Prise de bec entre la Chine et les Etats-Unis sur Taïwan !
Une contribution d’Ali Akika – Le Forum de Singapour, la semaine dernière, a donné lieu à une passe d’arme entre les ministres de la Défense chinois et américain. Ainsi, les propos spartiates échangés sur Taïwan sont une preuve supplémentaire que ces deux pays se préparent au pire. On connaît les moyens matériels et militaires respectifs de ces deux puissances. Ceci noté, il faut voir aussi du côté de leur intelligence de l’histoire, de leur vision du monde et des capacités de leur société à faire face à la machine infernale de la guerre, une fois lancée. Une société est pétrie d’une culture héritée de son histoire laquelle conditionne son rapport au temps, facteur déterminant en période de guerre…
Pour les Américains, on connaît le mantra véhiculé par leur cinéma, celui de la partie de poker dans un saloon qui se termine souvent par des coups de feu. On sait que ce jeu repose sur le bluff, d’où l’expression de poker-menteur. Des Chinois, on connaît leur vieille civilisation derrière la muraille de Chine qui est leur ligne de défense contre les aventuriers fascinés ou sujets à fantasme des richesses de ce pays, entouré de nomades qui ne connaissent pas la notion de frontières. D’où la construction de la muraille de Chine, œuvre d’art remarquable. Il n’est pas étonnant que cette muraille ait été construite en copiant le jeu de go, art de la défense du territoire mais qui n’interdit pas d’aller au contact de l’ennemi pour faire des prisonniers et ainsi diminuer ses capacités d’attaque.
Avec l’Ukraine où l’Amérique bataille par procuration et poursuit deux objectifs, neutraliser la Russie pour mieux «s’occuper» de la Chine, son cauchemar. On a le droit de rêver, encore faut-il les moyens de ses rêves. Les agresseurs ont toujours trouvé un prétexte pour attaquer un pays convoité. Un tracé de frontière, la captation de l’eau d’un fleuve au détriment du voisin, etc. Les Américains, eux, se passent de l’absence d’un fait matériel, pire ils construisent un prétexte… Ainsi, pour attaquer le Nord-Vietnam, en août 1964, ils détruisent eux-mêmes un de leurs navires dans le golfe du Tonkin. A Cuba, la CIA organise une invasion de ce pays avec de piteux mercenaires-réfugiés cubains pour se débarrasser du «gênant» Fidel Castro. Quant à l’Ukraine, inutile d’encombrer le présent article, l’actualité étale les secrets de cette guerre.
Taïwan, île de 36 000 km2, dirigée par les descendants du régime Tchang Kaï-chek, est aujourd’hui territoire chinois depuis que la Chine a récupéré son siège au Conseil de sécurité de l’ONU en octobre 1971. Territoire autonome, elle est devenue un enjeu dans les relations américano-chinoises. C’est pour les Etats-Unis une pierre d’achoppement dont ils se servent aujourd’hui comme arme dans leur conflit/compétition avec la Chine. Quelle mouche a-t-elle piqué le ministre américain de la Défense qui a menacé, la semaine dernière, la Chine comme il l’a fait avec la Russie à propos de l’Ukraine ? Y a-t-il un lien entre l’Ukraine et Taïwan, séparées par des mers et des montagnes à des milliers de kilomètres l’une de l’autre ? Ce lien ne saute pas aux yeux d’emblée mais la géopolitique et la géostratégie révèlent l’intérêt des Etats-Unis à s’appuyer sur la guerre de l’Ukraine pour atteindre la Chine.
