Visite de Tebboune : notre ambassadeur à Rome se confie à Algeriepatriotique
A quelques jours de la mission d’Etat qu’effectuera le président de la République Abdelmadjid Tebboune en Italie, l’ambassadeur d’Algérie à Rome, Abdelkrim Touahria, a bien voulu répondre aux questions d’Algeriepatriotique. Une interview à travers laquelle il aborde les principaux contours de cette importante visite.
Algeriepatriotique : Le président de la République italienne, Sergio Mattarella, est convaincu de devoir promouvoir avec son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune, un partenariat stratégique entre les deux pays. A quelques jours de la visite en Italie de ce dernier, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette amitié qui s’est renforcée au fil des ans pour devenir le meilleur soutien de ce partenariat ?
Abdelkrim Touahria : Tout d’abord, les relations entre l’Algérie et l’Italie sont anciennes et profondes. Elles ont toujours été empreintes d’amitié et de coopération utiles aux deux parties. Les excellentes relations entre les deux chefs d’Etat ont certainement hâté certaines synergies et motivé les deux gouvernements à passer à la vitesse supérieure, ce qui a permis le lancement de ce qui est communément connu comme le partenariat stratégique entre l’Algérie et l’Italie.
De même, à maintes occasions, le président Tebboune a rendu un hommage à l’Italie et à son Président pour leur attitude à l’égard de notre pays lorsque d’autres partenaires tendaient à le confiner à l’isolement. La relation amicale qui lie donc les deux présidents est un élément fondamental dans l’essor des relations qui existent entre les deux pays et le développement significatif et majeur qui est en train de s’exprimer en ce moment de la manière la plus limpide.
J’ai, à mon niveau, rencontré plusieurs fois le président Mattarella et il m’a toujours assuré que l’amitié avec notre pays était fondamentale pour la stabilité de notre région et loué le rôle important joué par nos deux pays pour son développement. Il connaît très bien notre pays, pour lequel il ressent beaucoup de sympathie, m’assurant du soutien fort de l’Italie et de sa conviction que les peuples de la Méditerranée ont un grand défi à relever et qu’ils sauront concilier modernité et authenticité, coopération et sécurité.
Rome est également le siège de l’Etat du Vatican et, à ce titre, je ne peux m’empêcher d’aborder avec vous la place qu’occupe le pape François 1er, qui ne rate aucune occasion pour adresser des messages d’amitié à l’égard de notre pays.
Sa Sainteté le Pape s’est fait apprécier par sa contribution décisive pour la paix dans le monde, par la défense des plus faibles et, surtout, pour son rôle joué pour éviter un choc des civilisations et des cultures. Il a eu cette idée, quand j’étais en poste aux Emirats arabes unis, de la rencontre d’Abou Dhabi avec l’imam d’Al-Azhar, un tremplin mondial qu’il a voulu pour le dialogue entre ces deux grandes religions. Il œuvre depuis le début de son pontificat à faire entendre la voix des derniers et il s’est fait le paladin de leurs problèmes auprès des grands de ce monde.
En tant que représentant de mon pays, je n’oublie pas son soutien au peuple algérien qui, d’ailleurs, lui voue un grand respect.
Le président du Conseil, Mario Draghi, a déclaré récemment à Alger que les deux pays sont confrontés aux mêmes défis en Méditerranée…
Effectivement. Et s’il y a un pays et un peuple qui peuvent saisir et comprendre l’esprit et l’objectif commun de cette politique de stabilisation et de sécurisation, c’est bien l’Italie et son peuple, confrontés depuis des décennies aux conséquences de la déstabilisation de la région et de notre voisinage immédiat.
D’ailleurs, tant le président Tebboune que Mario Draghi sont d’avis que l’avenir de ces relations est résolument inscrit dans la mer Méditerranée, où notre apport peut être maximal pour le développement économique, la croissance sociale et la stabilité de tous les pays de cette région. Ces chapitres de notre relation bilatérale sont au cœur de nos contacts récurrents, et les deux diplomaties s’attellent à y apporter des solutions préservant la région de dangers que nos deux pays et d’autres encore ont déjà eu à expérimenter.
