Samarcande ou l’agonie du pouvoir monopolisé par un gendarme du monde

Samarkand Shanghai OCS Poutine Jinping
Vladimir Poutine et Xi Jinping au sommet de l'OCS. D. R.

Une contribution d’Ali Akika – Les bouleversements géopolitiques et stratégiques sont d’ores et déjà identifiables à travers la non-application des sanctions de l’Occident par de nombreux pays. On voit que la notion du rapport de force sur la scène internationale n’est plus du seul apanage du gendarme du monde. Le nucléaire militaire censé introduire de la rationalité par le biais de la dissuasion est quelque peu interrogé. Effacer l’histoire et posséder la bombe atomique sont les deux mamelles d’un monde qui se veut éternel. Eh bien non, c’en est fini du droit de la force qui assure la tranquillité pour les uns et entretient en permanence la misère et sa compagne nommée angoisse pour les innombrables parias du monde. Avec tous les bouleversements en cours, l’art de la guerre retrouve sa place et redonne une sorte de conduite chevaleresque au rapport de force entre les armées.

Un détour par l’invention et l’utilisation de la bombe atomique permet de comprendre l’atout stratégique procuré par le nucléaire. L’utilisation de la bombe atomique comme arme stratégique revient aux Etats-Unis. Ils l’ont utilisée contre le Japon pour, disaient-ils, mettre fin rapidement à la guerre et économiser des centaines de milliers de vies américaines. L’URSS comprit vite la supériorité militaire d’une telle arme et se mit dare-dare à la fabriquer. Ainsi naquit la stratégie de la dissuasion ou la stratégie de la terreur. Cette stratégie a été mise à rude épreuve en 1962 avec la crise dite des missiles de Cuba. La crise a été «résolue» parce que les deux protagonistes, les Etats-Unis et l’URSS, pouvaient se faire mutuellement disparaître dans le feu du champignon atomique. Les deux puissances nucléaires avaient compris qu’il serait idiot de jouer leur vie pour un Etat tiers – à cette époque Cuba. Avec la guerre en Ukraine, le même scénario semble être envisagé, mais on n’est sûr de rien. Car dans le cas de Cuba, on est arrivé à un accord parce que le rapport de force n’a pas été bouleversé entre l’URSS et les Etats-Unis. Chacun des deux pays a fait des concessions et pris des engagements qui n’ont nullement affaibli leur posture et statut sur la scène internationale.

Dans le cas de la guerre en Ukraine, le rapport de force impérial du nucléaire semble ne plus garantir le statut de gendarme intouchable. Car, à côté de la terrifiante bombe atomique, le monde a entre ses mains des armes tout aussi terrifiantes qui ne font certes pas exploser la terre entière, mais sont capables de ramener des pays à l’âge de la pierre. Tant que le retour à l’âge de la pierre était bon pour le Liban, l’Irak, l’Occident fermait les yeux. Mais, en Europe, vous n’y pensez, ma brave dame ! C’est pourquoi toutes ces armes, bombe atomique et autres armes supersoniques font paniquer les stratèges et analystes occidentaux car ils ont conscience que l’Occident peut être victime d’une occupation. Ils voient en l’Ukraine un exemple d’une pareille tragédie. Ouvrons une parenthèse et disons que l’Occident serait crédible si, hier comme aujourd’hui, il condamnait et sanctionnait tous les pays qui occupent par la force d’autres pays. A-t-on besoin de citer Israël et le Maroc ?

Cela dit, voyons ce qui se profile à l’horizon avec l’agonie du pouvoir monopolisé par un gendarme du monde et l’émergence du nécessaire multilatéralisme dans les relations internationales. Cette émergence a fait son petit chemin à travers diverses associations comme les BRICS et l’OCS (Organisation coopération de Shanghai). La récente réunion de l’OCS n’est pas passée inaperçue. Elle a même réussi à se faire entendre malgré le tsunami médiatique dû à la mort, le 8 septembre, d’Elisabeth II, reine de Grande-Bretagne.

