France, Etats-Unis, Israël : les institutions malmenées
Une contribution d’Ali Akika – En politique, comme dans d’autres domaines, quand on s’obstine dans le déni du réel, on finit par payer la note. Commençons par la France. Ce qui arrive aujourd’hui sous la Ve République épousant des traits monarchiques étonne peu ceux qui connaissent les circonstances de sa naissance en pleine guerre d’Algérie. Cette République a survécu grâce à l’homme qui lui offrit des institutions en symbiose avec le monde d’après-guerre 45 et les objectifs qu’il ambitionnait à son pays. Mais avec le temps s’écoulant et la venue de nouvelles générations qui, une fois élues, considèrent que la souveraineté du peuple peut être écornée sans en payer le prix.
Le 19 juin 2022, ce peuple qui a dit non à une certaine Europe en 2005 invite la Ve République à passer à la caisse. Pour la première fois, le président de la Ve République n’obtient pas la majorité à l’Assemblée nationale. Un signe fort et inaugural du début de blocage des institutions. Ça rappelle la funeste 4e République qui mourut de sa belle mort, frappée d’incapacité, à prendre la mesure de la guerre d’Algérie réduite à une simple opération de police. Cette séquence historique fut à l’origine de la naissance de la Ve qui naquit donc sur les décombres de la 4e. Aujourd’hui, c’est au tour de la Ve République qui étale ses limites…
En 1958 comme en 2022, il s’agit d’éviter le naufrage des institutions qui ouvrirait la voie à l’inconnu. Car le rôle du politique est d’empêcher des tempêtes pour enrayer les blocages qui minent les institutions. En un mot, répondre à une nécessité pour faire l’économie de passer par la voie qui mène à une guerre civile ou à une guerre sociale. Rappelons qu’en 1958 et en avril 61, la France a été l’objet de coups d’Etat et autre atmosphère de guerre civile. Ainsi, en 1958, l’Etat profond dut recourir à un homme dont la stature politique acquise durant le Seconde Guerre mondiale, le bien nommé Charles De Gaulle, fut l’homme providentiel qui «sauva» une seconde fois son pays rongé par une guerre coloniale. On a fait appel à lui, non par hasard mais parce qu’il avait un capital politique personnel, la confiance de sa classe sociale avec l’appui des bras armés de l’Etat profond (les barbouzes des services secrets et la haute hiérarchie de l’armée).
La situation politique actuelle de la France trouve évidemment son origine dans les contradictions internes de la société. Cependant, lesdites contradictions, n’étant pas à l’abri des influences des rapports de force à l’échelle internationale, n’ont fait que s’aiguiser. Avant d’aborder les «remèdes» préconisés par l’idéologie dominante pour sortir de la nasse où se trouve le système économique et politique français, il est utile de jeter un coup d’œil rapide dans deux pays qui se targuent d’être les «phares de la démocratie» et qui voient aujourd’hui leur système ébranler.
Le premier, ce sont les Etats-Unis dont la puissance économique et militaire est connue et reconnue. Si l’on ajoute la remarquable architecture constitutionnelle de l’Etat fédéral qui a su jusqu’à présent «protéger» ce continent-pays de 50 Etats, de 350 millions d’habitants réunis derrière une mosaïque d’ethnies et de religions, on pourrait dire que ce pays a tout pour échapper à une aventure de type coup d’Etat. Eh bien non, les habituels experts et tartuffes se sont trompés puisque le Congrès américain a qualifié l’invasion dont il a été victime le 6 janvier 2021 de tentative de coup d’Etat. Et par qui ? Les soupçons sont émis en direction du président des Etats-Unis en personne.
