La chute du dollar est au bout de la guerre en Ukraine
Une contribution d’Ali Akika – La chute du dollar en tant que monnaie internationale n’est pas une idée fantaisiste. Le dollar est devenu monnaie d’échange international dans des circonstances particulières. Sa valeur intrinsèque repose comme toute monnaie sur la puissance économique du pays, et sa parité se mesure à l’aune de la valeur de l’or. Puissance économique et parité or/dollar sont les deux facteurs qui ont permis aux Etats-Unis d’imposer le dollar comme monnaie d’échange international. Tout naturellement, ce dollar leur permit de devenir le banquier du monde en contrôlant le circuit financier et bancaire où circulent toutes les transactions commerciales et financières.
Ce statut hors norme, ils l’ont acquis en août 1944 en pleine guerre mondiale à Bretton Woods, grâce aux prêts astronomiques à l’Angleterre, alors première puissance du monde, pour financer la guerre contre l’Allemagne. Grâce aussi aux dollars du plan Marshall que les Américains allaient déverser sur l’Europe. Le dollar connut une petite ombre sur sa majesté en 1971 quand le président Nixon mit fin à la parité or/dollar. Jusque-là, tout quidam dans le monde pouvait échanger ses dollars contre de l’or mais, depuis cette date-là, notre quidam perdit ce droit. En revanche, l’Oncle Sam se donna le droit de faire fonctionner la planche à billet du dollar qui garda, hélas, son passeport pour circuler de banque en banque.
C’est avec ce tour de «magicien» que les Etats-Unis financèrent toutes leurs guerres et le consommateur américain continuait à payer son essence à un prix le moins cher du monde. Ce flux et ce flot incessants de dollars reposant sur la «confiance» imposée par l’Oncle Sam commença à fissurer la belle architecture élaborée à Bretton Woods. Fissures qui s’agrandissaient sous la double pression d’autres économies mais aussi de grandes puissances qui ne supportaient plus son hégémonie. La création de l’euro fut le signe d’une Europe dont la population et la richesse méritaient d’avoir une monnaie qui échapperait au yoyo du dollar (1).
D’autres puissances vont se joindre à cette «rébellion» en créant le Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine Afrique du Sud) pour commercer entre eux sans passer forcément et toujours par le dollar. La création de ces monnaies/devises a porté un petit coup de canif à la domination du dollar sans, toutefois, le descendre de son piédestal. Avant de cerner le facteur «guerre en Ukraine» qui va précipiter la chute du dollar et l’émergence des circuits financiers parallèles, arrêtons-nous sur le coup du canif qui dévoila l’erreur de Wall Street, le temple de la finance…
Tout d’abord, un mot sur ces «prophètes» de la société du spectacle (2) qui annoncèrent la fin de l’histoire. Drôles de «prophètes» qui pensaient que l’histoire n’est qu’une suite de faits éphémères, une sorte de locomotive hors sol et hors temps. Sauf que le temps est précisément la source de l’histoire (3) qui mesure à la fois le présent et sert de point de repère à l’humanité. Ces deux temps liant le présent et le passé sont aux antipodes de l’anglo-saxon time is money, le temps c’est de l’argent… Le times is money de Wall-Street est une alliance de l’eau et du feu, celui du temps et de l’argent décrétant la «supériorité» de la monnaie sur la richesse matérielle. Une singulière façon de comprendre l’économie dont les secrets sont la production des richesses et la monnaie comme instrument qui facilite la circulation de la richesse produite par les bras et les cerveaux de l’homme.
Hélas, le monde de la finance fit un coup d’Etat par petites touches contre l’économie productrice de richesses. La guerre en Ukraine est en train de prendre sa revanche sur ses golden boys, ces cols blancs qui pensaient que leurs dollars et leurs circuits financiers allaient forcer l’ouverture des robinets du gaz/pétrole appartenant à d’autres. Des pays comme la Russie et la Chine ont des armes pour ce nouveau champ de bataille pour reconquérir la place qui revient à l’économie réelle. Leurs outils, ce sont les capitaux intellectuel et scientifique. Des connaissances qui embrassent les secrets de la monnaie et de l’économie capitaliste en général. Ce sont ces connaissances qui leur ont permis de mettre en échec, ô paradoxe ! les enfants de ce capitalisme sucré de Coca Cola. Ça s’est traduit par la mise en place petit à petit de circuits financiers parallèles. C’est, du reste, grâce au yuan, devise chinoise qui a permis à la Russie de desserrer l’embargo occidental.
Ainsi, grâce à la connaissance des mécanismes du commerce et des finances, les Russes ont réussi un coup fumant, remarquable, en obligeant les acheteurs de produits russes, notamment gaz et pétrole, de payer en rouble. Du jour au lendemain, le rouble, qui perdait de sa valeur à l’annonce des sanctions occidentales, retrouva ses belles couleurs d’antan. Les brillants économistes qui conseillaient le président russe n’étaient pas impressionnés par le fétichisme (4) du dollar mais comptaient plutôt sur l’arme de dissuasion de l’économie réelle du pétrole/gaz qui fit courber l’échine à la puissante Allemagne.
