Plaque commémorative à la mémoire du moudjahid Taïeb Boulahrouf à Rome
De Rome, Mourad Rouighi – En cette Journée nationale du moudjahid, les Algériens d’Italie et les amis italiens de notre pays prennent officiellement note de la décision de la ville de Rome d’installer, dans les semaines à venir, une plaque en la mémoire du moudjahid et diplomate Taïeb Boulahrouf, non loin du siège du Parlement.
Un hommage au négociateur d’Evian et au premier ambassadeur algérien en Italie, qui fait suite au choix d’intituler un jardin à la mémoire d’Enrico Mattei à Alger, inauguré par le président Sergio Mattarella, en novembre dernier, en marge de sa visite d’Etat en Algérie.
Une initiative témoignant de l’excellence des relations entre nos deux pays et qui a été voulue par le président du Conseil de la nation, Salah Goudjil, dans le cadre du grand intérêt qu’accorde le président, Abdelmadjid Tebboune, au dossier de la mémoire et qui a fait l’objet d’un travail de suivi entamé par l’ancien ambassadeur à Rome Ahmed Boutache et finalisé par son successeur, Abdelkrim Touahria.
Cela dit, nul besoin de le rappeler, le moudjahid Taïeb Boulahrouf est de ceux qui ont fait de l’Algérie une nation indépendante. Son long parcours au service du pays aura été des plus brillants.
Arrivé en Italie en 1958 en provenance de Suisse, il connaît déjà la péninsule pour avoir pris part – en compagnie de feu Ahmed Boumendjel – à nombre de conférences et rencontres organisées par un des tout premiers amis de la cause nationale, Giorgio La Pira, maire de Florence, grand soutien du syndicaliste tunisien Farhat Hached, qui le pria dès 1950, que l’on commence enfin à parler de la longue nuit coloniale, qui risquait d’annihiler tout un peuple en Algérie.
Hached, qui appartenait à la direction de la CISL – La Confédération internationale des syndicats libres – enjoignit son successeur, Ahmed Ben Salah, d’agir avec La Pira pour faire admettre l’UGTA, ce qui fut fait en 1956.
Une grande victoire diplomatique pour le FLN, pour Giorgio La Pira et Boulahrouf, qui jouèrent un rôle central dans cet important acquis pour la cause algérienne.
A partir de 1958, il quitta Lausanne, dépêché par la direction du FLN à Rome et choisit de résider dans le quartier de Montesacro, non loin des ambassades de Libye et d’Egypte dont les responsables l’introduisent auprès des nombreux relais et sympathisants de la Révolution algérienne, tant de gauche que parmi les démocrates-chrétiens.
De fait, aux yeux des autorités italiennes officielles, il est un simple journaliste, correspondant de l’agence d’information de la branche politique des «rebelles» algériens, en guerre contre la France.
Au mois de septembre de la même année, le GPRA est proclamé et son charisme et ses qualités d’homme de réseaux lui valent de devenir le représentant à Rome du mouvement national naissant, ce qui provoque la colère des autorités françaises qui s’offusquent de la liberté d’action et des facilités qui lui sont accordées.
Les services secrets de Paris, SDECE et Service Action commencèrent dès lors à envisager à son égard toutes les options : son éloignement du territoire italien, son enlèvement, voire tout bonnement son assassinat.
Enrico Mattei intervient auprès du gouvernement italien, qui lui offre une protection policière et une surveillance permanente, ce qui n’empêcha pas les mises en garde des éléments de l’Algérie française, qui se multiplièrent à travers des sabotages le ciblant et des lettres anonymes.
Taïeb Boulahrouf, en militant de la première heure, fait face avec courage ; en tout, il y eut entre 1959 et 1961 au moins quatre tentatives d’attenter à sa vie, à Rome : à Via Quattro Fontane en 1959 – à Via di Villa Ricotti – à Via Val Savio, où il fut blessé et l’on frôla la crise diplomatique entre Paris et Rome et à Via Cavour, en 1961.
Selon Mario Pirani, homme de confiance d’Enrico Mattei et chargé de maintenir le contact avec la Direction nationale, basée à Tunis, en juin 1959, quelques jours avant la visite du général De Gaulle en Italie et alors que Mattei était au Caire, le président d’ENI était prévenu tard dans la nuit que Boulahrouf à Rome avait échappé aux tirs d’une voiture, de couleur noire, sur la Via delle Quattro Fontane et qu’il doit son salut à ses réflexes rapides, qui l’ont amené à se réfugier à l’intérieur du bâtiment en face du Palais Barberini.
On apprendra plus tard que ce fut La Main Rouge, proche du SDECE, qui tenta le coup.
Mario Pirani qui s’est rendu en Algérie en 2004 et 2006 a raconté cet épisode devant un parterre de vétérans de la Résistance. L’épisode a été raconté par Taïeb Boulahrouf à des collaborateurs après l’indépendance, et Pirani lui-même l’a raconté à trois journalistes algériens.
Malgré cela, son patriotisme l’amena à continuer à sillonner l’Italie, sans crainte pour sa personne et les nombreuses missions qui lui ont été confiées ont été toutes menées avec grande efficacité.
En effet, dès le 9 janvier 1961, au lendemain du référendum sur l’autodétermination de l’Algérie, il fut chargé de renouer le contact avec les autorités françaises et en coordination avec le diplomate suisse Olivier Long, il jeta les bases des rencontres d’Evian, qui aboutiront au cessez-le-feu et à la fin de la page coloniale dans notre pays.
A l’indépendance, il devint le premier ambassadeur de l’Algérie en Italie, et si quelques irréductibles de l’OAS, arrivés en avril 1962 en provenance d’Oran, voulurent l’éliminer, on leur fit comprendre que la moindre entorse aux accords pris par l’entremise de la CIA et ils seraient livrés aux «barbouzes» du général De Gaulle, qui menaient contre eux une guerre sans merci.
En 1965, Taïeb Boulahrouf quitta Rome pour un nouveau poste et une nouvelle mission, qui le mena à Belgrade. Il servit également à Buenos Aires, Lima et Lisbonne.
Le 26 juin 2005, le moudjahid Taïeb Boulahrouf nous quittait avec le sentiment, partagé avec ses compatriotes, du devoir accompli.
M. R.
Comment (17)