Ukraine : pourquoi les Etats-Unis parient-ils sur une guerre longue ?
Une contribution d’Ali Akika – Dans les relations internationales, et surtout en période de guerre, parier c’est à la fois avoir accès à de bons renseignements et investir gros pour toucher le jack pot. Dans le cas contraire, c’est la Bérézina. Pour les Etats-Unis, miser sur une guerre longue, donc sur le temps qui est, pour eux, une denrée rare, c’est risqué et même aventureux. Ils le font tout de même car derrière l’Ukraine, il y a bien sûr la Russie mais aussi, et surtout, la Chine. Le rêve, le fantasme, l’obsession des Américains, c’est d’éviter que ces deux pays fassent bloc contre l’Oncle Sam. Diviser pour régner, une chose normale qui relève du b.a.-ba de l’art de la guerre, surtout quand on veut demeurer le maître des lieux.
Les «experts» d’aujourd’hui découvrent le jeu des Etats-Unis qui veulent éviter une alliance Chine/Russie. Cette politique ne date pas d’aujourd’hui. Elle a été inaugurée par Nixon en 1972 pour créer une bisbille entre la Chine et la Russie à l’époque tous d’eux communistes. Aujourd’hui, ce n’est pas le fantasme du communiste le couteau entre les dents qui effraie l’Oncle Sam, mais l’imbrication de la géopolitique et de la géostratégie entre deux pays rivaux d’une Amérique puissance du Pacifique mais non Asiatique. Une petite «faiblesse» américaine par rapport à ces deux concurrents qui sont des puissances du Pacifique, de l’Asie continentale et qui plus est européenne, s’agissant de la Russie. Ces atouts d’ordre spatial et géographique déjà considérables sont renforcés par de solides identités historiques, de culture, de technologies nouvelles, etc.
Ainsi, le choix de la guerre longue qui semble être l’option des Etats-Unis, selon les déclarations des deux hommes qui dirigent toutes les armées américaines, le secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, et le chef de l’état-major de l’américaine, Mark Miley. La posture politique des Américains est partagée par le Premier ministre polonais qui a vivement critiqué le président français qui parle et communique régulièrement avec le président russe. Pour la Pologne, on ne peut discuter avec un Hitler, avait osé dire son Premier ministre. Ces prises de position politiques et cette guerre des mots à propos de l’Ukraine ont leur prolongation sur le terrain concret des armes. Ainsi, on apprend que les Etats-Unis, l’Angleterre et l’Australie sont sur le point de faire des essais sur le missile hypersonique dans le Pacifique. J’avais signalé ici que seules la Russie, la Chine et la Corée du Nord possèdent ce type de missile qui a littéralement tétanisé les Américains quand ils ont vu une base d’entraînement sous couverture de l’OTAN partie en fumée à 20 km de la Pologne, à la suite d’un tir des Russes.
Toutes ces déclarations d’officiels et de faits concrets expliquent la visite de Joe Biden en Pologne et ses déclarations peu diplomatiques contre le président russe. Et cerise sur le gâteau, toutes ces agitations ont débouché sur la dernière déclaration du secrétaire général de l’OTAN qui attire l’attention des alliés de cette organisation militaire sur l’influence de la Chine sur les événements en Ukraine. Jusqu’ici, on a mobilisé le banc et l’arrière bon des petits soldats de la guerre de la désinformation pour pousser la Chine à s’éloigner de la Russie. Ils ont essayé la flatterie et la séduction, puis la pensée rationnelle qui pousserait la Chine à défendre ses propres intérêts et ne pas suivre la Russie dans sa «chute». Tout ce cirque n’est qu’une construction d’un scénario conforme à un profond désir de neutraliser deux acteurs, des méchants dans le cinéma de Hollywood, la Russie et la Chine. La matérialisation du scénario en film consisterait donc à épuiser la Russie par une guerre longue et fournir à l’Ukraine les moyens d’empêcher son ennemi de réaliser le moindre trophée de victoire à présenter au peuple russe. L’épuisement économique et militaire conjugué avec une image désastreuse et un isolement «mondial» sortiraient la Russie de l’Histoire, le nouveau rêve de l’Oncle Sam.
Quant à la Chine, futur et coriace adversaire que l’on va affronter dans le Pacifique avec l’Angleterre et l’Australie, alliés peu nombreux mais plus sûrs que ces Européens divisés entre libéraux, socio-démocrates et souverainistes qui veulent créer une armée défense commune quand ils ont du mal à s’entendre sur la quantité de lait à produire…
L’Oncle Sam s’est nourri de l’illusion que la Chine va laisser tomber la Russie. Il a semblé un moment donné suivre les recommandations des brillants économistes de Wall Street. Ces experts l’ont persuadé que la Chine ne peut plus se passer des marchés américains et européens les plus solvables. La déclaration du secrétaire général de l’OTAN, qui remarque l’implication de la Chine dans les affaires en relation avec la guerre en Ukraine, est à la fois une menace et une prise de conscience que ce grand pays ne va pas lâcher sa proie, ses véritables intérêts pour les broutilles d’un Occident qui renie ses engagements une fois son fantasme concrétisé. Dans son logiciel, l’Occident fait la part belle au facteur économique qui solutionnerait tous les problèmes. Il manque dans ce logiciel le Temps, l’Histoire, deux ponts qui aident à traverser une période sans être emporté par la fureur du torrent qui coule sous les ponts en question…
L’histoire a déjà répondu à la première tentative des Etats-Unis de semer la division entre la Russie et la Chine durant la guerre du Vietnam. Qui est sorti vainqueur de cette manipulation ourdie par le brillant Kissinger ? La Chine dont le père libérateur, d’une immense culture, a facilement deviné la ruse tactique de Kissinger qui se brisa devant la muraille de Chine qui relève de la plus haute des stratégies. Quant aux manipulations à multiples entrées et sorties de la guerre en Ukraine, nous finirons par savoir qui a voulu arroser qui et qui, finalement, s’est fait arroser. Pour l’heure, ce sont les peuples, en Ukraine, en Russie et demain d’autres peuples qui auront froid et qui auront faim, victimes de plaques tectoniques de l’histoire moderne…
Un dernier mot sur l’effrayante guerre de la manipulation en cours en Ukraine. Inutile de faire la liste des mensonges liés à la guerre. Le perdant dans ce genre de guerre est celui qui sera victime de l’enflure de son nombril et de croire qu’il est l’unique source de la vérité. Or, quand une «vérité» se cultive dans un périmètre limité et sur une terre ocre par sa sécheresse, elle n’a pas cette petite clarté qui guide les pas dans la nuit. Oui, quand une «vérité» est répétée et se répand comme une traînée de poudre, l’esprit de l’homme devine que cette prouesse est trop belle pour être vraie. Fleurissent alors ici et là, de nouveaux prophètes de ce genre de «vérités» pour colmater des brèches dans le mur des certitudes d’un certain monde qui se meurt. Il nous faudra attendre l’émergence de vrais philosophes qui vont construire un autre récit à partir du terreau de l’histoire pour goûter au plaisir de la vérité, des vérités.
A. A.
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