Cette étrange découverte de l’historien Belkadi sur les crânes rapatriés en 2020
Par Abdelkader S. – L’anthropologue algérien Ali Farid Belkadi, à l’origine de la découverte, au début du mois de mars 2011, au Musée national d’histoire naturelle (MNHN) de Paris, des têtes de résistants décapités par le corps expéditionnaire français aux premiers temps de la colonisation, fait une révélation fracassante. Parmi les crânes rapatriés le 3 juillet 2020, deux sont ceux de harkis. «Deux tirailleurs, mercenaires indigènes opposés au mouvement national, morts les armes à la main pour la France, ont été enterrés au Carré des martyrs du cimetière d’El-Alia le 5 juillet 2020, parmi nos braves, héros martyrs de la résistance à la colonisation : Boubaghla, Si Moussa, Bouziane, Al-Titraoui, Al-Hamadi et d’autres», fait savoir l’historien.
Ali Farid Belkadi précise que les deux crânes en question figurent dans les données numérisées du Muséum de Paris sous les numéros et les indications suivants : «MNHN-HA-296. Amar Ben Soliman. Don du collectionneur Flourens, collection Guyon, chirurgien de l’Armée d’Afrique. Crâne a.m.i. (avec maxillaire inférieur)» et «MNHN-HA-300. Belkacem Ben Mohamed El-Djennadi. Don du collectionneur Flourens, collection Guyon, chirurgien de l’Armée d’Afrique. Crâne a.m.i. (avec maxillaire inférieur).
«En ce qui me concerne, aucun de mes quatre inventaires dressés depuis le mois de mars 2011 jusqu’à ce jour ne fait référence à ces tirailleurs morts pour la France, numéros MNHN-HA-296 et MNHN-HA-300, nulle part dans mes dossiers. Par contre, ces numéros figurent bel et bien dans un ancien inventaire français que j’ai ignoré, préférant reprendre à zéro par acquis de conscience l’identification des crânes», souligne l’historien, pour lequel la présence de ces deux têtes de tirailleurs indigènes au milieu de celles de nos glorieux martyrs rapatriés de France «n’est pas le fruit d’une simple et excusable erreur, malheureuse et malencontreuse». Il accuse les «redoutables» spécialistes du MNHN de Paris d’être derrière ce «leurre».
Ali Farid Belkadi, qui a fait partie du comité mixte d’experts scientifiques algériens et français chargé de l’identification et de la vérification de la provenance et de l’origine des restes humains présumés algériens conservés dans les collections nationales françaises, affectées au Muséum national d’histoire naturelle, réuni pour la première fois à Paris le mercredi 12 septembre 2018, fait remarquer que la plateforme de travail sur laquelle devait s’appuyer cette instance, pour le rapatriement des restes mortuaires de nos martyrs, a été conçue par lui. Il a, pour ce faire, établi la liste-inventaire de 68 crânes à la demande pressante de l’ancien ministre des Moudjahidine Tayeb Zitouni et l’a adressée au directeur du Centre national d’études et de recherches sur le mouvement national et la Révolution du 1er Novembre 1954.
«Il semblerait que la commission dirigée par le médecin-légiste Rachid Belhadj ait privilégié la liste élaborée par les Français plutôt que celle officielle algérienne remise par moi à M. Tayeb Zitouni, à sa demande», suspecte Farid Belkadi, qui regrette qu’en dépit de son rôle «central, principal et incontournable» dans cette affaire, c’est l’ex-ambassadeur d’Algérie en France Abdelkader Mesdoua qui avait insisté pour que l’anthropologue algérien fasse partie de cette commission d’experts. «Ceci, contre l’avis d’un ministre, voire du président Bouteflika lui-même qui s’y était opposé», souligne-t-il.
L’historien en veut à la commission de n’avoir pas été suffisamment perspicace, l’accusant carrément d’avoir fait preuve de naïveté. «Dupé et littéralement escroqué par mes compatriotes de la commission d’experts, qui utilisaient mes informations, mes documents, mon livre, etc., mis à leur disposition, j’ai fini par abandonner le groupe, en refusant les invitations à participer aux réunions et en déclinant l’invitation qui m’avait été faite d’accompagner les restes mortuaires dans l’avion qui les ramenait en Algérie», signale encore Ali Farid Belkadi, qui déplore le fait qu’il n’ait pas été convié à plusieurs réunions importantes dont il affirme avoir appris le contenu par des indiscrétions et par ouï-dire, et ce, malgré son statut de membre à part entière de la commission d’experts.
«Entre-temps, durant mon absence, la commission, dirigée par le médecin-légiste Rachid Belhadj, a préféré utiliser un inventaire obsolète, accommodé à la pensée française du professeur Philippe Mennecier du MNHN», dénonce-t-il, en soulignant qu’il ignorait le contenu de cet inventaire «conçu par les spécialistes français, à usage français», pour dresser ses propres listes au nombre de quatre, à ce jour. «Tous mes inventaires ont superbement ignoré les tirailleurs indigènes morts pour la France», insiste-t-il, en certifiant que son inventaire de 68 martyrs, spécialement établi pour la commission d’experts en janvier 2017 à la demande de l’ex-ministre Tayeb Zitouni, sur lequel il a «consciencieusement» et «minutieusement» travaillé pendant un mois, jour et nuit, à titre gracieux et désintéressé, ne fait référence à aucun mercenaire indigène mort pour la France. «Mes inventaires sont sains de tout collaborationnisme», s’insurge-t-il.
Ali Farid Belkadi fait cette autre révélation qui ne surprend pas : «La plupart, sinon tous les spécialistes français rencontrés dans cette affaire du MNHN, étaient contre le rapatriement des restes mortuaires de nos martyrs en Algérie. La recherche scientifique au sens anthropologique du terme, dans un cadre éthique, n’existe pas au MNHN de Paris, je l’ai constaté.»
S’adressant aux plus hautes autorités de l’Etat, l’historien et anthropologue algérien a fait part de son souhait de terminer officiellement son travail entrepris au Muséum de Paris depuis 2011, car «il reste encore plus de 300 crânes à rapatrier, toutes époques confondues, parmi lesquels les têtes de résistants de Constantine – premier et second sièges de la ville et prise de la ville par les soldats français –, de Touggourt, Laghouat, Zaâtcha et bien d’autres», fait-il constater.
Habitué aux «ficelles entortillées» du MNHN de Paris, Ali Farid Belkadi rappelle qu’il a «fait bouger les choses bien avant l’existence de cette commission interlope». «J’ai de nouveau cherché, j’ai encore trouvé. Je dois terminer ce travail avec l’aide de Dieu. Et surtout réparer ce qui a été détruit par cette commission», ponctue-t-il, en émettant le vœu de pouvoir se remettre à la tâche en formant son propre groupe de travail «compétent et expérimenté, capable, rompu aux ficelles du MNHN de Paris».
A. S.
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