Le deuxième Etat, qui s’autoproclame unique démocratie dans le Moyen-Orient, est en train de sombrer dans les sables mouvants d’institutions qui prétendent neutraliser l’histoire de la région et gérer une société de gens venus des quatre points cardinaux de la planète et qui, plus est, se donne le droit de dominer les autochtones de Palestine. Cet Etat est à sa cinquième élection pour élire un Parlement sous lequel se dérobe le sol sous la lumière obscure d’une démocratie vantée et reposant uniquement sur la force étatique libérée de toute contrainte (1). Quel est le lien entre les Etats-Unis, Israël et la France sur le plan strict de la crise de leurs institutions ? Ces trois Etats ont la même réponse pour surmonter leurs déboires. Ils font appel à la technique puisée dans l’arsenal juridique pour revigorer leur système institutionnel. Le juridique devient l’Alfa et l’Oméga de la vie d’une société et non le politique dont l’essence est précisément de répondre aux problèmes de la cité.
Revenons à la France. L’auteur de la Ve République est De Gaulle qui a écrit le scénario de la Ve République à Bayeux (ville normande) en 1946 après avoir quitté le pouvoir. Son expérience du pouvoir de 1944-46 où il a vécu les failles et les limites de la 4e République qui l’ont poussé à réfléchir et à écrire une Constitution qui résisterait à toutes les tempêtes. Son retour au pouvoir en 1958 lui permit de transformer le scénario rédigé en 1946. En bon politique et tacticien en art de la guerre, il s’appuya sur l’histoire de France pour lui donner des institutions en épousant les nécessités du moment et faire revenir son pays sur la scène internationale où il était isolé à cause de la guerre coloniale en Algérie. Ce détour par la France, appuyée par les exemples des Etats-Unis et d’Israël, permet de réfléchir sur le rapport entre la vision d’un monde fatigué et les déboires politiques auxquels ils sont confrontés.
Ainsi, au lendemain de la défaite des élections législatives, le président Macron analyse la situation politique nouvellement créée par son échec. Il affirme avoir entendu le message du peuple et propose une méthode de travail qui réponde audit message des électeurs. Il invite donc tous les partis politiques d’enrichir par des amendements et des propositions qu’il intégrerait dans son programme. Croit-il vraiment à sa proposition ou piège-t-il son monde politique en réduisant la crise à une simple adaptation technique et en enterrant les facteurs politiques ? Cette façon de raisonner et de rester à l’apparence des choses est un péché mignon de l’idéologie dominante. En clair, on pense colmater les brèches et les trous béants d’une situation par de simples mots. Cette utilisation du discours où on enfile des perles, on la retrouve sur la guerre en Ukraine.
On a assommé l’opinion par des tombereaux de mensonges avec lesquels on la tenait en haleine par des victoires imaginaires pour finir par se lamenter sur le désintérêt de la même opinion. De même, ils ne voient pas leur imbécilité en accusant la Russie de faire du chantage quand elle répond à leurs sanctions. Car eux détiennent le droit d’affamer et de bombarder des peuples mais qu’on ne touche surtout pas à leurs petits plaisirs. Sinon, ils montent sur leurs chevaux en vomissant les mots chantage, otage, crime de guerre et tutti quanti. Et le drame, c’est qu’ils ne se rendent pas compte qu’ils empruntent une voie glissante qui les mène vers leur chute. Après plus de trois mois de guerre, pas un de ces propagandistes ne reconnaît ses propres mensonges mais préfère désigner par un «on s’est trompé» qui désigne en fait les petits copains d’à côté…
En guise de conclusion, à côté des champs de Manœuvre de l’économie et de la guerre, il existe un autre, celui des idées et de la manière de les exprimer. Sur ce terrain-là aussi, le monde dominateur patine et se plaint que les trois-quarts de l’humanité n’écoutent pas ses sornettes à propos de la guerre en Ukraine. Pour être plus juste, n’oublions qu’à l’intérieur de ce monde dominant il existe des gens qui résistent à la domination idéologique du vieux monde. Comme il ne faut pas oublier que dans le monde dominé, il existe tout autant des charlatans qui inondent leurs sociétés d’idées archaïques cohabitant avec ceux qui vont pêcher du côté des lumières obscures d’un monde qui se meurt…
A. A.
1- La chute du gouvernement de Bennet en Israël et l’annonce des prochaines élections feront l’objet du prochain article.
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