Dans un précédant article, j’avais mis l’accent sur les conséquences géopolitiques et géostratégiques de la guerre en Ukraine. Celle-ci va aussi engendrer des instruments économiques et financiers parallèles dans le commerce international. Cette hypothèse n’est pas une vue de l’esprit mais elle est d’ores et déjà en train de se matérialiser. Nous assisterons à une cohabitation entre deux circuits de transactions commerciales et financières où le dollar perdra de sa superbe. L’inconnu réside dans l’acceptation par les Américains du glissement de leur dollar soumis à la forte pression des adversaires de l’Oncle Sam. Malheureusement, l’histoire nous «offre» deux exemples de deux guerres mondiales.
La cohabitation entre empires est de courte durée car l’accumulation des contradictions finit par provoquer la guerre. La guerre en Ukraine, quel que soit le compromis envisagé, ne mettra pas fin à ces contradictions. On peut craindre le pire quand on entend les légionnaires de la désinformation parlant avec une morbide jouissance de saigner la Russie. Cette haine et cette hargne contre les Russes s’expriment sous diverses formes. Les Américains somment les pays qui ne condamnent pas la Russie de changer d’attitude, selon la formule de George Bush «qui n’est pas avec moi est contre moi». Réponse des Russes, nous favoriserons les pays amis qui bénéficieront de prix inférieurs à ceux du marché international. Cette bataille implique que les deux camps aient des produits à vendre et des mécanismes de paiements qui échappent à ceux de l’autre.
Cette bataille, quand bien même elle peut se dérouler d’une façon feutrée, va obliger des pays à choisir leurs «amis» et «alliés» avec doigté, en analysant bien les contraintes de la géopolitique. Israël qui bénéficie d’une certaine «tolérance» de la part de la Russie vient de recevoir une volée de bois vert de la part du ministère des Affaires étrangères russe. Les pays du tiers-monde vont subir de plein fouet les conséquences géopolitiques de la guerre en Ukraine. Les plus faibles souffriront évidemment de la hausse des prix des produits alimentaires et de ceux de l’énergie.
D’ores et déjà, il ne faut pas être devin pour considérer que les régions du Moyen-Orient et du pourtour de la Méditerranée vont être le théâtre de tensions pour des raisons évidentes. Elles sont au carrefour des trois continents, lieux de passage maritime, producteur de gaz/pétrole et consommatrice de blé russe et ukrainien qui s’exportent par la mer Noire. Ne pas oublier qu’à tout moment le détroit des Dardanelles qui débouche sur la Méditerranée peut être sujet à quelque accident ou incident (la Turquie contrôle ce détroit). Il reste à tous ces pays de ces régions de bien négocier leurs atouts géopolitiques et de leurs matières premières pour faire face aux contraintes et menaces qui vont surgir. Il est des contraintes que même la possession d’un matelas d’or ne peut résoudre. Un bateau qui coule dans le canal de Suez ou bien dans le détroit des Dardanelles et voilà des pays sans blé ou pétrole.
Ceci pour dire qu’en matière d’alimentation et santé vaut mieux appliquer l’art de la guerre, qui met l’accent sur la défense comme stratégie. Ce qui veut dire, produire l’essentiel chez soi pour se nourrir, s’habiller et se soigner. Ces sages décisions sont offertes par l’histoire qui enseigne que c’est la seule arme qui fatigue et finit par briser les reins des agresseurs.
A. A.
1- On sait que De Gaulle tenta de revenir à la parité or/franc sans y parvenir et fut obligé de créer le nouveau franc pour se protéger un peu de l’inflation qui rongeait la monnaie française. Il s’opposa aussi à l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’Europe car elle était un agent de l’Oncle Sam.
2- Société de spectacle, notion inventée par Guy Debord, cinéaste/intellectuel, pour dénoncer la marchandisation de tous les secteurs de la vie économique. Les sentiments, la vie privée sont exploités pour en tirer un profit.
3- «Nos» prophètes biberonnés à la métaphysique croient que le temps est une fiction. Il est des langues qui ont saisi sa réalité avec toute sa complexité. La langue arabe, par exemple, utilise deux mots pour désigner le Temps. Wakt qui mesure le temps présent s’écoulant et zaman, le passé, qui est un repère des changements avec le temps qui passe. La langue française passe par le mot nostalgie, qui traduit une douceur du temps passé teintée d’un peu de tristesse.
4- L’argent fétiche est une critique de Marx contre les «imbéciles» qui attribuent à la monnaie une valeur sans tenir compte si elle comporte ou contient la valeur du travail social nécessaire à la production de tout objet/marchandise. En se libérant de cette contrainte, les «génies» de la finance se permettent de créer de la monnaie qui flotte dans une bulle qui éclate au moindre coup de vent, d’où les crises cycliques qui se produisent dans la sphère financière.
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