Une rencontre à Pékin
Une contribution de Kadour Naïmi – Voilà quelque temps, à une rencontre de coopération internationale avec la Chine, qui eut lieu à Pékin, je fus invité en tant qu’homme de théâtre et de cinéma. Lors d’un dîner, on vint m’informer qu’une personne voulait me voir. J’acceptai.
Peu après, je vis s’approcher de moi un homme, très ému, que je ne connaissais pas. Il me sourit, il me sembla qu’il retenait des larmes qui brillaient dans ses yeux et, sans parler, il m’enlaça avec une chaleur fraternelle qui me surprit en me touchant profondément. Je ne comprenais pas qui était la personne, et le motif de son comportement.
Quand il enleva ses bras de mon torse, il ne parvient pas à s’exprimer tant son ébranlement était fort. Il parvint néanmoins à parler… en arabe algérien ! Quel émoi ! Entendre ma langue maternelle dans la capitale de l’Empire du Milieu, une langue que je n’avais pas l’occasion d’utiliser depuis des années.
– Quand j’ai su que tu es un Algérien, murmura l’homme, une joie immense m’a saisi et j’ai tenu à te voir.
– Moi aussi, en t’entendant parler algérien, je suis très ému. Puis-je savoir qui tu es ?
– Je suis d’Alger où j’ai étudié la robotique. A la fin de mes études, j’ai voulu servir ma patrie dans ce domaine stratégique. Hélas ! On m’a traité d’une manière si humiliante que je ne savais plus quoi faire. Par chance, on me proposa de travailler en Chine, à Pékin, dans le secteur de ma compétence. Et j’y suis depuis beaucoup d’années, avec tout le respect et la reconnaissance de la qualité de mon travail.
– Retournes-tu de temps à autre au pays ?
Le compatriote s’attrista.
– Malheureusement pas… Je n’y parviens pas, trop de douleur m’en dissuade.
Cette déclaration et cette rencontre, totalement inattendue, me rendirent très heureux et très malheureux. Très heureux de savoir qu’un compatriote a la possibilité de faire valoir ses capacités. Très malheureux de constater l’incapacité des dirigeants de notre pays à reconnaître les compétences de ce citoyen. Et j’ai songé à tellement de citoyens et citoyennes d’une compétence certaine, dans divers domaines, qui se sont vu, avec le plus amer des chagrins, contraints de quitter leur patrie pour se rendre utiles à un pays qui savait estimer correctement leurs connaissances. L’Algérie a dépensé de l’argent pour former, d’autres pays en ont bénéficié.
Et j’ai pensé à ces autres victimes : les jeunes qui préfèrent risquer la noyade en mer parce qu’ils ne trouvent pas de dignité à vivre dans la patrie de la «Déclaration du 1er Novembre 1954» et de la «Plateforme de la Soummam».
L’Algérie peut-elle se considérer «nouvelle» tant que ces deux tragiques carences la vident d’une si précieuse et vitale énergie humaine : la connaissance et la jeunesse ?
K. N.
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