Boudia, héros oublié
Par Nouredine Benferhat – Mohamed Boudia, moudjahid, fondateur dès l’indépendance, de la revue culturelle Novembre et assassiné en 1973 par le Mossad, méritait un autre sort de la part de sa patrie que celui de l’indifférence. En organisant, en 1997, un hommage à ce héros à la Bibliothèque nationale d’Alger, 24 ans après sa tragique disparition, les éditions Marinoor avaient voulu faire connaître son parcours exceptionnel qui aurait dû faire la fierté de tout Algérien, mais aussi interpeller les autorités de notre pays pour que justice lui soit rendue en donnant son nom à un lieu de culture.
La même année, un numéro spécial de la revue Repères, sous le titre Militantisme éthique, lui avait été consacré en recueillant de nombreux témoignages et en reproduisant le premier numéro de cet organe de l’Union des écrivains. Dans son éditorial, Mohamed Boudia, dramaturge qui s’était investi pour confectionner un théâtre et d’autres lieux d’expression culturelle et de création artistique, écrivit : «L’indépendance de l’Algérie a restitué au peuple algérien non seulement sa liberté mais aussi son patrimoine intégral, en lui permettant d’accéder enfin à ce qu’est l’essence de toute civilisation : la culture.» Au sommaire de ce numéro figurent des noms prestigieux de la littérature et de la culture, tels que Malek Haddad, Jean Senac, Assia Djebar, Bachir Hadj-Ali, Ould Abderrahmane Kaki, Anna Greki, Abdelhamid Benzine, Georges Arnaud et Baya.
Les divergences d’opinion ne peuvent servir de prétexte à ostraciser et exclure les personnalités dont le passé glorieux et le prestige ont été acquis par leur engagement militant au service de la Révolution. Pour rendre justice à tous ces grands hommes qui font la fierté de notre histoire, notre devoir est de témoigner pour transmettre aux nouvelles générations, afin que l’oubli ne s’installe pas, et témoigner pour se souvenir, pour construire la mémoire au-delà des divergences, des opinions contraires à l’abri des manipulations, dans la sérénité.
Dans un souci de vérité et d’éthique, à ces grands hommes, qui ont contribué à enrichir notre patrimoine culturel et à nourrir par leur exemple un habitus sociétal progressiste et d’avant-garde qui a servi de modèle au tiers-monde et réveillé sa conscience, inscrivant notre pays dans l’histoire globale, la reconnaissance de la nation doit être due.
L’histoire, qui n’est jamais donnée a priori, se construira dans une culture d’appartenance et fera émerger des citoyens légitimement fiers de leur passé, enracinés dans une communauté de mémoire sans arrogance, débarrassée des scories du clanisme, ouverte à d’autres solidarités. Elle fera partager un système d’images, de références et de valeurs avec un courant de pensée, antidote à l’atrophie de la mémoire culturelle et barrière à toute forme de manipulation exogène.
Mohamed Boudia, martyr à l’âge de 41 ans de la lutte pour les causes justes dans le monde, nous a légué un message d’espoir et d’amour pour l’humanité tout entière, ainsi que celui de la solidarité des hommes et des peuples. C’est en entretenant la solidarité nationale que nous serons attentifs et disponibles pour l’autre partie du message, la solidarité avec les peuples.
En ce 60e anniversaire de l’indépendance, c’est rendre justice à Mohamed Boudia que de baptiser de son nom un lieu de culture, en reconnaissance de son rôle pendant la Guerre de libération nationale, à l’indépendance et en faveur des mouvements de libération.
N. B.
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