Vous êtes au tout début de votre mission. Quelles sont vos premières impressions sur l’Italie, son système de fonctionnement et sur vos interlocuteurs italiens ?
L’Italie est un pays voisin et ami, un partenaire important, tant sur le plan politique qu’économique, avec lequel un Traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération a été signé en janvier 2003 et avec lequel nous avons décidé de lancer un partenariat stratégique couvrant tous les secteurs et répondant aux attentes de nos deux peuples.
Pour ce qui est de mes interlocuteurs, toutes les rencontres que j’ai eues jusqu’ici avec les différents responsables italiens m’ont permis de relever la confirmation constante d’un réel engagement et d’une volonté de leur part de contribuer au développement continu des relations d’amitié et de coopération avec l’Algérie. Et nous le faisons dans la concertation.
Le plus grand défi reste tout de même le volet économique…
Je dirais que les relations entre l’Algérie et l’Italie, qui sont multiformes, connaissent un développement et des avancées très appréciables sur les plans politique, économique et culturel. Elles sont certes très importantes dans leurs dimensions économique et commerciale, avec une prédominance des échanges énergétiques, mais notre objectif est de diversifier les échanges pour toucher les divers secteurs, et je reste persuadé et convaincu, à la fois, que les perspectives de coopération dans les autres secteurs sont aussi prometteuses.
La visite du président Mattarella en novembre dernier a été également marquée par l’engagement des deux pays à accorder à la culture et à notre patrimoine commun une grande place dans ce partenariat, et je puis vous assurer qu’un riche programme est à l’étude, avec un échéancier très ambitieux.
Notre pays a besoin de diversifier son économie et l’Italie s’est engagée à nous accompagner dans cet ambitieux challenge. Qu’en est-il ?
La coopération économique, malgré la pandémie et la conjoncture internationale, est excellente. Le volume des échanges commerciaux entre les deux pays dépasse les 8 milliards d’euros, faisant de l’Italie un de nos principaux partenaires commerciaux. Tout cela étant dit, nous aspirons à plus d’implication des entreprises italiennes dans l’économie algérienne, notamment en ce qui concerne l’investissement et le partenariat dans les secteurs hors hydrocarbures.
Il va sans dire que l’Algérie s’est préparée pour ce défi et offre aujourd’hui des opportunités d’investissement très diversifiées, et les opérateurs italiens sont invités à venir, eux-mêmes, découvrir les potentialités énormes offertes et les perspectives d’affaires dans un marché des plus attractif et de contribuer à la réalisation des projets lancés, notamment dans le cadre du programme de relance économique voulu par le président de la République et qui bénéficie d’une enveloppe financière substantielle.
De nombreux entrepreneurs italiens estiment, aujourd’hui, que l’économie algérienne est suffisamment forte pour devenir un débouché naturel pour leurs produits mais, à Alger, on mise surtout sur une contribution concrète de l’Italie dans l’effort de modernisation de l’appareil économique algérien, notamment en ce qui concerne les PME et PMI, qui constituent le véritable poumon du système industriel italien…
Je dirais tout d’abord qu’une économie «forte», comme vous la qualifiez, est précisément une économie qui ne se borne pas à n’être qu’un «débouché naturel». Une économie forte est celle qui est en mesure de s’assurer les moyens de couvrir ses besoins en produits importés qui lui sont nécessaires, mais qui est également en mesure de porter la concurrence au reste du monde par des exportations diversifiées, compétitives et de qualité, y compris des exportations à haute valeur ajoutée.
Le Président l’a récemment dit à Ankara : l’Algérie a pris la ferme décision de consacrer l’essentiel de ses moyens, qui proviennent de ressources non renouvelables à assurer la sécurité économique des générations futures.
