Quelles incidences géostratégiques sur l’Algérie du gazoduc Nigeria-Europe ? (I)
Une contribution d’Abderrahmane Mebtoul – L’Algérie devra être attentive à deux projets qui risquent de modifier l’équilibre des rapports de force géostratégiques au niveau de la région. Le premier projet ayant des incidences géostratégiques sur l’Algérie est le gazoduc Nigeria-Europe. Dans une déclaration faite début mai 2022 et reprise par la majorité des médias internationaux, le ministre de l’Energie nigérien a affirmé que le Nigeria et le Maroc «sont à la recherche de fonds» pour financer le mégaprojet de gazoduc visant à acheminer le gaz nigérian vers l’Europe qui prévoit de se libérer à terme du gaz russe dont la part est à plus de 40%.
Le gazoduc Nigeria-Maroc dont le coût est estimé par l’IRIS entre 25 à 30 milliards de dollars, jusqu’à 10 milliards de dollars plus cher que celui passant par l’Algérie, dont la durée de réalisation varierait entre 8 et 10 ans et dont la longueur serait de 5 660 kilomètres, longerait la côte ouest-africaine en traversant ainsi 14 pays : Nigeria, Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire, Liberia, Sierra Leone, les trois Guinée, la Gambie, le Sénégal, la Mauritanie et le Maroc. Ce projet a été annoncé en décembre 2016, lors de la visite d’Etat du souverain marocain au Nigeria. Ce projet a pour but de connecter les ressources gazières nigérianes à différents pays africains, où il existe déjà deux gazoducs dans la zone Afrique du Nord-Ouest, le West African Gas Pipeline, qui relie le Nigeria au Ghana, en passant par le Bénin et le Togo, et le gazoduc Maghreb-Europe (également nommé Pedro-Duran-Farell) qui relie l’Algérie à l’Europe via l’Espagne (Cordoue) en passant par le détroit de Gibraltar et le Maroc.
Totale confusion, le 21 septembre 2021, le ministre nigérian de l’Energie a déclaré dans une interview accordée à la chaîne de télévision CNBC, en marge de la conférence Gastech, que son pays a commencé à mettre en œuvre la construction d’un gazoduc pour transporter du gaz vers l’Algérie et le ministre de l’Energie algérien, en mars 2022, a déclaré (source APS) que ce projet passera par l’Algérie. Le coût du gazoduc Nigeria-Algérie, long de 4 128 km, est estimé par la Commission européenne entre 19 et 20 milliards de dollars pour une durée de réalisation possible de 5 ans après son lancement et sera d’une capacité annuelle de 30 milliards de mètres cubes. Il devrait partir de Warri au Nigeria pour aboutir à Hassi R’mel, en passant par le Niger. L’idée a germé dans les années 1980. L’accord a été signé le 3 juillet 2009.
Ce projet est stratégique pour l’Algérie, selon différents rapports du ministère de l’Energie afin de pouvoir honorer ses engagements internationaux en matière d’exportation de gaz où les exportations en 2021 n’ont représenté que 43 milliards de mètres cubes gazeux contre plus de 65 entre 2006 et 2007, du fait de la forte consommation intérieure – presque l’équivalent des exportations – et du désinvestissement, tout en n’oubliant pas que l’Algérie est concurrencée même en Afrique, avec l’entrée en jeu de la Libye et ses réserves d’environ 1 500 milliards de mètres cubes non exploitées et plus de 42 milliards de barils de pétrole de réserve léger. Comme l’Algérie est proche de l’Europe, ce qui explique les tensions actuelles, les grands gisements en Méditerranée – plus de 20 000 milliards de mètres cubes gazeux –, au Mozambique avec plus de 4 500 milliards de mètres cubes gazeux, sans compter la concurrence des plus grandes réserves du monde à bas coût : plus de 60% situés en Russie, en Iran et au Qatar.
Avec les tensions budgétaires, il y a lieu de ne pas renouveler l’expérience malheureuse du projet Galsi, le gazoduc Algérie-Sardaigne-Italie, gelé par l’Italie qui avait privilégié le gaz russe. Le projet devait être mis en service en 2012, d’un coût initial de 3 milliards de dollars et d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux, il devait approvisionner également la Corse.
Les autorités nigérianes et l’Europe, principal client, notamment la France qui doit autoriser le passage à travers les Pyrénées via l’Espagne pour alimenter l’Europe, doivent avoir une position claire concernant le gazoduc : soit l’Algérie, soit le Maroc, et éviter les discours contradictoires.
A. M.
Suivra : Les incidences sur l’Algérie de la stratégie chinoise de la Route de la soie
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