Haoussas et Toubous : ce grand complot migratoire ourdi contre l’Algérie
Par Abdelkader Kateb(*) – Un pseudo spécialiste des questions internationales et diplomatiques a rompu avec l’approche nationale portant sur le phénomène migratoire, en réchauffant dans son intégralité un article de presse paru dans une feuille de chou pour la première fois le 23 septembre 2021, pour nous offrir un regard scandaleux, qui frôle l’incident diplomatique, dans un contexte marqué par les divers bouleversements régionaux et internationaux. Sa pensée infestée d’insanités et d’absurdités occulte la vision d’un phénomène qui a survécu aux aléas des relations de l’Algérie avec son voisinage immédiat, notamment en matière de politique migratoire, qui représente une lourde charge et un important défi pour notre pays.
L’Algérie, qui réaffirme son engagement en faveur de solutions durables, intégrées et globales à travers le règlement des conflits de façon pacifique, mais également par la biais de programmes de développement économique et social des pays d’origine, réitère sa ferme volonté à lutter contre les causes de ce phénomène, en renforçant les mécanismes de coopération entre Etats d’origine, de transit et de destination, afin d’identifier et de démanteler les filières clandestines des passeurs des migrants en se référant à la législation nationale existante dans chaque pays, comme à la prise en charge des migrants illégaux dans le respect des droits de l’Homme.
De l’avis de tous, l’Algérie accueille sur son territoire des milliers de migrants africains et déploie d’importants efforts pour les prendre en charge dans le respect des chartes internationales pertinentes, en dépit de la charge économique, sociale et sécuritaire que fait peser ce phénomène.
Ainsi, au lieu de proposer de revisiter les contributions fondamentales sur ce sujet, aussi bien pour mettre en lumière les éléments de continuité que les recompositions qui structurent le champ migratoire comme le produit des mutations, tant du côté du pays d’origine que du pays d’immigration, notre expert s’est lancé dans une diatribe, en allant jusqu’à affirmer qu’un «grand complot migratoire est concocté [dans les laboratoires israéliens] contre l’Algérie». D’autres accusations contre les Haoussas et les Toubous sont même sous-traitées par notre «spécialiste».
Pour rester dans l’analyse sérieuse, il faut rappeler que de par sa situation géographique, l’Algérie a toujours connu un fort mouvement de flux migratoires en provenance des pays subsahariens et à destination de «l’Eldorado» européen. Force est de constater, cependant, que le transit se transforme assez souvent en séjour plus ou moins long dans des conditions difficiles.
Toute tentative d’approcher ce phénomène nécessite d’agir sur les causes profondes qui l’engendrent et le maintiennent, sachant bien que la tâche est très complexe. Il s’agit de la genèse et des profils des migrants clandestins, des déterminants de ce phénomène et des implications sur l’Algérie. Tous les ministres algériens des Affaires étrangères, de l’Intérieur et les hauts cadres des services spécialisés l’ont inscrit comme une des priorités.
En bref, en décortiquant le produit de notre «expert», la politique en matière d’immigration irrégulière risque d’avoir des effets contraires en jetant le doute tout à la fois sur l’efficacité de la politique nationale en la matière et sur les valeurs qui la sous-tendent. Mais ce sont les accusations maladroites proférées contre les Haoussas et les Toubous qui nous poussent à donner des éléments de réponse, en partant de l’idée que la politique de lutte contre l’immigration clandestine ne peut être réduite à ses objectifs affichés, mais doit être resituée dans un cadre multidimensionnel.
Au regard de l’article de notre «spécialiste», parler des Haoussas et des Toubous sans connaître leur anthropologie est très désobligeant, voire dangereux. Il est bien évidemment inadmissible de qualifier les Haoussas de mendiants et d’errants, alors qu’ils sont un peuple sahélien essentiellement établi au nord du Nigeria, dans le sud du Niger et sont présents en Côte d’Ivoire depuis plusieurs siècles. Ils constituent une des ethnies les plus importantes d’Afrique par leur nombre. Agriculteurs et artisans, les Haoussas ont développé une civilisation urbaine fondée sur la commercialisation d’un artisanat du cuir, du fer, du tissage et des produits agricoles. Aujourd’hui, la plupart d’entre eux vivent toujours dans des petits villages où ils pratiquent la culture vivrière et élèvent du bétail.
Il faut dire aussi que les accusations proférées contre les Toubous, qui vivent entre le nord du Tchad, le Fezzan libyen et le nord-est du Niger, en les qualifiant de voleurs et de conspirationnistes et en tentant de les discréditer, nous fournissent une grille de lecture qui sème le doute. Comment discréditer les Toubous, alors qu’ils jouent un rôle majeur dans le processus de règlement de la crise libyenne ? Il ne faut pas oublier que les liens des Toubous y sont forts avec l’Algérie, tissés depuis la fin du XIXe siècle.
La lecture de l’article de notre «expert» tourne vite court. La déception est alors grande, mais c’est aussi la certitude d’une ignorance flagrante des intérêts de notre pays qu’illustre maladroitement cette fuite en avant. C’est pour cela que ces attaques véhiculent sournoisement un agenda qui vise principalement à porter atteinte même aux objectifs de notre pays, quant au lancement du G4, le nouveau groupement diplomatique qui reste une «plateforme pour trouver des solutions aux défis du continent», dont les pays cherchent sans doute à proposer que le gazoduc algérien traverse le Niger.
Comment, alors, attaquer les Haoussas, alors qu’ils sont majoritaires dans tout le nord de la fédération du Nigéria et représentent 45% de la population de la République du Niger ?
A. K.
(*) Ancien ambassadeur
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