Une historienne : la colonisation fut un bizness entre Français, deys et juifs
Par Kamel M. – Une historienne française fait des révélations édifiantes sur les véritables enjeux de la colonisation de l’Algérie par la France. Dans un entretien à la revue Retronews sur les premières années d’occupation du territoire algérien, Colette Zytnicki relève que la France avait «contracté des dettes tant auprès de négociants juifs que du bey de Constantine et du dey d’Alger», en expliquant que l’empire «soldait peu à peu [cette dette], mais en partie seulement, et le dey d’Alger s’estimait lésé». «Ceci dans un contexte de crise politique et économique marqué par des crises frumentaires dont le dey et les négociants juifs sont rendu responsables, et qui conduisent à leur renversement ou leur assassinat», révèle encore la professeure émérite de l’université Toulouse-Jean-Jaurès. «Dans le même temps, ajoute-t-elle, du côté français, l’idée de renouer avec un empire colonial en partie démantelé par la Révolution française avait commencé à faire son chemin, notamment dans les cercles libéraux, et fait entrer la colonisation de la Régence d’Alger dans le champ des possibles.»
«C’est, cependant, la question de la dette qui va mettre le feu aux poudres», fait remarquer l’auteur de Draria, un village à l’heure coloniale, 1830-1962 qui souligne que «la colonisation agraire, au sens romain du terme, c’est-à-dire la mise en valeur des terres conquises par les soldats devenus colons, a véritablement fait passer le pays de l’occupation militaire à l’emprise totale». «Cette colonisation commence dès 1832-33, à l’instigation d’un des premiers gouverneurs, Clauzel, inspiré par les exemples dont il a été le témoin aux Antilles et en Floride», poursuit l’historienne, selon laquelle «le projet est repris et développé dans les années 1840 par Bugeaud, qui met en place un système de concessions gratuites : les colons se voient confier un lopin de terre à cultiver, la pleine propriété leur échoit au bout de quelques années».
«Mais ces terres n’étaient pas auparavant sans propriétaires. Certaines sont donc prises pour fait de guerre, mises sous séquestre et reversées au Domaine, c’est-à-dire à l’Etat ; d’autres sont soumises à une expropriation conduisant rarement à des dédommagements : encore fallait-il parler français pour obtenir gain de cause auprès de l’administration et produire un titre de propriété qui n’existait pas toujours dans un pays de tradition orale. Ces expropriations ont touché également les villes, que les Français ont voulu bâtir à leur goût, créant des places pour les besoins des troupes, perçant des rues plus larges, construisant de nouvelles maisons aux larges fenêtres, remplaçant les terrasses par des toits en tuiles», observe-t-elle.
Pour Colette Zytnicki, «l’idée d’exterminer les populations locales a été évoquée à l’époque par certains intellectuels mais pour être immédiatement écartée, au nom des idéaux de la Révolution française : la France du XIXe siècle n’est pas l’Espagne conquérant l’Amérique». «Apporter les Lumières les armes à la main est une chose, exterminer les populations en est une autre. La guerre a donc été très violente, ponctuée de meurtres de masse, de famines, de refoulements de populations, d’expropriations, mais il n’y a pas eu de volonté exterminatrice au sens génocidaire du terme», relativise-t-elle.
K. M.
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