Notre première victoire
Une contribution de Saadeddine Kouidri – Si on considère que la colonisation de peuplement consiste à remplacer un peuple par un autre, on peut conclure que si nous, les Algériens, sommes toujours vivants c’est grâce à la résistance de nos aïeux. Seule une histoire scientifique peut mener à la reconnaissance de la victoire de la Résistance algérienne de 1830 à 1848 et plus, sur la mort de tous les Algériens. Cette première victoire du peuple sur le colonialisme de peuplement sans laquelle on ne peut écrire objectivement la suite.
On peut dire qu’officieusement l’Algérie moderne est née grâce à sa victoire sur le colonialisme de peuplement et officiellement par sa triple victoire du 19 mars 1962 sur la France, l’OAS et l’OTAN qui débouche sur l’indépendance collée à l’option socialiste et la Révolution agraire.
Pourquoi Gorbatchev n’avait-il pas anticipé et au lieu de solliciter l’aide des Occidentaux au G7 en juillet 1991, il ne s’était pas tourné vers la Chine et son PCC ?
A mon avis, s’il n’a pas été capable d’anticiper, c’est que son PCUS n’était plus dirigé par des marxistes-léninistes armés du matérialisme scientifique mais par des marxistes de la bourgeoisie, c’est-à-dire des idéalistes qui croient au socialisme du visage humain occidental.
Les travaux de Darwin démentent les classements antérieurs des sociétés, celui de communisme primitif par exemple attribué à notre continent par le colonialisme et ses plumitifs. Ce qui est, en définitive retenu, c’est primitif et non communisme, puisque ceux qui se prétendaient révolutionnaires n’ont pas pris fait et cause pour la Résistance mais bien au contraire. Y compris aux yeux de dirigeants marxistes, les habitants étaient des primitifs, et pour la colonisation des indigènes forcément.
L’Algérie avant 1830 fournissait du blé et de l’argent à la France… Le pays était composé de 700 tribus. On imagine bien que chacune d’elles aspirait à agrandir son territoire. Ce n’est donc pas la propriété collective qui a fait la force de la Résistance, comme on le prétend, mais l’amour de la patrie. Pour nous dénier ce noble sentiment, qui est lié à l’évolution, on nous traite de primitifs, comme la colonisation nous traitait à son tour d’indigènes.
L’Etat dont le Trésor a été la principale convoitise de la France et qui avait pour conséquence de s’attribuer cette terre en pratiquant la «terre rase» de sa population avait échoué contrairement aux Amériques face aux Amérindiens qui, eux, étaient qualifiés de sauvages. Lacheraf écrivait : «Vers les débuts du XXe siècle, la partie est gagnée» puisque l’extermination, objectif avoué ou inavoué, est conjurée. C’est là la première raison du maintien du secret des archives jusqu’à la fin de leur manipulation pour leur faire dire le contraire, la voix officielle. Le deuxième secret est la contribution indirecte, secrète des Services secrets français à l’assassinat de plusieurs dirigeants de la Révolution dont celle d’Abane, de Khemisti, de Khider, de Krim…
Entre 1830 et 1848, plusieurs millions de résistants algériens sont morts et plus de 100 000 soldats français, ce n’est pas pour nous entendre dire que nous étions des primitifs. L’Algérie était, dans au moins un domaine, plus évoluée que la France, puisque Tocqueville témoigne que nous étions plus lettrés. Le système capitaliste a beaucoup de moyens pour nous tromper, sauf qu’aujourd’hui nous avons autant de moyens pour sortir de son piège où dominent le racisme et le mensonge.
Dans une interview à CNN qui remonte à 2005, Warren Buffet, cette troisième fortune du monde en ce temps-là, disait qu’«évidemment la lutte de classes existe, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte et nous sommes en train de la gagner». Pourquoi les riches gagnent-ils ?
Grâce au secret de leur idéologie qui consiste à transformer le sens des mots pour aliéner. Elle est l’arme principale pour dominer. Cette arme remonte à plus de quarante siècles, du temps des Pharaons, et c’est Sanchoniathon de Béryte, un hiérophante phénicien, ce grand prêtre, le premier matérialiste de l’histoire qui nous révèle le secret par une généalogie des idoles où il démystifie les symboles, à travers la simple reconstitution de leur histoire. Il a été comme on le constate traître à sa caste !
A l’origine, les hiéroglyphes étaient un code, le code secret des prêtres. Marx rapporte la note de Cuvier à la page 187 du tome II du livre premier du Capital où il est écrit : «C’est la nécessité de calculer les périodes des débordements du Nil qui a créé l’astronomie égyptienne et, en même temps, la domination de la caste sacerdotale à titre de directrice de l’agriculture.» Le but de ces premiers idéologues qu’étaient les prêtres est le gouvernement de l’activité productive. Pour cela, ils codifiaient leur savoir pour faire croire qu’ils tenaient les secrets des cieux, faisant planer le mystère, développant la magie et la superstition pour entretenir l’idolâtrie.
Le monde a retenu Platon qui fut, dit-on, un de leurs élèves et non Sancho, ce premier historien moderne qui, dans sa Théogonie, expliqua la genèse terrestre des idoles. On n’est pas seulement dans l’exploitation de l’Homme, dans l’accaparement de la plus-value mais, aussi, dans l’ère des technologies de l’influence ou la communication politique suit les recettes du conditionnement consumériste ou la pub complète la propagande par l’image et le son.
Récemment, l’Elysée annonce la désignation du «spin doctor», le communicant et lobbyiste Frédéric Michel, qui travaillait pour Tony Blair et James Murdoch, l’équivalent donc d’un hiérophante d’il y a quarante siècles, auprès de Macron.
Le système politique dominant organise sa propre lutte idéologique sous le masque auto-gommant de l’idéologie libérale. C’est l’idée pharaonique, plus vieille et plus forte que les Pyramides, qui mène le monde. Platon le philosophe et ses adeptes ne voyaient que du feu dans la diablerie de la caste sacerdotale. C’est donc aux historiens, aux adeptes de Sancho qui vont pouvoir décodifier l’actualité. L’un d’eux, Paul Max Morin écrit au sujet de la visite du président français en Algérie : «Réduire la colonisation à une histoire d’amour parachève la droitisation de Macron sur la question mémorielle.» Au moment où nos vieux «historiens» se noient dans un verre d’eau en plein écran.
S. K.
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