Des pays présents à cette rencontre (1) symbolisent la montée de l’Eurasie face aux Etats-Unis qui ont comme complices et alliés l’Union européenne et l’OTAN. Samarcande, lieu de la rencontre de l’OCS, nous plonge à la fois dans l’histoire de cette ville d’Ouzbékistan et de ses beautés poétiques et architecturales. Ensuite, Shanghai, ville industrielle et ouvrière, bastion de la base sociale de la Chine révolutionnaire et aujourd’hui métropole des cités du futur. Les symboles de ces deux villes semblent inviter le monde à rompre avec le chaos d’un monde nostalgique qui ne se résout pas à perdre sa suprématie. Avant de cerner les postures de ces deux continents sous la poussée des bouleversements géopolitiques de nos jours, faisons un petit survol sur la carte et les atouts de ces deux continents. Je mets entre parenthèse les Etats-Unis, gendarme du monde, dont il est inutile de rappeler la puissance orgiaque et son regard paternaliste et dominateur sur le reste du monde.

L’Europe regroupe 27 pays et compte quelque 500 millions d’habitants. Héritière de la Renaissance qui jeta les bases du futur capitalisme, elle se développa en se faisant des guerres dans le continent. La naissance du capitalisme en Europe lui donna les moyens de sortir de ses frontières pour conquérir des territoires et coloniser leurs habitants. Les convoitises des richesses des pays conquis engendrèrent des rivalités qui se sont poursuivies aux deux guerres mondiales qui les ont fatiguées. L’Europe, alors épuisée, pensa assurer son avenir en s’unissant pour ne pas tomber sous la protection abusive de l’Oncle Sam. Ce dernier s’installa en Europe comme s’il était chez lui, en paiement de son aide pendant les deux guerres mondiales et à la pluie de dollars du plan Marshall qui releva l’Europe des ruines de la guerre. Une fois ses ruines effacées, l’Europe n’oublia pas qu’elle avait une grande histoire qui avait accouché d’une grande bourgeoisie consciente de ses intérêts de classe. Ces bourgeoisies nationales reposaient sur des pays : France, Italie, Allemagne, Belgique, Pays-Bas et Luxembourg. Si les Etats-Unis ne pouvaient pas s’opposer à la constitution d’une Europe unie, ils n’ont jamais cessé de la surveiller de près grâce à leur puissance économique et leur dollar, monnaie d’échange international, mais aussi et peut-être surtout en détenant le parapluie nucléaire et son bouton, l’OTAN.

L’Eurasie, ce sont deux continents qui se sont regroupés autour de l’OCS, une organisation avec pour ambition de coopérer en se référant à deux postulats de base : leur souveraine indépendance et les leçons de l’histoire. Disons d’emblée, outre la philosophie de cette coopération que nous verrons plus loin, l’Eurasie a des atouts non négligeables. Des pays comme l’Inde, l’Iran, la Chine et la Russie constituent la moitié de la surface de la terre et la moitié de ses habitants. Si l’on ajoute les matières premières diverses et considérables sans lesquelles toutes les industries s’arrêteraient, on mesure leur poids dans la vie économique qui va monter crescendo. A cela, il faut ajouter que parmi l’OCS, il y a de grands pays industriels et militaires, sans oublier les magies des technologies nouvelles qui font voyager la science autour de la Lune et Mars. Ces atouts et potentialités empêchent l’Occident de dormir et leurs «experts» espèrent calmer les angoisses de leurs marmailles en disant que la Russie n’a que des matières premières et que la Chine a besoin de l’Occident pour vendre ses gadgets. Ce regard aveuglé par la peur porté sur ces deux pays risque de leur réserver des surprises.

