La malédiction de tonton Messaoud
Une contribution de Kaddour Naïmi – Une personne réellement compétente et une personne médiocre sont incompatibles. La première ne peut travailler de manière correcte parce que la seconde l’en empêchera pour éviter que sa médiocrité soit mise en évidence.
La personne compétente succombe parfois au démon de la «carrière» avec les privilèges qui la contiennent, et, donc, devenir médiocre dans son travail. Par contre, la personne médiocre est obligée de compter uniquement sur la «carrière» avec les privilèges qui s’ensuivent.
Toute société dirigée par une caste parasitaire existe en produisant et en maintenant une couche significative de personnes médiocres, parce que le médiocre ne peut pas remettre en question l’autorité qui le commande, car la justification de son «travail» est d’abord l’obéissance aveugle aux ordres de l’autorité.
Par contre, la personne compétente qui, en plus, a une conscience éthique (liberté, vérité, justice, solidarité), n’acceptera jamais de se rabaisser à un travail fait de manière médiocre, et si l’ordre de l’exécuter vient d’une autorité supérieure, la personne compétente et dotée d’une conscience éthique renonce à ce travail de mercenaire, au point de s’exiler avec amertume.
Voici une anecdote en ce qui concerne un secteur d’activité en Algérie.
Je fus invité à un déjeuner dans un élégant restaurant à Alger, où étaient présents deux directeurs de deux importants théâtres régionaux de l’ouest. Je fus choqué par la bombance on ne peut plus outrée.
A ma demande : «Pourquoi vos établissements ne produisent pas assez d’œuvres, et pourquoi celles produites sont d’un niveau professionnel qui laisse beaucoup à désirer ?» J’eus droit à des sourires narquois, et l’un des directeurs répondit textuellement : «Nous avons ‘âmmi (tonton) Messaoud qui nous nourrit très bien !» Je ne compris pas et demandai : «Tonton Messaoud, c’est qui ?» La clarification fut dite par le second directeur avec une désinvolture qui me surprit : «Les puits de pétrole de Sidi Messaoud !»
En une autre occasion, à l’est du pays, je fus invité par un autre directeur de théâtre régional. Comme je m’étonnai de la quantité énorme de nourriture sur la table, le directeur présenta sa rondelette bedasse et la caressa en déclarant avec fierté : «Rana chab’anȋne (Nous sommes rassasiés) !»
Ayant remarqué que dans son établissement, des membres de la troupe étaient payés sans travailler, quelques-uns ne faisant même pas acte de présence, j’ai demandé : «Pourquoi continuent-ils à recevoir leur salaire ?» Le directeur eut un sourire entendu et répondit : «C’est pour préserver la paix sociale !»
Ainsi donc, la richesse pétrolière du pays est, aussi, une malédiction !… Outre le secteur du théâtre public, combien d’autres secteurs d’activité ne souffrent pas de cette malédiction ? Qui en est le premier responsable ?
Devant les trois misérables parasites sociaux – qui se déclaraient tous «démocrates» et «progressistes» –, je n’ai pas estimé devoir montrer mon indignation, toutefois j’ai imaginé de les voir devant un tribunal populaire, ainsi composé : deux anciens moudjahidine de la Guerre de libération, deux jeunes chômeurs candidats à l’exil clandestin, deux personnalités de science et deux personnalités de la culture contraintes à l’exil où elles exercent leurs compétences. Ne sont-ils pas les authentiques garants d’une vraie nouvelle Algérie qui éliminera toute infamie contre le peuple ?
K. N.
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