En Ukraine, l’Oncle Sam prétend venir en aide à ce pays avec armes et dollars au nom des hautes valeurs de l’humanisme au sens boursier du terme. On est loin de l’humanisme de Jean-Paul Sartre dont l’essence est la Liberté qui arme la conscience des hommes et les aide à résister à toute oppression. Ainsi, les Américains effaçant l’histoire du rapport Russie/Ukraine et sautant par-dessus la géopolitique dessinée à la disparition de l’URSS, veulent imposer une nouvelle géopolitique avec l’OTAN aux frontières de la Russie. Ils utilisent le parapluie nucléaire otanien de protection de l’Europe et l’idéologie du «monde libre» pour entraîner et l’Ukraine et l’Europe dans leur aventure. Toutes ces manœuvres visent à gagner une bataille tactique contre la Russie pour accomplir et atteindre leur but stratégique qui n’est autre que leur cauchemar nommé Chine. Voilà pourquoi Lloyd Austin, général et ministre de la Défense, s’est promis de rendre gorge à la Russie en l’affaiblissant, dit-il, pour ne plus menacer les pays voisins. Ce ministre-général américain a dû oublier qu’un certain Napoléon s’est mordu les doigts en attaquant la Russie et a dû retourner chez lui avec son armée dans un piteux état. Il connut alors défaite sur défaite et la bataille de Waterloo signa sa sortie de la scène politique et militaire. L’Angleterre, la Perfide Albion, se vengea en l’exilant dans une île de l’Atlantique où il mourut…
Cette ambition démesurée des Américains et leur sous-estimation des réalités géopolitiques et géostratégiques ont fait tanguer le navire de l’Oncle Sam en se cognant contre la Russie qu’il pensait affaiblir à travers la pauvre Ukraine qui paie cher son désir de vouloir entrer dans l’OTAN, pour être l’œil de l’Amérique. Or, l’Europe «unie» pétrie de contradictions et la Russie adossée à son immense histoire et habitant un territoire infini n’allait pas laisser croire que les cow-boys/G’I pouvaient manœuvrer à ses portes à leur guise comme jadis dans leur Far West.
L’Europe. Surprise d’abord et inquiète ensuite par cette guerre dans son continent, elle condamne la Russie pour son invasion de l’Ukraine et lui fournit une aide multiple pour résister aux armées russes. Mais la guerre, en s’installant dans la durée, fait éclater les contradictions historiques, politiques et leur vision stratégique à long terme. Une lecture paresseuse de leurs contradictions fait croire que la Russie a favorisé l’unité de l’Europe et à «légitimer» l’OTAN, en attirant à lui de nouveaux adhérents, la Finlande et la Suède. Sauf que ces «stratèges et experts» à courte vue ne voient pas venir les germes des fissures, sinon l’éclatement à long terme de ces deux entités, Union européenne et OTAN. Car les pays les plus puissants économiquement de l’Union européenne, l’Allemagne, la France et l’Italie ne sont pas sur la même longueur d’onde que les pays membres à la fois de l’UE et l’OTAN et qui, plus est, situés aux frontières de la Russie. Ces derniers pays répondant sans broncher aux vœux et à la stratégie des Etats-Unis.
A l’évidence, non seulement les divergences relevant des intérêts à court et à long terme sont difficilement surmontables (boycott gaz/pétrole russe). Si on ajoute la manière de terminer la guerre et la posture à prendre dans de futures négociations, l’Europe n’est pas prête de s’unir et parler d’une même voix. A ce propos, il n’est pas inutile de rappeler aux perroquets qu’ils décrivaient Poutine comme un malade qui ne connaît que la loi des rapports de force. Les mêmes aujourd’hui retournent leurs vestes et recommandent au président ukrainien de négocier en rétablissant le rapport de force après avoir reconquis les territoires perdus. Et ce sont ces mêmes experts qui sont à la tête de l’armée de la désinformation qui ont déjà autoproclamé la victoire de l’Ukraine et la défaite de la Russie. Et dire que ces gens-là, comme dirait Jacques Brel, détiennent le pouvoir, l’imposent à leur société et ont le toupet de vouloir l’imposer aussi aux «barbares» qui ne partagent pas leur idéologie dégoulinante de mépris et de surcroît fatiguée. Ces donneurs de leçons ne sont pas à leurs premières arrogances. Ils sont encore convaincus qu’ils sont les seuls à pouvoir définir les mots et évaluer leur utilisation appropriée, à leur avantage bien entendu.
La Russie a payé cher la disparition de l’URSS. Les Russes ont vu l’avidité vorace et l’arrogance sans limite des Etats-Unis qui ont construit des balcons d’observations aux frontières russes pour violer leur intimité. Une faute politique qui a fait réagir la Russie. D’abord, par la voie diplomatique dans les rencontres internationales et en signant les accords de Minsk à propos de provinces du Donbass. Les réactions diplomatiques et les lettres en direction des Etats-Unis sont restées sans réponse. Il ne restait à la Russie que «la guerre comme continuation de la politique par d’autres moyens», en clair le bruit des armes pour réveiller les Américains qui faisaient la sourde oreille. Tous ces actes, ces manœuvres, cette guerre lamentable de la désinformation pour soutenir en Ukraine une guerre dont l’objectif américain est de casser la force de frappe russe pour avoir des chances de l’emporter sur la Chine. Voilà donc le lien entre la Chine et Taïwan (rappelons-le territoire chinois) que Biden veut défendre. Au nom de de cette trouvaille coloniale d’ingérence humanitaire inventée par Kouchner qu’il a réservé à tout le monde, sauf aux Palestiniens.