La Russie livrée aux oligarques par Eltsine fut prise en main par son successeur Poutine qui a reconstruit et modernisé l’outil militaire pour faire face à l’OTAN. Les évènements actuels lui donnent raison. De plus, les retombées technologiques de l’industrie militaire avec ses missiles supersoniques feront de la Russie, une fois la menace OTAN évaporée, un très grand pays industrialisé. Comme il est devenu le premier exportateur de blé et d’engrais après les sanctions de 2014, après la récupération de la Crimée. Quant à la Chine, il suffit de rappeler à ces «experts» qu’elle possède des centaines milliers de bons du Trésor américain qui peuvent «vider», en les convertissant en dollars, les stocks d’or entreposés dans la Banque fédérale à Fort Knox, ancienne forteresse militaire dans le Kentucky ; un hasard sans doute. De plus, le marché intérieur de consommateur chinois ne cesse de s’agrandir, vu les millions de touristes chinois dans le monde. Sans compter les consommateurs étrangers car les Chinois ne vont pas laisser entrer les produits américains et européens et voir leurs produits interdits à l’étranger. Que les «experts» qui se rassurent comme ils peuvent revoient leurs livres d’économie de première année d’université.

Les principes en voie d’élaboration de l’Organisation coopération Shanghai

L’Eurasie, ayant souffert de l’arrogance de l’Euro-Amérique qui a usé et abusé de sa puissance, ne va pas commettre les mêmes bêtises et les mêmes erreurs. Bornons-nous à rappeler que la vie économique ne répond pas à une vision éternelle des choses. La loi du marché vue et corrigée par la Finance est devenue une véritable religion avec ses castes et ses chapelles. Et cette loi du marché a été collée à la démocratie pour en faire des sœurs jumelles. Disons à ces idéologues que la notion de démocratie (pouvoir du peuple) est née en Grèce où régnait une économie esclavagiste. Ajoutons que la science permet à la chirurgie de séparer jumeaux et jumelles pour que chacun vive sa vie selon sa propre philosophie.

Passons sur ces blablas et intéressons-nous à la philosophie politique de l’OCS. Revenons sur les deux piliers de l’OCS précédemment cités : la souveraine indépendance des pays. Cela ne veut pas dire vivre en autarcie. C’est l’affirmation que la souveraineté, qui assure la véritable indépendance d’un pays, repose sur la légitimité du peuple. Cette indépendance implique qu’on n’intervienne pas dans les affaires des voisins et amis et exige en même temps que ceux-ci adoptent la même attitude.

Les pays de l’OCS, ayant fait l’humiliante expérience de la colonisation et tirant une légitime fierté de leur riche passé, ont assimilé les leçons de l’histoire. Contrairement aux impérialistes qui – avait dit le général Giap avec un raccourci saisissant – ne retiennent jamais les leçons de l’histoire. Comprendre l’histoire veut dire simplement que l’humanité est sortie de la période de la jungle. Que le rapport de force a ses limites car il n’est pas éternel et que des rivaux peuvent surgir à tout moment pour une raison ou une autre. La Rome antique, le grand Alexandre et le sinistre Hitler ont fait cette amère expérience. En un mot, cela veut dire que la coopération est plus bénéfique que la cupidité qui donne l’illusion de pouvoir tout se permettre.

Quelles sont les moyens que se donne l’OCS ? Mettre en place des mécanismes économiques et financiers entre ses membres selon la formule du gagnant-gagnant. Formule à l’antipode du profit fruit de l’exploitation. Ambitieux programme qui demande du temps pour briser le monopole de la circulation des richesses qui est aux mains du dollar, monnaie d’échange international. Les premières expériences des monnaies chinoise et russe à la suite des sanctions occidentales ont permis de vendre et acheter du gaz et du pétrole sans passer par le dollar. Au regard de la puissance des pays de l’OCS et des pays qui viennent d’y adhérer (Iran) et ceux qui ont posé leur candidature (Turquie), on peut passer que la bataille est gagnable (2).

  1. A.

1) Les pays membres de l’OCS sont la Russie, la Chine, l’Inde, l’Iran, l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan.

2) Aux perroquets experts qui ont prédit que la Russie risquait de manquer de munitions car ils n’ont ni puces électroniques ni conducteurs, on peut les rassurer qu’un pays qui, avec ses missiles supersoniques rivalisant avec la vitesse de la lumière, les Russes vont déplacer leurs ingénieurs des usines de missiles vers celles des obus. Quant à l’Iran, dont les mêmes perroquets se sont moqués de ses drones, ceux-ci ont pulvérisé à Odessa le quartier du haut commandement de l’armée ukrainienne avec une flopée d’officiers américains auxquels j’ai fait allusion la semaine dernière dans l’article «OTAN en emporte le vent». La destruction de ce quartier du commandement général a rendu furieux le président Zelensky qui vient d’annoncer le renvoi de l’ambassadeur iranien et la diminution du nombre de fonctionnaires iraniens dans leur ambassade.

