Islamisme et berbérisme : œuvres de couches sociales archaïques en déclin
Une contribution de Khider Mesloub – En Algérie, on met l’histoire au service de l’engagement politique. Et non l’engagement politique au service de l’Histoire. Autrement dit, la même histoire fossilisée, réécrite sous deux formes archaïques, islamique ou berbériste, sert, depuis l’indépendance, de marchepied à certains dirigeants du régime et quelques politiciens de l’opposition pour se maintenir ou se hisser au pouvoir, quitte à piétiner la vérité historique et à écraser socialement le peuple.
Hors de question d’employer la politique pour changer l’Histoire, bâtir une nouvelle Algérie tournée résolument vers l’avenir, adossée à la modernité. Une modernité incarnée par des forces sociales progressistes porteuses de projets économiques et civilisationnels universels et émancipateurs
Pour ces deux entités réactionnaires, islamiste et berbériste, se disputant les dépouilles du patrimoine algérien, le combat politique se cantonne à l’exhumation des vestiges de l’antiquité pour les accommoder à la société contemporaine algérienne, pourtant en pleine mutation, opérée dans le cadre de la mondialisation économique et de l’évolution technologique, en faveur desquelles l’Algérie œuvre pour favoriser et accélérer sa modernisation.
Ces deux excroissances nationales anachroniques s’acharnent à vouloir bâtir une Algérie avec des reliques culturelles ou cultuelles antiques, en guise d’ossature identitaire greffée sur un corps social pourtant ancré dans la contemporanéité et modelé par la modernité, illustrée par l’urbanisation et la scolarisation massives de la population, l’adoption des nouvelles technologies numériques par la nouvelle jeunesse, massivement connectée sur les réseaux sociaux, donc en phase avec l’innovation et la mondialisation.
Pour autant, au plan idéologique, s’il fallait une preuve de la persistance de l’archaïsme tribal et féodal au sein de certaines couches sociales algériennes, elle nous est administrée par l’appréhension rétrograde de la question nationale, politiquement controversée. Deux visions réactionnaires s’affrontent pour caractériser l’identité nationale de l’Algérie. En effet, depuis l’indépendance, dès lors qu’il s’était agi de définir la nation algérienne, deux conceptions identitaires archaïques divergentes, concurrentes mais complémentaires, émergèrent, incarnées par les islamistes et les berbéristes, pour qui le combat cultuel ou culturel constitue le nec plus ultra du projet politique, prime sur le programme de développement économique et social de l’Algérie.
La première mouvance, majoritaire, est principalement d’inspiration religieuse. La seconde est d’essence ethnolinguistique.
Pour la mouvance islamiste, la religion musulmane constitue le socle sur lequel s’édifie la nation algérienne. Elle érige l’islam comme le principe fondateur de la nation algérienne. Il n’est donc pas étonnant qu’elle fasse remonter la naissance de l’Algérie à l’époque de l’islamisation de cette région du Maghreb. Le roman national algérien se confond ainsi avec l’établissement de l’islam en Algérie. Tout le passé antérieur à l’avènement de l’islam est ignoré, occulté, effacé. Elle définit l’Algérie par son unique et exclusive caractéristique religieuse. Pour elle, l’Algérie est musulmane. De culture musulmane. Ce qui est erroné. Certes, l’Algérie est de culte musulman. Mais point de culture islamique. Car il n’y pas de culture islamique, l’islam n’étant pas une culture mais un culte, c’est-à-dire une religion globalisante. Il y a, en revanche, une culture algérienne singulière, indonésienne, irakienne, turque, sénégalaise, quoique ces pays aient une religion globale commune. De même, il existe une culture arabe qui a pour substrat la langue arabe.
La fantasmagorique culture islamique est une construction idéologique, œuvre de militants intégristes aspirant à islamiser (salafiser) outrancièrement la société, par la transmutation du cultuel en culturel. Il n’est donc pas surprenant que la mouvance islamiste appuie et cautionne le principe constitutionnel érigé par l’Etat algérien en étendard sacré : islam, religion d’Etat. En tout cas, le discours islamique imposé par l’Etat algérien, en particulier par la fraction islamiste contrôlant les structures étatiques, révèle que la sacralité n’est pas l’expression de l’adhésion spontanée de la population mais le corollaire d’une politique d’endoctrinement opérée par les appareils de conditionnement des esprits, notamment l’école pour qui le sens (sacralisé) préexiste à l’initiative individuelle (profane libre). Le sacré étant donné d’avance et ordonné par l’Etat, par la vertu d’une loi constitutionnelle, l’Algérien est contraint d’y croire sans faire acte de volition. Selon les normes éducatives étatiques algériennes, un enfant né dans une famille musulmane est considéré ontologiquement comme «musulman». Aussi est-il soumis à un enseignement islamique obligatoire. De même, les valeurs morales, présentées comme des vérités intemporelles et intangibles, émanent-elles de l’islam qui leur confère sens, validité et légitimité. Une chose est sûre, on ne naît pas religieux, autrement dit musulman (juif, chrétien). On le devient par l’éducation, mimétisme, pression familiale et communautaire. Voire contrainte étatique. Tout comme on ne naît pas footballeur, sport encadré par de multiples rites sacrés, notamment dans son temple de jeu, le stade où viennent officier les footballeurs au milieu de spectateurs fanatisés adorateurs du ballon rond, mais on le devient par conditionnement médiatique sportif et influence éducative et sociale. L’adhésion à une religion est un processus éducatif social, non une démarche de conversion spontanée individuelle. La foi est un construit social. Sans structures éducatives et propagandistes familiales, scolaires, médiatiques et cultuelles, chapeautées par l’Etat, la religion serait une coquille vide.
