Parution de l’ouvrage «Le testament de Jugurtha» de Mouanis Bekari
«Dans l’obscurité qui enveloppe l’Afrique du Nord, entre la destruction de Carthage et la campagne de Jules César, la figure de Jugurtha apparaît entourée de l’éclat que lui donne l’œuvre célèbre de Salluste.» (Stéphane Gsell : Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, TVII). Cette œuvre est bien sûr La Guerre de Jugurtha, ouvrage écrit entre -42 et -40, près de soixante-dix ans après les évènements qu’il relate, par Caius Sallustius Crispus (-86 à -35), homme politique, gouverneur de la Numidie (-46 à -45), et qui passe pour le premier des historiens romains.
Paradoxalement, si c’est à Salluste que Jugurtha est redevable de son empreinte dans l’Histoire, puisqu’il n’a laissé aucune marque épigraphique, aucune monnaie légendée, aucun monument, c’est aussi à lui qu’il doit le portrait qui affleure dans la majorité des ouvrages qui ont traité de la guerre qui l’a opposé à Rome, (-111 à -104). Et ce portrait n’est rien moins que flatteur. Cruel, versatile et déloyal, aveuglé par ses ambitions et dominé par son intempérance, il est l’archétype de ces Numides qui, nous dit Salluste, se distinguent par leur «ardeur pour la nouveauté, leur inconstance et leur perfidie». C’est donc nécessairement par le crime qu’il est parvenu à usurper le trône de Micipsa, son oncle et père adoptif, en assassinant ses fils Adherbal et Hiempsal. Et c’est par la ruse et la perfidie que sept ans durant, il a mis en échec la plus puissante armée de l’antiquité, dans une guerre qui «fut considérable, sanglante, marquée par bien des vicissitudes».
Mais les talents d’écrivain de Salluste l’exonèrent-ils de son parti pris politique et des préjugés qui en découlent ? Les harangues de Jugurtha aux Numides n’étaient-elles que le paravent de ses ambitions, comme l’affirme Salluste, ou n’étaient-elles pas plus sûrement le premier appel à la guerre d’indépendance ? Et n’est-ce pas cet appel qui n’a cessé de retentir à travers les âges, nourri par l’incroyable résilience d’un peuple qui transmettra, génération après génération, l’élixir de vie qui, le 1er novembre 1954, déclenchera un séisme d’une magnitude universelle ?
Après les massacres de 1871, alors que la France croyait avoir extirpé le dernier souffle de la révolte, le général Esterhazy constatait dépité : «Malgré la pression de l’armée et des colons, le résultat est négatif. Les Romains, en six cents ans, n’ont pas réussi à les assimiler. Ce qui est en cause, c’est l’esprit d’indépendance.»
Comment ne pas croire que c’est cet esprit que nous a légué Jugurtha dont l’héroïque épopée est aussi le tragique testament ?
Paru aux éditions Gaïa.
R. C.
Comment (7)