Exclusif – Yves Bonnet : «Le bilan de la visite de Macron à Alger reste médiocre»
L’ancien patron de la DST, actuelle DGSI, invite la France à «cesser de se mêler de ce qui ne nous regarde pas» et à «se faire plus respectueuse des autres pays souverains». Dans cette interview exclusive qu’il a accordée à Algeriepatriotique, Yves Bonnet estime qu’en dehors d’une amélioration de la relation personnelle entre les deux présidents Macron et Tebboune, le bilan de la visite que le pensionnaire de l’Elysée a effectuée en Algérie «reste médiocre».
Algeriepatriotique : La visite de Macron en Algérie a fait couler beaucoup d’encre, les uns considérant qu’elle a été couronnée de succès, quand d’autres estiment que c’est au mieux un «non-événement» au pire un «fiasco». Quelle est votre analyse sur ce déplacement ?
Yves Bonnet : Le déplacement de M. Macron en Algérie est probablement motivé par deux ordres de considérations : l’attente permanente d’une clarification des relations attendues entre deux Etats dont les intérêts s’entrecroisent sur les plans humain, économique et politique, qui doit être précédée d’un travail diplomatique et politique bilatéral plus ou moins intense, selon le niveau des demandes réciproques et l’opportunité d’obtenir des livraisons de gaz plus importantes. Je suis enclin à considérer que cette dernière considération prime sur la première, compte tenu de l’annonce tardive, voire inopinée du déplacement. Si tel est le cas, en dehors d’une amélioration de la relation personnelle entre les deux présidents, le bilan reste médiocre.
Les relations entre l’Algérie et la France «sont tout sauf banales», a affirmé le président de la Fondation de l’islam de France à notre site. Comment jugez-vous ces relations ?
Je suis d’accord sur le fait que les relations entre nos deux pays sont tout sauf banales. Je plaide depuis toujours pour un concordat qui poserait des règles exceptionnelles de relations comme la suppression de l’obligation du visa pour des professions entières : hommes de loi, médecins et personnels de santé, fonctionnaires de niveau A, entrepreneurs inscrits dans une chambre franco-algérienne, professions artistiques, ONG agréées dans les deux pays. Par ailleurs, un office de la jeunesse franco-algérien serait le bienvenu. Le tout enserré dans un cadre permanent.
Le président Macron alterne entre déclarations lénifiantes et propos suscitant la colère d’Alger. Agit-il ainsi par maladresse et excès de volubilité sans préparation préalable de ses discours ou par calcul politicien, selon vous ?
Je ne peux évidemment pas me prononcer sur les raisons qui poussent le président [Macron] à souffler alternativement le chaud et le froid sur les relations franco-algériennes. En revanche, je peux attester de ce qu’il est coutumier d’«allers et retours» de sa pensée sur nombre de sujets. Par exemple, en fermant une centrale nucléaire et en décidant de la réduction de la fourniture d’électricité nucléaire puis en revenant précipitamment sur ses décisions, en demandant la réouverture des centrales mises hors circuit. Manifestement, sa pensée n’est pas fixée et il oscille sur de nombreux sujets entre propos et prises de position contradictoire. C’est même une marque de son process intellectuel.
Comment voyez-vous les relations entre nos deux pays à l’avenir ? Chemine-t-on vers le règlement du contentieux historique ou celui-ci risque de durer encore longtemps ?
Personnellement, non.
L’Algérie réclame l’extradition d’un certain nombre d’activistes dont elle juge qu’ils portent atteinte à la sécurité et à la stabilité de l’Algérie à partir du territoire français. Macron pourrait-il répondre positivement à cette demande contre de la sauvegarde des intérêts français bousculés en Algérie ou se servira-t-il de ces éléments comme moyen de pression, d’après vous ?
L’approche mémorielle de la relation franco-algérienne n’est qu’une manière d’éluder les vrais problèmes, comme la coopération militaire, les échanges au niveau de la recherche médicale, agronomique, scientifique et technique, la gestion des ressources en eau, la concertation diplomatique et tous les sujets que nous impose l’existence d’une communauté algérienne forte de plusieurs millions de personnes. Je regrette de n’avoir jamais senti le grand vent d’une coopération concrète entre nous.
La décision de réduire le nombre de visas accordés aux Algériens comme mesure de rétorsion pour forcer le gouvernement algérien à établir les laissez-passer consulaires aux sans-papiers vous semble-t-elle judicieuse ? Qu’a-t-elle apporté à la France dans ce dossier ?
Nous sommes confrontés aux mêmes menaces et nous devons leur répondre en totale concertation, allant jusqu’à la remise à l’Algérie des indésirables qui abusent de nos lois. J’ai dit plus haut ce que je pense de la politique des visas. Ces propositions ne sont pas nouvelles, je les ai soumises en leur temps à Gaston Defferre [ministre de l’Intérieur sous Mitterrand, entre 1981 et 1984, ndlr]. J’ai seulement oublié les journalistes qui doivent évidemment pouvoir se déplacer sans restrictions.
Un imam marocain est en fuite après un imbroglio politico-judiciaire qui s’est soldé par une décision autorisant son expulsion. Entretemps, le Maroc s’est ravisé et a annulé le laissez-passer consulaire. Comment expliquez-vous la volte-face marocaine ?
Je ne l’explique pas.
Cette affaire a sérieusement éclaboussé le gouvernement Borne et le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin dont l’autorité est remise en cause. Quelle sont les suites possibles à ce feuilleton de l’été ?
Je n’accablerai pas le gouvernement car au sujet de la triche, c’est souvent le tricheur qui gagne et l’imam en question joue avec nous depuis toujours. Il aurait fallu l’expulser quand il a refusé la nationalité française, mais M. Darmanin n’était pas né à la vie politique.
Quelles sont les suites possibles à ce feuilleton ? Que peut la France face à ce dilemme, ni ne pouvant emprisonner le prédicateur marocain fugitif, car n’ayant commis aucun acte criminel, ni le laisser en liberté car véhiculant un discours jugé antirépublicain et complotiste ?
Il est difficile de répondre à cette question, par ailleurs pertinente, car c’est une partie à trois, au moins, entre l’intéressé, la France et le Maroc.
La France traverse une période à tout le moins difficile depuis la survenance de la pandémie du Covid-19 jusqu’au déclenchement de la guerre en Ukraine. Comment jugez-vous les décisions du gouvernement français par rapport à ces deux crises, pensez-vous qu’il porte une responsabilité dans l’état actuel de la France en proie à une grande précarité énergétique et à l’érosion du pouvoir d’achat ?
J’appartiens à l’opposition au président et à son gouvernement. En conséquence, je m’inscris en faux contre leur politique mondialiste destructrice de nos services publics, de notre système éducatif, de notre politique énergétique et alignée sur Bruxelles. Leur responsabilité dans l’état actuel de la France, qui est – soyons gentils – préoccupant, est évidemment écrasante. D’une manière générale, la France devrait se faire plus respectueuse des autres pays souverains et cesser de se mêler de ce qui ne nous regarde pas.
Interview réalisée par Karim B.
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