Ministres déphasés
Par Abderrahmane Mebtoul – L’Algérie est dans une interminable transition. Elle n’est ni une économie étatisée ni une véritable économie de marché concurrentielle, ce qui explique le peu d’efficacité tant de la régulation politique, sociale qu’économique. Si le processus inflationniste continue à ce rythme, cela aura des incidences sur le taux d’intérêt des banques qui devraient le relever au moins de deux à trois points par rapport aux taux d’inflation réel, si elles veulent éviter la faillite ou, alors, l’Etat devra recourir à nouveau à leur assainissement tant qu’il a la rente des hydrocarbures. Cela freinerait à terme le taux d’investissement utile, la plupart des opérateurs économiques préférant se réfugier dans les activités spéculatives à court terme actuellement dominantes.
Ce processus inflationniste aura pour conséquence l’accélération du divorce entre l’Etat et le citoyen, accentué par l’effritement du système de communication gouvernementale où nous assistons à un dialogue de sourds. Dès lors, comment ne pas se rappeler certains discours de ministres et parfois de Premiers ministres totalement déconnectés de la réalité sociale. Selon les propos du président de la République lui-même, bon nombre de décisions prises en Conseil des ministres ne sont pas palpables sur le terrain. Rappelons-nous les déclarations entre 1986 et 2021 de certains responsables qui oublient souvent leurs propres paroles, formatés à l’ancienne culture bureaucratique rentière, alors que nous sommes avec les nouvelles technologies dans une maison de verre.
Ainsi, il y a de cela environ quinze ans, deux ministre, l’un des Affaires religieuses et l’autre de la Solidarité, déclaraient officiellement qu’en Algérie il n’y a pas de pauvres mais des nécessiteux ; des ministres du Commerce épaulés par certaines associations gravitant au niveau des sphères du pouvoir, qu’il y a une maîtrise des prix et que c’est la faute des consommateurs qui gaspillent alors que la majorité des citoyens arrivent difficilement à joindre les deux bouts.
Comment ne pas rappeler cette image de la Télévision algérienne des années 2000 où, à une question sur le taux de chômage, un ministre du Travail affirmait que les enquêtes fixaient ce taux à moins de 8% et lorsqu’un journaliste lui répliqua par un «êtes-vous sûr de vos données ?» sceptique, le membre du gouvernement avait répondu par l’affirmative. Ce à quoi le journaliste rétorqué sous l’œil amusé de la présentatrice, non convaincue d’ailleurs, qu’il irait faire un tour dans les quartiers et qu’il dirait aux millions de sans-emploi qu’ils ne s’appelaient plus des chômeurs mais des travailleurs.
Et, après la grande pénurie qu’avait connue le pays après la crise de 1986, à la Télévision publique toujours, un ministre du Commerce avançait avec assurance que le marché était saturé, selon les données en sa possession. La présentatrice lui demanda alors s’il était arrivé de faire le marché en lui précisant que les citoyens ne se nourrissent pas de chiffres. Récemment, un ministre de l’Industrie déclarait que la voiture n’était pas une nécessité pour la majorité des Algériens, oubliant la léthargie du système de transport collectif et l’entretien de sa voiture – ou de ses voitures qui lui sont allouées à lui et sa famille – est supporté par le budget de l’Etat.
A. M.
Comment (9)