Les dessous de la croisade contre les instances et livres islamiques en France
Une contribution de Khider Mesloub – Régulièrement, en particulier au lendemain d’un attentat terroriste commis par un djihadiste, en vertu de la laïcité, instrument de stigmatisation de la religion musulmane, revient sur la scène médiatique française le débat relatif à la dissolution des organisations islamiques et surtout à l’interdiction des ouvrages jugés islamistes. Le sordide assassinat de Samuel Paty n’avait pas dérogé à cette coutume laïcarde de l’intelligentsia française, notoirement renommée pour sa défense à géométrie variable de la liberté d’expression.
Aussi, sous couvert de lutter contre l’islamisme (en vrai l’islam), de nombreux «intellectuels gaulois» cocardiers, abonnés des plateaux des chaînes de propagande d’information en continu, endossent-ils la toge de l’inquisition pour se livrer à la chasse aux instances cultuelles islamiques, mais également aux ouvrages sur l’islam, jugés trop favorables aux thèses islamistes. Parmi les ouvrages visés par l’autodafé démocratique laïcarde sont ciblés les livres prônant le djihad, l’application de la charia, la pratique rigoriste de l’islam. En fait, des préceptes contenus globalement dans le Coran. Ce qu’aucun authentique musulman ne peut nier.
Force est de constater que, dans ce pays gaulois économiquement et politiquement en plein ensauvagement, dans cette sénile nation de la liberté de conscience et d’expression à géométrie variable, faute de pouvoir légalement interdire la religion musulmane, au nom de sa démocratie laïque avariée tout signe religieux islamique, à plus forte raison tout ouvrage islamique devient suspicieux, délictueux, séditieux.
Encore une fois, ce n’est pas l’esprit qui guide le monde. Ce n’est pas la conscience qui détermine l’être, mais l’être social qui détermine la conscience.
Les livres islamistes ont toujours existé. Ils sont depuis longtemps édités et publiés. Depuis des décennies, ils trônent librement sur les étalages des librairies. Or, longtemps personne ne s’offusquait de leur publication. Personne ne leur prêtait quelque pouvoir maléfique d’endoctrinement au service du djihad, d’embrigadement au profit du terrorisme. L’ironie de l’histoire, c’est que longtemps personne ne songeait à les lire. Et pourquoi ? Parce qu’autrefois le contexte historique, à l’époque de la confrontation Est-Ouest, jusqu’à l’effondrement du bloc soviétique en 1989, était distinct. Les occupations littéraires et préoccupations politiques, différentes. La situation internationale, marquée par l’affrontement Est-Ouest, était confrontée à des tensions et conflits dissemblables sur fond de systèmes idéologiques antagoniques. En Algérie comme en France, on dévorait plutôt les livres de Marx, la collection complète des œuvres de Lénine, Le Petit Livre rouge de Mao.
Historiquement, jusqu’à la fin des années 1980, on n’entendait nullement parler des musulmans. Ils ne constituaient aucune menace pour l’Occident. Ignorés de l’Histoire qui se déroulait sans eux, ils évoluaient dans des sociétés paisibles et pacifiques encore archaïques, dans un climat social et politique marqué par l’insouciance et l’innocence. On ne prêtait également guère attention à leurs observances religieuses, accomplies par ailleurs dans un esprit de tolérance. Notamment en Algérie et en France.
Si changement de situation sociopolitique il y a eu au cours de ces trois dernières décennies dans les pays de confession musulmane, c’est à la faveur des convulsions géopolitiques internationales et des bouleversements géostratégiques planétaires. Propulsés sur la scène internationale malgré eux (et surtout contre eux), en raison des interventions impérialistes dans les pays arabes pour le contrôle du pétrole et d’autres mobiles géostratégiques, les musulmans sont, depuis lors, devenus l’enjeu d’un marchandage des multiples puissances rivales. Par leur stratégie du chaos, ces puissances ont détruit plusieurs pays musulmans, provoquant corrélativement un délitement total du tissu social et un effondrement complet de leur économie déjà sous-développée. Cette déstructuration systématique a jeté dans la détresse et le chômage des millions de prolétaires. Sans aucune perspective d’insertion sociale, ni professionnelle, livrés aux potentats tyranniques féodaux locaux, ces millions de prolétaires marginalisés sont devenus la proie des islamistes et des groupes terroristes, eux-mêmes fabriqués et manipulés par les puissances impérialistes.
En Occident, en particulier en France, c’est la crise économique et l’effondrement du mouvement ouvrier qui ont engendré le repliement identitaire, favorisé l’émergence de l’islamisme, avatar du stalinisme. En effet, la dissolution culturelle et symbolique de la classe ouvrière, diluée dans les communautarismes rétrogrades, a ouvert la boîte de Pandore à la résurgence de la réaction religieuse et identitaire. En réalité, contrairement à la thèse communément répandue selon laquelle l’islamisme serait l’héritier du fascisme, il est plutôt l’avorton du stalinisme. Longtemps, parce qu’il prétendait lutter contre le grand Capital, proposait un «monde communiste idéal» (alors que les pays staliniens étaient en vrai des dictatures fondées sur un socialisme de caserne et de la pénurie, où les meurtres des opposants étaient la règle), le stalinisme avait constitué l’idéologie idoine des exploités et des «humiliés». L’islamisme, religion des opprimés et des humiliés selon ses idéologues patentés, joue le même rôle qu’autrefois incarné par le stalinisme : il prétend offrir les mêmes perspectives de libération, un monde meilleur, mais dans l’Au-delà, au Paradis peuplé de Houris. Les islamistes ne se battent pas pour conquérir ici-bas la Houria, symbole de l’émancipation collective, mais pour acquérir dans l’Au-Delà les Houris, objets spiritualisés de leurs convoitises libidineuses individuelles.
