de pont africain dans leur stratégie d’endiguement vis-à-vis de l’axe Pékin-Moscou dans la région du Maghreb et du Sahel, et qu’en tant que membre de l’Alliance atlantique, l’Espagne est obligée de sacrifier sa prétendue «neutralité» pour favoriser les intérêts supérieurs de cette alliance.
L’autre évènement majeur qui renseigne sur les intentions de l’administration états-unienne dans sa démarche coordonnée avec l’OTAN fut programmé pour le 18 mars 2022, jour de l’annonce de la volte-face espagnole. Une coïncidence de calendrier ? Certainement pas. Il s’agit de l’annonce de la nomination du nouvel ambassadeur américain au Maroc, en la personne de Puneet Alwar, après une vacance de poste qui a duré plus d’an.
Les Américains ne le disent pas ouvertement, mais leur démarche traduit l’évidence qu’ils ont déjà encastré les façades maritimes marocaine et sahraouie le long de l’océan Atlantique dans leur stratégie opérationnelle de déploiement militaire, en cas d’un conflit majeur global dans l’hémisphère nord du continent africain. Un des objectifs d’un tel déploiement serait de prendre le contrôle des champs pétro-gaziers du Sahara, en utilisant, d’une part, la zone située entre Agadir au Maroc et Laayoune au Sahara Occidental, à l’ouest, et d’autre part, la zone située entre Gabes en Tunisie et Tripoli en Libye, à l’est, comme des slots de déparquement massif des troupes qui auraient pour mission de marcher sur les gisements de Reggane, Timimoune, Ahnet (bassins du sud-ouest) et Hassi R’mel, Hassi Messaoud, Berkine et Illizi (bassins du sud-est), d’autre part. Un tel scénario consisterait à isoler le sud algérien du reste du pays, comme la France colonialiste voulait le faire avec son plan de partition de l’Algérie lors des négociations d’Evian.
La reconnaissance de la marocanité du Sahara Occidental par la Maison-Blanche n’est donc pas un cadeau au Maroc, mais répond plutôt à des exigences stratégiques américaines et à une nécessité de «compliance» militaire. En effet, elle permet au ministère de la Défense américain de se passer de casse-têtes juridiques et de questionnements curieux par le Congrès et le Sénat étatsuniens.
Conclusion
Dans le nouvel ordre géostratégique mondial qui se dessine, l’Algérie est particulièrement visée. D’une part, à cause de son soutien infaillible au combat du peuple sahraoui qui lutte pour se libérer du joug colonialiste makhzénien soutenu par les Etats-Unis, l’OTAN, l’UE, les régimes réactionnaires arabes et Israël et, d’autre part, parce qu’elle veut préserver sa souveraineté et sa liberté de décision, et aussi parce ses ressources hydrocarbures attisent les convoitises.
La défense, la préservation et l’exploitation optimale de ces ressources stratégiques et existentielles pour la nation doivent figurer à la première place des préoccupations et des priorités du peuple et de l’Etat algériens, dans le cadre d’une gouvernance patriotique débarrassée de la métastase de la corruption et la compromission.
H.- N. B.
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