Graves dérapages à Bouira et Oran : qui cherche à raviver le feu de la discorde ?
Par Abdelkader S. – Simple effet d’entraînement ou complot organisé ? Dans les affaires de Bouira et d’Oran, on n’est plus dans une histoire de prix de la banane, mais dans une véritable tentative de déstabilisation du pays en ravivant la flamme de la discorde, comme celle qui avait embrasé le M’zab il n’y a pas si longtemps. Dans une commune de Bouira, des islamistes ont tenté d’interdire un gala organisé par les autorités locales pour animer une soirée ramadhanesque. Un imam zélé a tenté de faire se soulever une partie de la population contre ce «péché» qu’est la musique, réveillant chez les Algériens le mauvais souvenir du parti extrémiste du FIS qui voulait afghaniser l’Algérie, sans y parvenir.
A Oran, une organisation qui affirme représenter la société civile dans cette wilaya de l’ouest du pays a adressé une lettre au président de la République – rien que ça – pour faire interdire un concert du chantre de la chanson d’expression amazighe, Lounis Aït Menguellet. La raison ? Le poète adulé par des millions d’Algériens serait un sympathisant du MAK, le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie, que dirige Ferhat Mehenni, exilé en France où il bénéficie du soutien et de la protection du pouvoir sur place. Cet appel, qui ne porte cependant aucune signature nominative, résonne comme une manœuvre visant à semer la zizanie dans cette partie du pays où vit une forte population issue de la wilaya de Tizi Ouzou, et ce depuis avant l’indépendance.
Près de la moitié des habitants d’Oran sont originaires de Kabylie. Elle s’y est intégrée à merveille et parle l’arabe avec le très musical accent oranais qui a donné toute sa splendeur au son raï, devenu musique universelle aux côtés, justement, de la chanson kabyle dont la portée a, elle aussi, traversé la frontière, grâce aux géants Idir, Matoub Lounès et Lounis Aït Menguellet, auteur et interprète de son propre répertoire à travers lequel il a, en effet, milité pour la réhabilitation de la culture et de la langue amazighes, pacifiquement et artistiquement, sans jamais appeler à la haine, ni à la division. Ce long combat mené par la rime et la note a abouti à la reconnaissance de tamazight, devenue langue officielle, et à Yennayer, célébré officiellement depuis peu.
Ces tentatives coïncident avec celles de milieux intégristes qui essayent de revenir au-devant de la scène à l’occasion du mois sacré du Ramadhan durant lequel les mosquées connaissent une affluence record. Des anonymes, qui se sont autoproclamés «membres honorables de la société civile oranaise», rappellent une action similaire contre Lounis Aït Menguellet qui devait se produire à Bab El-Oued, au début des années 1990, la salle Atlas, dans laquelle était programmé son concert se trouvant en face d’une mosquée, bien qu’insonorisée et répondant à toutes les normes en la matière. La guerre contre l’art et l’esthétique avait été déclarée depuis bien longtemps par le parti fanatique du couple chthonien Abassi Madani-Ali Benhadj.
Plus de trente ans plus tard, les mêmes réflexes persistent, confirmant ce que feu le général Mohamed Lamari, ancien chef d’état-major de l’ANP, avait observé : «Le terrorisme a été vaincu, mais pas l’intégrisme islamiste.» Lequel intégrisme se décline sous des formes moins affirmées mais plus sournoises, donc plus dangereuses.
A. S.
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