Qu’est-ce qui dérange dans la tribune retirée sur la visite de Macron à Alger ?
Par Abdelkader S. – Après la censure de médias russes, voici venu le tour de penseurs français d’être atteints, à leur grand dam, par les ciseaux de l’imprimatur. L’historien Paul-Max Morin, professeur à la prestigieuse Ecole des sciences politiques de Paris, a vu sa tribune sur le dernier voyage d’Emmanuel Macron en Algérie retirée par la direction du journal Le Monde qui a présenté ses excuses au président français et tenté d’expliquer son geste par un argument bateau, selon lequel le propos sur lequel s’est basé l’auteur pour rédiger son article avait été mal interprété.
«Nous avons décidé de retirer de notre site la tribune du politiste Paul-Max Morin sur le récent voyage d’Emmanuel Macron en Algérie, publiée jeudi 1er septembre. Ce texte reposait sur des extraits de citations qui ne correspondent pas au fond des déclarations du chef de l’Etat. Si elle peut être sujette à diverses interprétations, la phrase une histoire d’amour qui a sa part de tragique prononcée par M. Macron lors de la conférence de presse n’évoquait pas spécifiquement la colonisation, comme cela était écrit dans la tribune, mais les longues relations franco-algériennes», a justifié le journal proche du Parti socialiste.
Mais qu’est-ce qui a horripilé l’Elysée pour qu’il ordonne à un média d’effacer une analyse académique d’un spécialiste de l’histoire de la Guerre d’Algérie ? «Les déclarations de 2017 [faites par Macron, ndlr] positionnaient le candidat à la présidentielle en homme neuf, capable d’assumer le passé colonial, renvoyant de fait ses concurrents à leur propre incapacité. L’Algérie devenait la jambe gauche du président du en même temps. Depuis, la droitisation du paysage politique français a amené Emmanuel Macron à durcir sa ligne. Ainsi, en octobre 2021, il recyclait l’idée que la France aurait fait l’Algérie, déclarant : est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question. En janvier 2022, il reconnaissait le massacre impardonnable pour la République des victimes de la rue d’Isly [à Alger, en 1962], soutiens de l’Organisation de l’armée secrète», écrit l’auteur de l’ouvrage intitulé Les Jeunes et la Guerre d’Algérie.
«Qu’elle ait été prononcée spontanément ou non, poursuit l’universitaire, la réduction de la colonisation à une histoire d’amour parachève la droitisation d’Emmanuel Macron sur la question mémorielle. Elle s’inscrit dans la continuité d’une idéologie coloniale qui n’a jamais cessé d’utiliser des euphémismes pour masquer les réalités sociales et politiques.» «Ces déclarations, argumente-t-il, constituent de plus une rupture majeure avec celles des anciens présidents français en visite en Algérie.» Il rappelle, pour appuyer son propos, la visite que l’ancien président français Nicolas Sarkozy avait effectuée en Algérie en 2007, visite durant laquelle il déclarait que «le système colonial était injuste par nature» et qu’il «ne pouvait être vécu autrement que comme une entreprise d’asservissement et d’exploitation». L’auteur censuré rappelle également le déplacement de François Hollande à Alger, le 19 décembre 2012, à l’occasion duquel il «reconnaissait devant les parlementaires algériens les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien».
Pour Paul-Max Morin, «l’annonce de la création d’une nouvelle commission d’historiens, cette fois franco-algériens, est également problématique». «Elle laisse entendre que le travail de recherche et de précision sur les faits n’aurait pas été effectué», explique-t-il, en estimant que «fort heureusement, les historiens et les historiennes des deux côtés de la Méditerranée n’ont pas attendu la parole présidentielle pour travailler».
Cette censure a soulevé une vague d’indignation dans les milieux intellectuels français qui voient le champ des libertés rétrécir chaque jour un peu plus.
A. S.
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