La politique extérieure d’un pays est le reflet de sa politique intérieure
Une contribution de Ferid Racim Chikhi – On dit souvent que la politique étrangère d’un pays est le reflet de sa politique intérieure. Toutefois, il semblerait que l’Algérie est en voie de démontrer que ce n’est pas toujours le cas. En effet, autant le corps diplomatique et son chef, Lamamra, sont parmi les plus performants des diplomates algériens depuis au moins quatre décennies, autant la politique intérieure patine et n’excelle point du tout.
Une politique intérieure essoufflée ?
Méthodiquement et efficacement, la diplomatie algérienne va de l’avant en remportant succès après succès. La politique intérieure, quant à elle, malgré les ouvertures faites par le président Tebboune, est encore à la recherche d’un souffle qu’elle n’a jamais eu et, par conséquent, qu’elle n’a jamais entretenu.
Il est vrai que c’est presqu’unanimement que les Algériens s’accordent pour dire que depuis au moins deux ans, la politique étrangère est à son plus haut niveau. Alors, se posent des questions élémentaires : quelle est la motivation ou la cause qui fait que ces succès sont conformes et retentissants ? Est-il question du profil des hommes et des femmes qui la mènent, tant à la centrale qu’au niveau des chancelleries en dépit d’accrocs au niveau opérationnel ou est-ce un programme concocté par quelque bureau d’études stratégiques ou encore est-ce l’héritage retrouvé des diplomates de la Révolution qui ont su avec des moyens dérisoires sensibiliser les pays frères et amis d’être des soutiens indéfectibles pour l’indépendance de l’Algérie ?
Deux paramètres retiennent mon attention : le premier est celui de la référence à l’héritage de la Révolution de Novembre 1954. Il convient de dire que le ressourcement est motivant. Les agents diplomatiques algériens, en s’abreuvant au passé récent et à l’histoire des grands moments depuis la conférence de Bandoeng (1955) ont capitalisé une expérience indéniable. Le second paramètre est celui du profil des personnes qui font cette politique diplomatique. Ils sont qualifiés, expérimentés et bien éduqués. Alors, en comparant l’international au national me vient à l’esprit une interrogation basique : pourquoi les performances observées au niveau diplomatique ne sont pas une source d’inspiration pour les agents et autres fonctionnaires du service public en Algérie ? Trois types de réponses ont été recensés auprès de quelques personnes avisées. Le contexte ainsi que les profils des principaux concernés ne sont pas les mêmes des deux côtés ; les défis à l’international, eux aussi sont singuliers ; une troisième tranche de personnes a répondu que les interférences exogènes sur le plan diplomatique sont très limitées parce les acteurs impliqués sont directement concernés par la réussite et notamment parce qu’il y va de la stabilité du pouvoir en place.
Des problématiques et des hypothèses de travail
En reprenant dans le détail ces problématiques, je me suis souvenu que dans une de mes précédentes analyses (19 janvier 2022 dans Algeriepatriotique) portant sur la nouvelle amorce pour un développement structuré du programme du gouvernement Tebboune, j’avais notamment mis en avant le fait qu’au cours des deux dernières décennies, l’ex-président de la République n’a pas tenu autant de réunions de son Conseil des ministres que l’actuel chef de l’Etat depuis son investiture. Mais peut-être est-ce un effet du Hirak ?
Des dossiers sensibles aux affaires courantes, les membres du gouvernement œuvrent et agissent avec une efficacité à peine moyenne. Ils arrivent, à tout le moins, à améliorer un tant soit peu quelques procédures de gouvernance, sans de grands effets sur les individus. En fait, il n’est pas besoin de procéder aux évaluations de leurs actions, puisque des détracteurs – perfides – sont tapis, ici et là, en Europe et ailleurs pour jouer aux guetteurs qui alertent l’opinion publique sur les insuffisances, les manquements et les dérives de ceux qui pensent être encore intouchables.
Plusieurs facteurs aléatoires parmi les plus sensibles ont été recensés et mis en évidence, ce qui a engendré des hypothèses de travail audacieuses afin d’améliorer le fonctionnement, non seulement des institutions de l’Etat, mais aussi de toutes les autres organisations du système gouvernemental. Cependant, les opérations en lien avec le public ne suivent pas et les résultats ne sont pas encore probants.
La bureaucratie et la justice
A chaque période exigeant des ajustements, les gestionnaires sont confrontés à quatre handicaps significatifs : le premier est celui de leurs compétences loin d’être en adéquation avec les exigences des postes qu’ils occupent. Cela bloque la machine administrative au point de générer le second handicap, c’est-à-dire une bureaucratie prégnante ; le troisième réside dans la justice et l’équité sociale et le quatrième est celui de la communication institutionnelle.
Il est admis et, personne ne saurait nier, que des problèmes, apparemment insolubles, auxquels est confronté l’Algérien dans sa vie de tous les jours, montrent l’influence abusive d’une bureaucratie elle-même devenue anachronique, sans une éthique et une déontologie appropriées. Le tout relève de l’impunité dont jouissent les agents des services publics. Les fléaux générés par cette bureaucratie tentaculaire, non seulement provoquent des blocages institutionnels inqualifiables mais aussi une défiance de l’Algérien à l’endroit de ses dirigeants. La cause principale se situe, à non point douter, dans l’incompétence et dans le manque d’évaluation des performances des agents en charge de répondre aux demandes des usagers du service public. De l’autre côté, les dérives de la justice et les fractures qu’elle crée au sein de la population ne sont pas toujours expliquées par le pouvoir en place. Il faut admettre que lesdites décisions de justice qui sont prises, par exemple, pour «atteinte à l’intégrité du territoire national, atteinte à l’unité nationale ou encore réouverture du dossier de la tragédie nationale, etc.», sont qualifiées de déraisonnables par le commun des mortels, et le pire est que le pouvoir en place ne daigne même pas informer. C’est un déni de droit (hogra), dit l’Algérien. Quelques-uns soutiennent qu’il existe un groupe d’agents de justice qui œuvrent ouvertement pour procéder à des détentions abusives, même si les protections constitutionnelles sont évoquées par les défenseurs.