Ainsi, on a l’impression que les Américains jouent un remake ukrainien pour provoquer la Chine. La récupération par la Chine de son siège au Conseil de sécurité est un droit de juré sur l’ensemble de son territoire que tout le monde à avaliser, y compris les Américains. Pourquoi donc cette fièvre qui a surgi à Singapour à la suite de la joute diplomatique des ministres de la Défense des Etats-Unis et la Chine ? Parce que les Américains n’ont pas caché leur intention de briser l’entente sino-russe. La briser non pas gentiment et diplomatiquement mais l’affaiblir militairement. Comme les Etats-Unis ont fait chou blanc avec les Russes qui ont ignoré le message pressant de Lloyd Austin qui quémandait un cessez-le feu immédiat en Ukraine (1), le même Lloyd Austin a menacé son collègue chinois au Forum de Singapour. Ce dernier n’a pas répondu par des circonvolutions, mais a ouvert verbalement le feu directement quant à la volonté de la Chine de défendre militairement Taïwan, partie intégrante de la Chine. Cette montée de la tension à propos de Taïwan est le résultat de la lecture que ces deux pays font de la guerre en Ukraine. L’Américain a cru impressionner en rappelant indirectement les sanctions et les déboires de la Russie en Ukraine et son isolement «mondial».
Le ministre chinois sait que ce ne sont point les «déboires» de la Russie agitées par les Etats-Unis qui vont les faire reculer sur Taïwan. La peur a émergé plutôt chez Américains quand ils ont vu les Chinois entretenir de bonnes relations avec les îles Salomon et investir dans la région du Pacifique. Pour montrer leur détermination, les Chinois, en ces temps de tension internationale, font des exercices militaires et survolent le ciel de Taïwan pour bien montrer qu’ils sont chez eux. Tout ça énerve les Américains, d’où la sortie peu diplomatique de Lloyd Austin qui a été contrée par le ministre chinois de la Défense sans aucune élégance, ni nuance diplomatique. Sa phrase, «nous irons jusqu’au bout pour défendre Taïwan». On ne peut être plus clair que ça.
En vérité, la déclaration de Biden promettant de se battre pour Taïwan, après celle de son ministre de la Défense, est plutôt une menace sans lendemain. Les Américains n’ont pas l’habitude de menacer, ils débarquent sans dire un mot quand ils envahissent une île, la Grenade de 350 km2 et quelque 100 000 habitants. Mais on peut menacer les immenses et redoutables Russie et Chine, ça ne mange pas de pain, comme on dit dans le langage populaire. Du reste, on le voit dans l’attitude de Joe Biden qui traita Poutine de boucher pour retrouver sa sagesse de politicien expérimenté. Il vient critiquer l’«icône» Zelensky tout en disant qu’il n’enverra pas des canons qui peuvent toucher le territoire russe et interdit à la Pologne d’offrir des chars à l’Ukraine. Et les troupes russes, pendant ce temps, sont sur le point de conquérir tout le Donbass. Toutes ces données politiques et militaires ne sont pas ignorées par la Chine. C’est pourquoi l’agressivité et les menaces américaines resteront pour l’heure sans effet sur la Chine. Un signe qui prouve que la Russie et la Chine ne se font pas de soucis. C’est l’inauguration d’un long et magnifique pont sur le fleuve Amour, frontière entre les deux pays, réservé uniquement pour le fret, signe que le commerce sino-russe a de beaux jours devant lui.
A. A.
1- La demande de cessez-le-feu du ministre de la Défense, début mai, au ministre de la Défense russe, superbement ignorée par les experts de la désinformation, cachait l’inquiétude des Américains de voir les régiments ukrainiens se faire encercler ou se faire massacrer. C’est ce qui arrive en ce moment dans la ville Sievieronetsk. J’avais émis cette hypothèse dans Algeriepatriotique sur la base d’une information, la présence des troupes d’élite ukrainienne aidées par les Américains dans le domaine stratégique des renseignements militaires. Et cette hypothèse devenait plausible à mes yeux quand le ministre de la Guerre de la première puissance militaire du monde a mis dans sa poche sa modestie pour quémander un cessez-le-feu à son rival.
Comment (4)