La seconde mouvance d’inspiration berbériste s’appuie, elle, sur la matrice ethnique et linguistique pour définir la nation algérienne. Pour les partisans de cette vision ethniciste, l’Algérie est composée, depuis les temps reculés, en majorité de «Berbères». Selon les tenants de cette thèse essentialiste, quoique 85% de la population contemporaine algérienne aient, depuis des siècles, pour langue maternelle l’arabe, pour culture l’héritage «arabo-musulman», elle demeure berbère. D’après le point de vue de cette composante berbériste, majoritairement kabyle, par ses seules ascendances «amazighes», l’Algérie perpétuerait ainsi son identité berbère immuable, éternelle et immortelle. Aussi l’identité arabe de l’Algérie est-elle totalement récusée, rejetée, reniée par ces berbéristes, en dépit de l’évidence historique et sociologique, de la prégnance culturelle et linguistique arabe algérienne.
Globalement, ces deux approches identitaires nationales inconciliables s’appuient sur des fondements religieux ou ethniques archaïques issus directement de l’ancien mode de production suranné, qui a survécu dans une forme de contiguïté contre-nature avec le nouveau mode de production capitaliste embryonnaire, implanté à l’origine par les colonisateurs français, mais imparfaitement développé et perfectionné par les premiers détenteurs du pouvoir algérien postindépendance, plus soucieux d’échafauder un fondement culturel ou cultuel pour légitimer historiquement la constitution du nouvel Etat-nation algérien que de bâtir des fondations économiques et politiques permettant d’impulser le développement des forces productives. De là s’explique la prééminence accordée par l’Etat algérien aux superstructures idéologiques au détriment des infrastructures économiques. Autrement dit, la priorité accordée à l’érection des mosquées plutôt qu’à la construction d’usines ou à l’implantation d’entreprises agricoles pour assurer le développement économique de l’Algérie.
Toujours est-il que, eu égard à la prégnance de l’esprit archaïque et tribal dans la société algérienne, il n’est pas surprenant que, dans la définition de la nation, la composante religieuse érige l’islam comme principe unique d’édification nationale sur lequel se greffe la langue arabe, élevée par ailleurs au rang de langue sacrée devant laquelle tous les autres idiomes doivent s’incliner, voire s’effacer. Pareillement, il n’est pas surprenant que la seconde composante berbériste ethniciste, quant à elle, conçoive la construction de la nation algérienne sur la primauté tribale, le culte des ancêtres, voués par essence à l’éternité par la seule transmission de la langue «amazighe» pourtant minoritaire.
Comme si la religion (ou la langue), à elle seule, pouvait constituer la globalité de l’identité nationale. Au vrai, ces deux visions précapitalistes se ressemblent et se rassemblent. Prisonniers d’un mode de production en voie d’extinction, et donc d’une conception archaïque de la construction nationale, leurs fondements d’édification de la nation sont minés de contradictions anachroniques explosives.
L’approche des deux mouvances rétrogrades, dépourvue d’une conception moderne de l’identité nationale et de l’Etat-nation, est vouée à l’échec, à la disparition.
Car, en dépit du harcèlement et de l’assiègement totalitaire et tentaculaire du pays par ces entités tribales à caractère religieux ou ethnique, matérialisés par leurs outrancières revendications identitaires et religieuses afin de tenter de sauvegarder vainement leurs mœurs surannées (islamique ou berbériste), l’Algérie est aujourd’hui mûre pour assurer son passage définitif de la société archaïque au monde moderne capitaliste sécularisé. Comme en témoigna l’immense adhésion populaire aux manifestations hirakiennes de protestation nationale de 2019, déployées dans un esprit de modernité et de maturité politique remarquable, et surtout dans le cadre d’une mixité sexuée hautement emblématique, par-delà les dissensions religieuses et ethniques ordinairement actionnées par les ennemis de l’Algérie pour dévoyer tout mouvement politique, subvertir toute contestation sociale.
Certes, ces trois dernières décennies, en Algérie les revendications ethnolinguistiques, autonomistes, voire indépendantistes, couplées aux machinations séditieuses et entreprises terroristes islamistes, se sont affirmées, pris de l’ampleur. Cependant, ce n’est là que combats d’arrière-garde menés par les dernières forces obscurantistes du pays, vestiges d’une société traditionnelle en phase d’extinction.
C’est l’ultime sursaut de couches sociales archaïques en déclin, s’acharnant à tenter de sauver leur vieux monde religieux et tribal en voie de dissolution, avant de se fondre, à leur corps défendant, dans le grand ensemble national algérien en pleine modernisation et urbanisation capitaliste.
K. M.
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