Vous savez que l’Algérie s’est engagée dans un plan ambitieux de croissance et de développement à moyen terme, pour lequel elle a réservé des ressources financières très importantes. Il va de soi qu’une part non négligeable de ces ressources sera affectée à la réalisation de partenariats avec des opérateurs du reste du monde, conçus de telle manière qu’ils contribuent de manière tangible à cette croissance et à ce développement. En d’autres termes, des partenariats qui contribuent à accroître, de manière prévisible et chiffrée, notre production nationale de richesses.
D’ailleurs, vous avez opportunément évoqué l’un des axes possibles de ce partenariat, celui du développement de la petite et moyenne entreprise ou industrie. C’est là un secteur où l’Italie est en mesure de faire un apport important, car l’économie italienne se caractérise par un réseau dense de PME qui contribuent à la création de l’essentiel des emplois et des richesses nationales, ainsi qu’à une part non négligeable d’exportations. C’est là un modèle particulièrement attrayant pour un pays en développement et à revenu intermédiaire comme l’Algérie.
Le conflit entre l’Ukraine et la Russie inquiète les marchés internationaux. Le gouvernement italien s’attend à ce que l’Algérie joue un rôle de stabilisateur du marché gazier, tout en continuant sa collaboration traditionnelle avec ses partenaires stratégiques et, en premier lieu, l’Italie. Quelle est votre appréciation ?
Je ne sais pas si ce conflit inquiète l’ensemble des marchés internationaux. Il est clair que certains segments de ces marchés, les segments spéculatifs, en ont, au contraire, tiré d’appréciables dividendes. Ce qui est certain, c’est qu’elle a constitué une très chaude alerte pour les pays consommateurs européens qui dépendent lourdement du gaz russe. L’autre enseignement à tirer de cette crise est qu’il est vital pour tous les pays de diversifier leurs relais économiques.
Au sujet du gaz, et je réponds à votre question, l’Algérie est bien intégrée dans l’activité internationale. Elle investit sur l’avenir et elle en a les moyens. C’est un secteur qu’elle a développé sur de nombreuses décennies et qu’elle continue à promouvoir de façon ambitieuse, comme l’illustrent les chiffres donnés par Monsieur le ministre de l’Energie tout récemment.
Donc, l’Algérie, comme par le passé, est en mesure de garantir des livraisons sûres et prévisibles et d’autant plus avantageuses que nous jouissons de la proximité géographique des marchés. Très récemment, j’ai rencontré le président de la Région de Sicile qui m’a fait part du souhait des autorités régionales de lancer des projets de coopération dans ce domaine, dans les plus brefs délais, et je l’ai assuré de notre intérêt à y réfléchir dans une logique de gagnant-gagnant.
Le président Tebboune entame sa visite d’Etat à Rome par une rencontre avec notre communauté établie en Italie…
C’est une tradition qui participe de l’attention du chef de l’Etat vis-à-vis de la communauté algérienne à l’étranger. Et c’est un fait acquis désormais que nos ressortissants résidant en Italie ou ailleurs sont une ressource à fort potentiel pour le développement économique de notre pays et permettent de consolider les rapports d’amitié et de coopération entre l’Algérie et les pays de résidence. A ce propos, notre dicastère a pris depuis longtemps conscience de ce potentiel et s’est activement saisi de ce dossier stratégique. Nous comptons pour cela renforcer les institutions agissant déjà dans ce domaine et encourager toutes les initiatives allant dans ce sens.
Souvenez-vous, le 19 mars dernier, date ô combien chargée d’histoire, lorsque nous avons constitué la première Fédération des associations d’Algériens en Italie, la première du genre en Europe et dans le monde. Tout cela pour vous dire que la question du rôle de la communauté algérienne est au cœur de notre action et bénéficie du soutien des plus hautes autorités de l’Etat.
Interview réalisée à Rome par Mourad Rouighi
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