Lettre ouverte à l’Etat français : «Votre crime impuni, je le porte en moi !»
Une contribution d’Abdelhamid Hakkar – Pourquoi je n’attendrai pas la commission d’historiens sur les crimes de l’occupation et de la Guerre d’Algérie ? Enfant âgé d’à peine deux ans et demi, j’ai été, un matin de 1958, bombardé au napalm par un bombardier MD Dassault assassin, enflammant et détruisant ma demeure qui avait été prise froidement pour cible. Ses ruines et vestiges sont encore visibles ici : 35.40036197558687, 7.089849443554202. Des témoins sont encore vivants.
Enseveli sous les décombres de pierres enflammées, à flanc de montagne du Douar Bouderhem, situé dans l’agglomération de la ville de Khenchela, je devais être mort calciné n’étaient, à la vue du bombardier en piqué et au sifflement de sa bombe, le reflexe salvateur de ma défunte grand-mère de me protéger en me blottissant sous son ventre avant qu’elle ne succombe elle-même des suites de ses blessures. Je serai, rescapé et brûlé, secouru par ma mère et des proches accourus du ruisseau plus bas où ils allaient au matin chercher de l’eau.
Ce crime d’Etat impuni, je le porte toujours en moi. Plus que dans ma chair, il continue de me brûler l’âme – un crime de surcroît commis contre des populations civiles.
Plus tard, adulte, la France des «droits de l’Homme» m’afflige de nouveau et me condamne à une peine de réclusion criminelle à perpétuité par contumace, sans avocat, sans mandat de dépôt et sur le fondement d’un dossier falsifié. Elle m’enfermera 28 années durant dans ses basses-fosses indignes, dont douze années à l’isolement total qualifiées de torture. Comble de l’inversion accusatoire ! Ce serait de nos jours non en France mais en Algérie qu’on torture !
De fait, l’Etat français n’a pas attendu une «commission d’historiens» pour me juger et me condamner, en décembre 1989, de manière aussi inique qu’expéditive.
Mieux ! Condamné à son tour en 1995 par la Cour européenne des droits de l’Homme, à l’unanimité des juges, pour m’avoir illégalement emprisonné, l’Etat français refusera de s’exécuter et de me remettre en liberté. De nouveau qualifié à l’unanimité par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe de parodie de procès, il persistera dans son mépris.
Pis, tandis que le président du Tribunal de grande instance (TGI) de Paris s’apprêtait, en mai 2000, à prononcer ma mise en liberté immédiate assortie d’une indemnisation de trois millions d’euros pour mes seize années de détention abusive et le refus d’exécuter la décision européenne, l’Etat français, via son ministre de la Justice a – fait inédit ! – dépêché le préfet de police de Paris venu en personne au tribunal dessaisir le juge du dossier, au prétexte de soumettre la question au Tribunal des conflits pour qu’il tranche un prétendu «conflit d’attribution», quand aussi bien en matière de liberté individuelle il est constant que la compétence d’attribution relève constitutionnellement exclusivement du seul juge judiciaire.
Résultat cousu de fil blanc : le Tribunal des conflits n’a jamais statué, la procédure dont s’était emparé le préfet s’étant commodément «égarée» entretemps entre le bureau du procureur général de Paris et la chancellerie.
Ressaisi quelques mois plus tard pour qu’il purge sa saisine et prononce ma libération, le président du TGI de Paris a été soudainement muté et promu à la tête du TGI de Nice.
Jusqu’à aujourd’hui, cette affaire n’a pas été purgée ; je resterai encore enfermé douze années.
Saisi en mars 2021 de demandes de réparations pour mon bombardement au napalm, tant le président de la République française, Emmanuel Macron, que sa ministre des Armées, Florence Parly, n’ont pas daigné me consentir la moindre réponse.
Pourtant, le président Macron a dernièrement affirmé lors de son séjour en Algérie, je le cite : «J’entends souvent que, sur la question mémorielle et la question franco-algérienne, nous sommes sommés en permanence de choisir entre la fierté [!] et la repentance. Moi, je veux la vérité, la reconnaissance, sinon on n’avancera jamais». Alors, oui, on n’avancera jamais si on ne m’accorde pas «vérité» et «reconnaissance».
Même si je n’en attends pas grand-chose, j’entends introduire une action judiciaire pour ces faits pour ne serait-ce qu’elle puisse me donner la possibilité de les soumettre ensuite à des organes et institutions supranationaux.
Qui a parlé de «détermination à promouvoir l’amitié entre la France et l’Algérie et approfondir la coopération bilatérale dans les domaines d’intérêt commun» ? Qui a parlé de «partenariat renouvelé, concret et ambitieux» ? Qui a parlé d’«intensifier la coopération à tous les niveaux» ? Et qui nous parle encore de «partenariat renouvelé entre la France et l’Algérie» ? L’Etat français, «fier» de bombarder des populations civiles sans défense, qui plus est avec des armes de destruction massives interdites par le doit international.
Selon Matignon, «les membres des gouvernements français et algérien se réuniront pour réaffirmer leur détermination à promouvoir l’amitié entre la France et l’Algérie et approfondir la coopération bilatérale dans les domaines d’intérêt commun». Cet «intérêt commun» ne se limiterait-il qu’au seul gaz dans le déni assourdissant de devoir rendre justice ?
Le président Emmanuel Macron et son homologue algérien, le président Abdelmadjid Tebboune, ont acté, ce 27 août 2022, dans une déclaration commune, «la relance des liens bilatéraux». Vœu pieux si celle-ci ne s’accompagne pas dès aujourd’hui de gestes concrets.
Bon gré mal gré, je mènerai campagne seul s’il le faut. Je crierai sur le toit du monde dussé-je jusqu’à mon ultime souffle pour que la France me rende justice. Et je jure qu’on m’entendra !
Dixit Fiodor Dostoïevski : «L’histoire ne révèle sa propre essence qu’à ceux qu’elle a au préalable exclus d’elle-même».
A. H.
(Besançon, France)
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