Comment (10)

    Hok
    29 septembre 2022 - 20 h 03 min

    Ne prenez jamais les rêves pour une réalité !!!!

    Jazayria
    28 septembre 2022 - 9 h 38 min

    Excellent article !

    Anonyme
    27 septembre 2022 - 12 h 34 min

    Il y a un début de changement (chamboulement) en Europe.
    L’Italie, l’art d’utiliser la démocratie pour un repositionnement géostratégique dans le nouvel ordre mondial.
    C’est des Romains issus de la République Romaine avant tout (et, ils ont appris les leçons de sa perte).

    Belveder
    27 septembre 2022 - 12 h 32 min

    en attendant les lecons et les dissértations des centaines de Milliers de RUSSES fuient leur pays
    et ca c est pas une invention des Médias

      Anonyme
      27 septembre 2022 - 17 h 18 min

      Merci de nous refiler les sites et titres de journaux dont vous tirer votre certitude sur l exode des russes …….

    Elephant Man
    27 septembre 2022 - 11 h 20 min

    Excellente contribution.

    Fodil
    26 septembre 2022 - 21 h 54 min

    Une très bonne et intéressante contribution d’Ali Akika. C’est toujours un plaisir de le lire.

    Abd_CaptainFlamme
    26 septembre 2022 - 17 h 40 min

    Il se peut que les générations futures voient dans l’idéologie du modèle de la « démocratie libérale », un modèle exceptionnellement tyrannique et meurtrier, tel qu’il s’est révélé être au cours de l’Histoire, et que ce modèle soit finalement rejeté dans les poubelles de l’Histoire comme l’un des projets les plus funestes de l’Histoire, à la fois par les pays qui auront encouru vindicte que pour la majorité des Peuples Occidentaux qui regardent impuissants les fondamentaux de leurs héritages civilisationnels s’écrouler sous le poids des contre-valeurs et des idéologies sionistes par définition contre-nature que cette idéologie leur a imposé « démocratiquement ».
    Les générations futures se rendront bien compte que ce modèle ne doit la pérennité de sa supériorité qu’à un usage immodéré et quasi-perpétuel de leur force militaire violence qui assure la la destruction savamment planifié des régions récalcitrantes.
    Cependant la nécessité pour l’Empire déclinant de faire sans cesse la guerre à tous les Peuples du Monde digne de ce nom pour assurer la continuité d’un ordre mondial fondé sur l’intolérance, l’intimidation et la glorification insensée du meurtre d’enfants Palestiniens ne pouvait conduire qu’à sa propre destruction. A l’ombre de la Pax Pacifica s’épanouissait des peuples brimés à l’histoire plusieurs millénaires qui, à l’instar des petites tribus du passé qui fondèrent des empires, se sont réveillés de leur sommeil militariste en géants militaires dont aucun Etat-LGBT, sans foi ni loi, assassin et cruel, ne sera en mesure de stopper l’ascension annonciateur d’un ordre mondial plus sûr, durable, diversifié, respectueux des différences culturelles et religieuses, un monde multipolaire stable et non instable.

      Belveder
      29 septembre 2022 - 17 h 17 min

      La propagande soviétique je te la laisse à toi
      Les frontières de la Finlande ont du être fermé tellement on ne pouvait plus contenir les flots de Russes
      Et ça part de partout
      Alors continue à être Lobotomisé c est ton problème

    Anonymoi
    26 septembre 2022 - 15 h 00 min

    Grandeur et décadence , tous les empires dans l’histoire de l’humanité ont eu leur heures de gloire puis sont tombes pour faire la place a d’autres, c’est l’évolution , what go’s up most comme down! être numéro 1 n’est pas trop difficile , le rester est bien plus difficile.

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