C’est dans ce contexte de déstabilisation totale de ces pays «musulmans» et de décadence du capitalisme mondial qu’il faut replacer les fondements de l’éclosion et l’expansion de l’islamisme et du terrorisme. Non dans quelques ouvrages à caractère religieux, quand bien même radicalement islamistes. Ce n’est pas la conscience qui détermine l’être mais l’être social qui détermine la conscience. Ce n’est pas l’esprit qui guide le monde, mais le monde qui téléguide l’esprit. Ce sont les conditions matérielles sociales et politiques qui ont favorisé l’émergence de l’islamisme. Non la littérature confessionnelle islamique.
Une chose est sûre : ce n’est pas l’interdiction des livres salafistes ou la fermeture des sites internet islamistes qui freineront le phénomène du «djihadisme», le surgissement du terrorisme. Particulièrement en Occident. Notamment en France, où les jeunes continueront à être tentés par l’embrigadement dans les mouvements islamistes tant que les puissances impérialistes occidentales, singulièrement la France, persisteront à semer partout la terreur, à propager la guerre, à massacrer des innocents, à détruire des pays souverains («à bombarder leurs pays et déchirer leurs familles», dixit Michel Onfray), à reléguer les populations immigrées dans des cités-dortoirs, villes socialement mouroirs, à obstruer toute possibilité d’intégration économique de ces générations sacrifiées, victimes expiatoires de l’ensauvagement de l’économie capitaliste française.
De surcroît, aujourd’hui, ces «démocrates» français, thuriféraires des entreprises impérialistes de leur Etat va-t-en-guerre hystérique, réclament l’interdiction des livres islamistes. Demain, ils exigeront la proscription du Coran. Après-demain, la prohibition de tous les livres de critique radicale contre le capitalisme, voire de tout simple ouvrage considéré par trop subversif, comme au temps de l’époque du régime de Vichy de sinistre mémoire, où la France fanatisée par l’idéologie hitlérienne, en supplétive volontaire du régime nazi, terrorisait les hommes et femmes épris de liberté (les résistants), pourchassait et déportait les juifs pour être exterminés dans les camps de concentration (ce qu’aucun pays musulman, dans l’histoire, n’a jamais pratiqué)
En réalité, la lutte contre l’islamisme terroriste passe par le combat contre l’impérialisme terroriste et son géniteur, le capitalisme terroriste actuellement en œuvre en Ukraine. L’islamisme n’est que l’enfant adultérin de ce système devenu stérile, incapable de féconder une société humaine. Les puissances impérialistes occidentales ont enfanté l’islamisme avec la complicité des dirigeants féodaux despotiques des pays arabes, pour perpétuer l’aliénation religieuse, circonscrire et étouffer les révoltes sociales des masses populaires de confession musulmane, mais aussi pour les terroriser par les bandes armées islamistes soutenus et financés par des officines opaques occidentales et wahhabites.
Ces deux dernières années, l’épouvantail islamiste passé de mode, le capitalisme occidental décadent, en voie de radicalisation militariste et de fascisation institutionnelle, a fabriqué deux nouvelles «bêtes immondes» : d’une part, le Covid-19, cette arlésienne virale instrumentalisée par les gouvernants à des fins politiques contre-insurrectionnelles ; d’autre part, depuis le 24 février, la Russie poutinienne, devenue la bête noire à combattre et abattre. Ces deux spectres sont actuellement agités pour dévoyer les luttes sociales sur des préoccupations sécuritaires requérant à nouveau le renforcement de l’appareil répressif de l’Etat, et pour fourvoyer l’opinion publique dans l’idéologie militariste hystérique, avec leurs corollaires sécuritaires exceptionnels : le quadrillage policier, le déploiement de l’armée, le contrôle des réseaux sociaux, l’interdiction des manifestations, l’instauration de l’état d’urgence, l’état de siège, le confinement. Autrement dit, la militarisation de la société et la caporalisation des esprits.
Tout cela pour le grand profit du capital, de plus en plus contraint de recourir à la force : signe de sa faiblesse, de sa détresse. Le déploiement de la force de l’Etat n’est que l’expression de l’état de sa faiblesse.
La classe capitaliste aura beau interdire tous les ouvrages subversifs pour se maintenir dans l’histoire, l’ouvrage subversif de la lutte de classe ne s’interdira jamais de maintenir son mouvement pour abolir la classe capitaliste de l’Histoire.
K. M.
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