Ce qui ne suit pas dans le lien avec l’Algérien, c’est que les carences en matière de communication gouvernementale sont aggravantes. Les médias lourds ont montré leur obsolescence, ce qui exige une attention particulière pour les sortir de leur désuétude au moment où les technologies de l’information sont à portée de main. Malgré mon scepticisme quant à une unité d’action, une sensibilisation et un rassemblement des médias autour des projets gouvernementaux, j’ai envie de laisser au coureur la chance de le démontrer.
Malgré cela, la réalité veut que tous ces problèmes ne se résolvent pas sans un grand coup de pied dans la fourmilière. L’Algérie fait face à des défis gigantesques dans bien des domaines d’activités, y compris ces attaques venant de l’extérieur qui confirment la fameuse «main de l’étranger». L’un de ces défis majeurs reste celui de l’individu dans toutes ses dimensions et dans tout ce qu’il entreprend et, surtout, dans sa vision de l’avenir.
Les dirigeants et les postes institutionnels qu’ils occupent
Personne n’ignore que l’avenir de l’Algérien est coincé entre plusieurs projets de société : le projet conservateur et intégriste, le projet moderne et progressiste, etc. Mais le plus important reste celui que conduit le Président. Quelles en sont les grandes lignes ? Quelles sont les voies et moyens d’atteindre les objectifs qui rassembleront tous les Algériens ? Personne ne le sait. Sur le plan intérieur et international, le président Tebboune a hérité d’une situation parmi les plus désastreuses qu’a connue l’Algérie depuis l’indépendance. Néanmoins, dans son plan de redressement, il n’a pas fait le bilan ou l’évaluation de ce qu’il a trouvé dans tous les domaines d’activité, celui des ressources humaines restant le plus potentiellement complexe.
Parmi tant d’autres indicateurs, et comme souligné plus haut, ceux des personnels élus (quelques élus au passé sombre) et institutionnels, attirent l’attention. Mais, je me demande si un jour une véritable reddition des comptes sera instituée partout dans les rouages de l’Etat. Je ne connais pas un seul dirigeant algérien qui, depuis l’indépendance du pays, a été évalué sur les résultats qu’il a obtenus en adéquation avec le plan de charge qui lui a été confié. Le seul paramètre retenu est celui de son obédience à un groupe d’hommes qui lui a fait occuper le poste ciblé. Il suffit que ce groupe soit dégommé pour que lui aussi en subisse les conséquences mais souvent sans tambour ni trompette. Durant la décennie 1985-95, il s’en est fallu de peu pour que des plans de travail imposés aux dirigeants des fameux holding deviennent la clé du succès mais très vite le copinage, le népotisme, le régionalisme, etc. ont remis tout en question. C’est dire que tant qu’une véritable politique nationale de gestion des ressources humaines n’est pas rationnellement conçue et mise en place, les performances des dirigeants ne seront jamais évaluées et les postes institutionnels seront à la merci de quelques «décideurs» qui identifient qui les occupera.
Récemment encore, nous l’avons vu pour ce qui concerne le PDG d’Air Algérie et le gouverneur de la Banque centrale. Ils ont été quasiment chassés de leurs fauteuils, comme des vanupieds. «Règlement de comptes», disent certains, alors qu’ils venaient d’être nommés un peu moins d’un trimestre pour le PDG de la compagnie nationale et à peine deux ans pour l’ex-gouverneur de la BA. Pourtant, ces institutions, comme d’autres, sont connues pour relever du management du Président. Si elles avaient été occupées par des personnes compétentes, cela aurait été grâce à ceux qui les ont mis sur la liste des candidats potentiels ; si, en revanche, il s’est avéré qu’après quelques mois ils ne répondent pas aux exigences et autres critères de sélection pour une saine administration, n’était-ce pas aux maîtres recruteurs d’être blâmés ?
Avant de conclure cette réflexion, je me demande si la main tendue du Président vers les organisations politiques donnera des résultats. Certainement ! Mais, seront-ils à la hauteur des attentes des Algériens ? J’en doute, parce qu’on ne peut gouverner avec une politique tournée vers le futur en faisant appel à des personnes qui font partie du passé même si elles sont jeunes. L’idée de puiser dans le passé révolutionnaire est une bonne chose, mais retenons que l’ère de l’ante-Révolution de Novembre est unique. Cette période exceptionnelle qui, rappelons-le, a exigé l’unification des rangs des militants, de tous les militants du mouvement national et non pas des organisations politiques. Voilà pourquoi je ne crois pas que les partis politiques qui ont répondu à l’appel du Président soient en mesure de participer sereinement à la réalisation de son programme.
Pour terminer, les objectifs économiques doivent inciter les autorités algériennes à gérer de façon intelligente et prospective l’embellie financière générée par la hausse des prix pétroliers et gaziers, et en faire le vrai levier du redressement économique du pays. L’état doit à tout prix éviter de céder à la tentation du traitement social de l’économie, comme ce fut le cas durant les deux décennies précédentes avec toutes les dérives et tous les effets pervers que l’on a connus.
F. R.-C.
Analyste senior chez German
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